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Etat des lieux des prisons françaises

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Surpopulation, vétusté, insalubrité… La France est condamnée régulièrement par la Cour européenne des droits de l’Homme pour le non-respect des droits fondamentaux des personnes privées de liberté. Point sur les conditions de travail et de détention dans les établissements pénitentiaires français.

Les problèmes de la surpopulation carcérale ont davantage été mis en exergue, si c’était possible, par l’épidémie de la Covid-19. Ce phénomène est endémique, ancien et touche tous les types d’établissements pénitentiaires, dans lesquels le droit des personnes détenues est presque systématiquement bafoué. L’Etat est régulièrement condamné pour ses manquements en la matière par les instances judiciaires françaises mais également européennes. Après un rappel historique, le présent dossier dressera un état des lieux du travail en prison et des conditions de détention.

I. Le contexte

 

A. Repères chronologiques

La politique pénitentiaire française a fortement évolué depuis l’abolition de la torture en 1788.

Au moment de la Révolution française et sous l’influence de la pensée de l’italien Cesare Beccaria, un des fondateurs du droit pénal moderne, la peine va progressivement se détacher du corps de l’individu afin de l’atteindre dans sa liberté. Auparavant, les prisons étaient des lieux où les personnes attendaient leur châtiment. Le code pénal de 1791 généralise la peine privative de liberté afin de la substituer aux châtiments corporels de l’Ancien Régime. Il conserve néanmoins les travaux forcés et la peine de mort, qui sera abolie seulement en 1981.

En 1875, la loi « Bérenger » généralise l’emprisonnement cellulaire dans les prisons départementales. L’objectif des autorités était d’éviter la contagion morale des cellules collectives.

Au cours du XXe siècle, le législateur a réformé à de nombreuses reprises les règles de détention. Il a notamment mis en place le sursis avec mise à l’épreuve en 1959 ou encore le contrôle judiciaire en 1970.

Dernièrement, une importante réforme a été menée en 2009 avec la loi n° 2009-1436 du 24 novembre 2009, dite loi « pénitentiaire ». Elle est venue améliorer les droits des détenus en matière de vie privée et de travail et développer les aménagements de peine.

 

 

B. Surpopulation

Depuis le milieu des années 1970, le nombre de personnes détenues a été multiplié par 2,4 selon l’Observatoire international des prisons (OIP). Si l’on comptait à peine 30 000 détenus en 1977, les chiffres dépassent les 60 000 depuis le début des années 2000.

En mars 2020, au début de la crise sanitaire, la France dénombrait près de 72 400 détenus, « un taux de détention inégalé depuis le XIXe siècle », selon l’OIP.

Durant l’épidémie de la Covid-19, de nombreuses mesures ont été prises pour réduire le nombre de personnes incarcérées et ainsi freiner l’épidémie de la Covid-19 au sein des prisons. Néanmoins, au 1er mars 2021, il y avait en France 64 405 détenus pour 60 775 places(1). De surcroît, la densité carcérale, c’est-à-dire le rapport entre le nombre de détenus et la capacité opérationnelle, reste toujours élevée à ce jour. Elle est d’environ 106 % sur la France entière.

Selon Adeline Hazan, l’ancienne CGLPL (voir encadré ci-contre), « la surpopulation, non seulement dénature le sens de la peine privative de liberté, mais porte atteinte à la dignité et à l’ensemble des droits fondamentaux des personnes détenues, du fait de l’aggravation manifeste des conditions matérielles de détention, des tensions et violences qu’elle génère, de l’altération de la qualité des soins ou des obstacles au maintien des liens extérieurs et aux dispositifs de réinsertion qui en découlent »(1).

 

 

C. Typologie des prisons

Le système carcéral français se divise en deux types d’établissements :

• les maisons d’arrêt qui regroupent les détenus en attente de leur procès et ceux qui ont été condamnés à une peine d’emprisonnement inférieure à 2 ans.

• les établissements pour peine qui accueillent les détenus condamnés à une peine d’emprisonnement d’au moins 2 ans. Parmi ces établissements, on distingue notamment :

– les centres de détention, destinés aux détenus qui présentent des perspectives de réinsertion ;

– les maisons centrales, qui regroupent les personnes détenues présentant les plus grands risques ;

– les centres de semi-libertés, spécialisés dans l’accueil des détenus qui bénéficient d’un aménagement de leur peine ;

– les centres pénitentiaires qui sont de grands établissements concentrant au minimum deux régimes de détention distincts (par exemple, un centre de détention et une maison d’arrêt).

