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L’évaluation de la qualité des ESSMS menacée

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Evaluer les établissements et services sociaux et médico-sociaux au moyen d’un référentiel unique produit par la Haute Autorité de santé, comme le prévoit la loi, menace de confondre évaluation et conformité à la norme. Au risque d’étouffer toute créativité et de nier la spécificité du travail social.

« L’évaluation des établissements et services sociaux et médico-sociaux (ESSMS) a été confiée à la Haute autorité de santé (HAS) par l’article 75 de la loi du 24 juillet 2019 relative à l’organisation et à la transformation du système de santé. Alors que le sens, les modalités et les contenus de l’évaluation des établissements relevaient d’une production législative dédiée à l’intervention sociale (loi n° 2002-2, décret n° 2007-975, etc.), la Haute Autorité reçoit (par un article isolé d’une loi ne concernant pas le travail social) les pleins pouvoirs pour définir ces modalités. Le secteur de l’intervention sociale et médico-sociale n’est dès lors plus pensé dans sa spécificité, mais comme une déclinaison du sanitaire. Or il nous semble devoir bénéficier d’une gouvernance à la hauteur des enjeux politiques et sociétaux qu’il porte et qui dépassent la simple application de normes et procédures diverses, aussi judicieuses et nécessaires qu’elles soient.

La HAS a engagé l’élaboration d’un référentiel d’évaluation national de la qualité des ESSMS. L’idée même d’un référentiel unique n’est pas mise en débat, la “consultation” de la HAS ne portant que sur des points de détail et de formulation, sans inclure les acteurs du champ dans une réflexion sérieuse sur les processus d’évaluation dans leur ensemble et les besoins des établissements en la matière.

La “démarche référentiel” est adaptée à l’évaluation interne parce que les acteurs construisent eux-mêmes les références qui font sens dans l’évaluation de leur projet d’établissement. Mais quand ce référentiel est imposé de l’extérieur, il ne concerne plus l’évaluation d’un projet d’établissement dans sa singularité au sein d’un contexte territorial, mais constitue une production normative qui se substitue au sens donné par les acteurs à leurs pratiques. Dans ce contexte, les associations deviennent de simples “gestionnaires” et les établissements des “prestataires” en concurrence, perdant au passage leur statut de partenaires sociaux dans la conduite des politiques publiques. Un référentiel unique se superpose aux politiques publiques : ce ne sont plus la loi et un projet de société qui construisent les ressorts de l’action, mais une “Haute Autorité”. Ses domaines de compétences ciblés sur la santé ne semblent pas lui permettre de prendre en compte la spécificité du travail social (cœur de métier, approches, méthodes).

Négation du détail

La HAS souhaite ainsi imposer un référentiel unique pour tout un secteur, agrémenté de quelques ajustements à définir en devant justifier de la non-applicabilité des normes. L’unicité du référentiel est méthodologiquement inadaptée à la diversité des acteurs du champ de l’intervention sociale. Les sujets sont tantôt trop ciblés, tantôt trop larges, inapplicables ou inadaptés. Ou leur formulation trop vague. Dans tous les cas, un référentiel unique devient rapidement une usine à gaz (189 critères sont déjà rédigés) perdue entre une volonté d’exhaustivité et l’impossibilité de trouver un compromis acceptable entre le détail qui fait la différence et un pilotage global qui porte le sens de l’action. Le risque que comporte ce référentiel de par son ampleur est d’aboutir à des réponses succinctes pour chaque critère, au détriment d’une analyse globale et multidimensionnelle des organisations.

Là où le décret de 2007 présentait des thématiques incontournables et ouvrait sur leur mise en relation avec l’appui de la multiréférentialité qu’elles sollicitent, la mouture présentée par la HAS se met à juxtaposer des critères. Le référentiel présenté ferme ainsi l’accès à la complexité des dispositifs et aux paradoxes qui les traversent. Loin d’une approche systémique qui mettrait en valeur des processus, des enjeux et des effets, la production de réponses à des critères établis comme des données substantialisées (c’est-à-dire non en mouvement) en viendra à vider l’exercice d’évaluation de son sens initial.

