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ASE et handicap : une coopération progressive

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Parfois non comptabilisés en l’absence de diagnostic, parfois trop vite orientés vers les maisons départementales des personnes handicapées, les enfants à la fois suivis par l’aide sociale à l’enfance et porteurs de handicaps sont nombreux. Encore souvent inadéquates faute de structures suffisantes, les modalités de leur prise en charge évoluent néanmoins.

Des « situations complexes ». des enfants soumis à une « double vulnérabilité »… Les mêmes mots montent aux lèvres de l’ensemble des professionnels qui accompagnent des jeunes à la fois protégés par l’aide sociale à l’enfance (ASE) et porteurs de handicaps. Que ceux-ci aient été ou non déjà officiellement diagnostiqués. Car, tous les acteurs en sont d’accord, l’un des premiers enjeux consiste à les repérer, et donc à comptabiliser le nombre d’enfants concernés.

En 2015, selon le défenseur des droits, sur 308 000 petits et adolescents suivis par l’ASE, 78 000 portaient un handicap. Sébastien Bossard, directeur de l’institut thérapeutique, éducatif et pédagogique (Itep) de la Sauvegarde du Nord situé à Tressin, estime à un tiers la proportion des enfants en situation de handicap de son établissement par ailleurs accompagnés par l’ASE. A l’autre bout de la France, dans les Hautes-Alpes, Muriel Nicolas, directrice générale de l’Adsea 05, indique que, parmi les 24 enfants reçus en accueil modulable par sa maison d’enfants à caractère social (Mecs), un quart bénéficient d’une reconnaissance de leur handicap mais qu’en réalité, au moins la moitié des jeunes présentent des troubles psychiques et du comportement générateurs de handdicaps. Ainsi, selon les estimations, de 25 % à 50 % des enfants accueillis dans une structure du secteur du handicap ou dans un établissement ou service relevant de l’ASE sont concernés par cette double problématique.

« Mélange des genres »

Cet écart important s’explique d’abord par la difficulté de poser un diagnostic, souligne Alice Lhoumeau, cheffe de service éducatif responsable du centre d’accueil de jour et de la Mecs de l’institut Fernand-Deligny, de la Sauvegarde du Nord, pour qui il faut faire la part des choses entre des troubles du comportement « réactionnels » et d’autres qui seraient le signe de handicaps reconnus. Mais cette complexe identification traduit aussi l’espoir qu’un accompagnement adéquat conduise le jeune à suffisamment progresser pour ne pas se voir enfermé dans une case. En témoigne Thomas Coulom, administrateur de l’ANPF (Association nationale des placements familiaux). Lorsqu’il a accueilli un petit garçon de 3 ans et demi, cet assistant familial, ancien éducateur spécialisé et formateur en travail social, n’imaginait pas l’ampleur de ses difficultés, ayant été seulement informé qu’il faudrait lui apporter des « stimulations ». Agé aujourd’hui de 12 ans, l’enfant a intégré un institut médico-éducatif (IME) du fait de son handicap psychique.

Quel que soit leur nombre exact, la proportion s’avère élevée. Du fait, dit Alice Lhoumeau, que les enfants suivis par l’ASE connaissent déjà, malgré leur jeune âge, une « vie handicapante ». « Les problèmes de comportement sont souvent liés à des difficultés sociales globales », appuie Sébastien Bossard. Autre explication, plus institutionnelle : l’Education nationale semble prompte à solliciter une reconnaissance du handicap lorsqu’elle ne parvient pas, faute de moyens humains suffisants, à gérer les troubles du comportement d’un enfant dans une classe ordinaire. La tentation s’avère alors grande de solliciter une orientation en Itep pour se « débarrasser » des enfants qui ne parviennent pas à s’adapter au cadre scolaire.

Mais une décision de la maison départementale des personnes handicapées (MDPH) se traduit rarement par une prise en charge immédiate. Les places disponibles manquent, les jeunes attendent parfois deux ans avant de pouvoir intégrer un établissement recommandé pour leur suivi tel qu’un Itep. La pédo­psychiatrie manque tout particulièrement de places. Résultat : tout le monde est perdant. Et d’abord les jeunes. Nombre d’entre eux affrontent des ruptures dans leur parcours de soin ou se retrouvent dans une structure inadaptée. Un « mélange des genres » dénoncé par nombre de professionnels, qui pointent des effets néfastes pour tous : les jeunes concernés, mais aussi leurs camarades, qui se retrouvent confrontés parfois à des situations de crise d’enfants psychotiques qui devraient être accueillis au sein d’un établissement de soin, et de façon continue, plutôt que quelques jours dans un foyer à caractère social. Les parents peuvent, quant à eux, être l’objet d’un signalement pour maltraitance s’ils refusent une prise en charge qui leur semble inadaptée, pointe Christine Meignien, présidente de Sésame Autisme. Avec en tête l’exemple tout frais d’un père signalé par une assistante sociale : il avait refusé un accompagnement d’une heure et demie par semaine par l’équipe d’un pôle de compétences et de prestations externalisées (PCPE) au lieu du suivi à temps plein espéré. Enfin, les structures éprouvent le sentiment d’être chacune le dernier recours de l’autre, la Mecs étant le filet de sécurité de la psychiatrie et l’IME, celui de l’aide sociale à l’enfance…