A noter : Au regard des statistiques publiées par le ministère de la Justice, on constate que les établissements pénitentiaires les plus touchés par la surpopulation carcérale sont les maisons d’arrêt.

 

II. Le travail en prison

Développer une activité professionnelle au cours de la détention donne la possibilité au détenu d’acquérir des compétences et de découvrir un métier, ce qui favorise son retour à l’emploi à la fin de sa détention et peut l’aider à se réinsérer. On observe également que l’insertion professionnelle dès le stade de la détention permet de prévenir la récidive.

En outre, les personnes détenues qui travaillent perçoivent une rémunération qui leur donne notamment la possibilité de payer les dépenses liées à la détention, d’accompagner leurs proches à l’extérieur, d’indemniser leurs éventuelles victimes ou encore de constituer une épargne en vue de leur sortie.

Par ailleurs, le travail en prison contribue à « donner du sens à la peine », selon les autorités, dans la mesure où elle permet aux détenus de ne pas rester inactifs tout au long de leur détention.

 

A. État des lieux

Dans son rapport de 2018, le contrôleur général des lieux de privation de liberté (CGLPL) constate que la majorité des personnes détenues souhaitent travailler. Néanmoins, les postes sont limités. On observe par exemple que certains détenus sont placés sur des listes d’attente pendant plusieurs mois. Ces restrictions ont des conséquences néfastes sur la réinsertion des détenus et la préparation à la sortie de prison.

En 2014, selon les chiffres publiés par la direction de l’administration pénitentiaire, 16 490 détenus occupaient un emploi. Ils représentaient alors 24,4 % de la population incarcérée.

 

1. Organisation générale

Le travail en prison n’est pas obligatoire, les personnes détenues doivent se porter volontaires. Les responsables pénitentiaires n’ont quant à eux pas l’obligation de fournir une prestation de travail aux détenus.

La prestation de travail peut être accomplie dans les locaux de la prison ou en dehors si le détenu bénéficie d’un régime de semi-liberté.

Lorsque le travail est accompli au sein de la prison, plusieurs hypothèses sont envisageables :

• le détenu peut travailler pour une structure privée dans le cadre du régime de la concession ;

• le détenu peut exercer une activité pour la régie industrielle des établissements pénitentiaires (Riep). Les biens et services produits sont alors vendus à l’extérieur de la prison ;

• le détenu peut être affecté au service général de l’établissement. Les services sont alors accomplis pour assurer le bon fonctionnement de la prison.

A noter : Au cours de leur détention, les personnes incarcérées peuvent également bénéficier d’une formation professionnelle qualifiante. Dans certains cas, des mesures peuvent également être mises en place pour poursuivre une formation à l’extérieur.

 

 

2. Inscription sur la liste des effectifs

Les personnes détenues qui souhaitent exercer une activité professionnelle doivent formuler une demande de travail. Cette dernière est ensuite analysée par la commission pluridisciplinaire unique (CPU) qui est présidée par le chef de l’établissement pénitentiaire.

La commission détermine l’activité la plus adaptée au détenu puis l’inscrit sur la liste des effectifs de travailleurs. L’activité est déterminée par la commission en fonction de son influence sur la réinsertion du détenu, de son âge, de ses capacités, de son handicap ou encore de sa personnalité (loi « pénitentiaire » du 24 novembre 2009, art. 27).

En pratique, la CGLPL constate dans son rapport que le nombre de détenus demandant un travail est supérieur au nombre de places disponibles. Chaque année, beaucoup de personnes se retrouvent ainsi sur liste d’attente pendant des semaines, voire des mois.

 

 

3. Exclusion du droit du travail

Un travailleur détenu ne rentre pas dans le champ d’application du code du travail. Lorsqu’il commence son activité professionnelle, il ne signe pas de contrat de travail avec l’établissement pénitentiaire (code de procédure pénale [CPP], art. 717-3) mais un acte d’engagement (loi « pénitentiaire » du 24 novembre 2009, art. 33). Cet acte énonce notamment les droits et obligations professionnels du détenu, ses conditions de travail ou encore sa rémunération.

La rémunération est établie en fonction de l’activité. Le code de procédure pénale fixe un revenu minimal qui correspond à un pourcentage du salaire minimum interprofessionnel de croissance (Smic). La rémunération ne peut être inférieure à 20 % du Smic soit 1,62 € net en 2021 (CPP, art. D. 432-1).

A noter : Les travailleurs détenus sont affiliés au système de l’assurance vieillesse. Toutefois, les droits à la retraite sont fonction des rémunérations et des cotisations payées. Dès lors, ils bénéficient de droits inférieurs à une personne gagnant le Smic et sont en très grande précarité.