Il est d’ailleurs raisonnable de considérer que la non-production d’un référentiel par l’Anesm (Agence nationale de l’évaluation et de la qualité des établissements et services sociaux et médico-sociaux) était un appel à la créativité des ESSMS et des évaluateurs pour promouvoir des méthodes à la hauteur de la complexité humaine qui caractérise les structures.

Bref, l’épistémologie mobilisée par ce référentiel ne nous semble pas adéquate. Elle peut même devenir contreproductive en observant les organisations comme une addition de pratiques juxtaposées, au risque de perdre le sens même de ces pratiques, de ne plus les relier à une finalité, de ne plus mettre en lumière les arbitrages que les ESSMS doivent réaliser entre des impératifs antagonistes.

Absorption du social par le sanitaire

Le décret de 2007 pose une démarche reposant sur des thématiques incontournables, ce qui n’induit pas de standardisation. Or la déclinaison d’un objectif en critères porte en implicite sa charge normative. Dire, par exemple, que “les professionnels adaptent le projet d’accompagnement au risque lié à la sexualité auquel la personne est confrontée” (critère 2.9.9) sous-entend un cadre normatif clair. L’absorption du social par le sanitaire provoque une porosité qui doit être surveillée. Le travail social vise à dessiner la vie, à promouvoir un développement pour toute personne accompagnée. Dans cette perspective, le risque fait partie du vivre. Il n’est donc pas question d’aseptiser le vivant et sa socialité en se fixant sur les risques et laisser ainsi la peur guider les pratiques. On ne peut pas séparer, comme cela est proposé ici, les risques liés à la sexualité d’une approche dynamique et constructive de celle-ci. En appliquant ce critère, une structure qui aurait une politique restrictive de la sexualité serait conforme au critère, alors même qu’elle agit à l’encontre de ses missions.

Autre exemple, l’objectif 2.3 – “Les professionnels favorisent la continuité de l’accompagnement dans l’ESSMS” – est accompagné de quatre critères qui ne portent que sur l’absence de rupture ; comme si empêcher ou traiter les ruptures suffisait en soi à garantir une continuité de l’accompagnement qui se construit au quotidien sur différents axes. Le référentiel HAS, dans sa conception même, risque d’induire une approche erronée du travail social, qui n’est pas compris dans sa dynamique.

Or l’évaluation, plutôt que d’aller chercher une conformité à partir d’un référentiel induisant sa normalité, doit mettre en valeur ce qui fait la singularité d’un dispositif, de ses pratiques et de son impact social dans un environnement donné. C’est bien au regard du projet d’établissement, de ses missions conduites dans le cadre de politiques publiques en réponse aux besoins des publics qu’elle doit être réalisée. Rien ici ne peut être standardisé.

Il est à craindre que les fondements de l’évaluation affirmés dans le décret de 2007 soient mis en obsolescence, en dépit de leur pertinence :

“1.1 – L’évaluation doit viser à la production de connaissance et d’analyse. Elle a pour but de mieux connaître et comprendre les processus” ;

“1.2 – L’évaluation est distincte du contrôle des normes en vigueur”.

Accréditation orientée

Pour produire des évaluations externes qualitatives, il est important de disposer d’évaluateurs formés aux techniques des sciences humaines et sociales, maîtrisant les pratiques et la culture des champs d’intervention et capables de produire de la connaissance et des analyses pertinentes, ce que le diplôme d’Etat d’ingénierie sociale (DEIS) permet.

Pourtant, le seul critère annoncé à ce jour pour les évaluateurs serait l’obtention d’une accréditation par le Comité français d’accréditation, lequel pose le critère d’éligibilité suivant : “L’activité pour laquelle vous demandez l’accréditation est reconnue comme une activité d’évaluation de la conformité.” On voit ici la cohérence de la proposition de la HAS visant à faire de l’évaluation un contrôle de conformité, un processus de production normative, en lui appliquant les méthodes du sanitaire et un référentiel unique ; en opposition avec le décret de 2007, qui donnait un tout autre sens à l’évaluation des ESSMS.

Uniformisation, normalisation… et on appellera “management de la qualité” la fin de l’enthousiasme créatif. »

Contact : andelis.e-monsite.com

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