Urgence contre temps long

Tout ceci s’inscrit de surcroît dans un contexte où la fluidité entre les secteurs du handicap et de la protection de l’enfance peut encore progresser. D’abord, parce qu’ils ne partagent pas la même temporalité. L’ASE doit souvent affronter l’urgence, tandis que les professionnels du handicap s’appuient sur le temps long. Ensuite, parce que la question de l’hébergement peut générer des tensions. Sébastien Bossard insiste, « l’hébergement dans un Itep fait partie du processus de soin, il ne doit pas devenir une fin en soi ». Or l’ASE voit parfois dans ces internats une solution pour des enfant qui n’en ont pas. Au risque d’être « contre-productive », estime Sébastien Bossard, pour qui un accueil « séquentiel » compte parmi les outils d’un accompagnement efficace.

Si les liens entre les deux administrations peuvent s’avérer complexes, une fois que les enfants bénéficient d’une prise en charge dans un internat, souligne Alice Lhoumeau, la coopération entre professionnels se passe bien : « On se parle d’éducateur à éducateur. » Nombre de professionnels interrogés soulignent du reste l’importance des partenariats, entre établissements mais aussi avec des services de santé. Et ne se cachent pas de « bidouiller », en continuant de rattacher, par exemple, un jeune à une ancienne adresse officielle pour garantir la poursuite des soins. Car tous le disent : pour ces enfants déjà largement chahutés par la vie, la continuité doit rester le maître-mot. Pour cela, des « formations groupées » de professionnels du handicap et de l’ASE s’avéreraient précieuses, suggère Chloé Spychala, directrice de l’IME La Roseraie, à Lille, géré par l’EPDSAE (Etablissement public départemental pour soutenir, accompagner, éduquer). De même qu’une incitation aux mobilités professionnelles, appuie Camille Bosc, directrice du pôle « enfance famille » à Grand Lille Métropole.

Toutes les deux se félicitent d’avoir, à leur niveau, abattu des barrières en créant une structure de répit commune pendant le premier confinement, qu’elles ont pu pérenniser avec l’appui de l’agence régionale de santé et du département. Ouverte la semaine, les soirs et les week-ends, celle-ci permet aussi de réaliser des évaluations d’enfants accueillis. Avec, à terme, l’espoir de simplifier leur prise en charge. « Les partenaires que nous sommes doivent s’engager dans la durée, prévient Chloé Spychala. Nous devons travailler ensemble jusqu’au bout, et en respectant le rythme de l’enfant. » Une manière de dire que la clé d’un accompagnement réussi réside dans l’individualisation des solutions proposées.

Équipes mobiles : une double compétence pour tisser le lien

Eviter une rupture de parcours pour les enfants en situation complexe, voire critique. Voilà comment Nivedita Sharma, cheffe de service de l’équipe mobile « handicap ASE » de la Sauvegarde du Nord, définit l’objectif de ce dispositif innovant. Mise en place en 2019, celle-ci est portée par la volonté conjointe de l’ARS Hauts-de-France et du département du Nord de voir apparaître des équipes mobiles mixtes. Elle peut accompagner des enfants porteurs de tout type de handicap âgés de 3 à 20 ans. Implantée à Lille et placée sous la responsabilité de Nivedita Sharma, elle suit chaque année 50 enfants orientés par l’ASE et 25 par des établissements et services médico-sociaux comme les instituts médico-éducatifs (IME). Elle compte cinq travailleurs sociaux, quatre éducateurs spécialisés, une de jeunes enfants, une infirmière et trois psychologues. Ces professionnels interviennent au maximum six mois dans la vie d’un enfant. Il s’agit pour eux de travailler à une meilleure communication et coordination entre les différents partenaires qui assurent sa prise en charge. « Nous sommes un trait d’union pour permettre à chacun d’eux d’effectuer le pas de côté nécessaire, explique la chef de service. Nous ne sommes pas les experts de la situation de l’enfant. Notre apport tient à notre vision systémique. Ne pas être en prise au quotidien nous amène à poser un regard différent. » Le temps passant, les structures sollicitent l’équipe plus tôt, ce qui facilite des actions de prévention, gage de réussite de ses interventions.

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