De surcroît, la durée du travail journalière et hebdomadaire ne peut excéder les horaires effectués au sein du même type d’activité en milieu libre. Les détenus bénéficient également d’un temps de repos hebdomadaire et ne travaillent pas les jours fériés. Néanmoins en pratique, le droit au repos des travailleurs n’est pas systématiquement appliqué notamment au service général.

A noter : En cas de litige, les détenus ne peuvent pas saisir le conseil de prud’hommes. Ils doivent se tourner vers l’administration pénitentiaire directement ou le tribunal administratif.

 

 

 

B. Perspectives d’évolution

Ces dernières années, plusieurs détenus ont formulé des questions prioritaires de constitutionnalité (QPC) pour contester la validité des dispositions du code de procédure pénale et notamment celles relatives à la rémunération. Le Conseil constitutionnel a validé l’ensemble des dispositions contestées estimant qu’elles ne portaient pas atteinte aux droits et libertés fondamentaux (voir notamment C. const., 14 juin 2013, n° 013-320 QPC).

Les conditions de travail des détenus sont critiquées. L’OIP rappelle que le travailleur détenu ne bénéficie pas par exemple d’indemnité en cas de chômage technique ou d’accident. De son côté, le CGLPL précisait, dans son rapport publié en 2018, que de mauvaises conditions de travail comme la surpopulation carcérale et la raréfaction des postes disponibles nuisaient à la réinsertion des détenus.

Ces critiques ne sont pas nouvelles. En 2015, une tribune publiée par plus de 400 universitaires faisait état d’un « régime juridique aussi incertain qu’attentatoire aux droits sociaux fondamentaux des personnes incarcérées ».

A terme, il semblerait que la situation soit amenée à changer. Selon l’actuel garde des Sceaux, Eric Dupont-Moretti, « il ne peut pas y avoir de décalage entre la prison et le reste de la société, ou alors on considère que la prison est une société à part ».

Ces changements apparaissent dans l’avant-projet de loi pour la confiance dans l’institution judiciaire. L’article 11 de ce texte prévoit la création d’un « contrat d’emploi pénitentiaire » qui viendrait remplacer l’acte d’engagement unilatéral. L’avant-projet de loi précise également en son article 12 l’existence d’une période d’essai d’une durée qui ne peut excéder :

• 2 semaines lorsque la durée du contrat est au plus égale à 6 mois ;

• 1 mois lorsque la durée du contrat est supérieure à 6 mois ou indéterminée.

Toutefois, la période d’essai peut, selon le texte, être prolongée pour une durée maximale de 2 mois lorsque la technicité du poste le justifie.

En outre, il fixe la durée du travail à 35 heures par semaine et prévoit le paiement d’heures supplémentaires à hauteur de 25 % pour chacune des 8 premières heures supplémentaires et de 50 % pour les suivantes. De surcroît, l’avant-projet de loi prévoit également les conditions dans lesquelles il peut être mis fin au contrat d’emploi pénitentiaire. Ainsi il met en place plusieurs mécanismes distincts : le déclassement et la désaffectation ou la rupture d’un commun accord.

Le déclassement peut être prononcé, par le chef d’établissement, en cas de faute disciplinaire du 1er degré, de faute disciplinaire ayant eu lieu durant le travail ou lorsque la personne détenue a entravé ou tenté d’entraver les activités de travail, de formation, culturelles, cultuelles ou de loisirs.

La désaffectation pour un travail en production, peut être prononcée par le chef d’établissement en cas de faute disciplinaire du 2e et 3e degré ou par l’entreprise, l’association ou le service chargé de l’activité de travail en cas d’inaptitude, d’insuffisance professionnelle, de force majeure ou de motif économique. Lorsque le donneur d’ordre est une structure d’insertion par l’activité économique ou une entreprise adaptée, la désaffectation peut également être prononcée par ces derniers en cas de non-respect de l’accompagnement socioprofessionnel proposé. Dans le cadre du service général, le chef d’établissement peut prononcer une désaffectation pour l’ensemble de ces motifs.

Enfin, le contrat pourra être suspendu dans certaines hypothèses, par exemple à titre de sanction disciplinaire, lorsque la personne dispose d’un arrêt de travail ou encore pour le maintien du bon ordre et de la sécurité de l’établissement pénitentiaire.

Par ailleurs, le ministre de la Justice a également précisé qu’il envisageait de créer un code pénitentiaire afin de regrouper toutes les règles relatives à la détention (projet de loi pour la confiance dans l’institution judiciaire, art. 15).

 

III. Les conditions de détention et les recours

 

A. État des lieux

Les juridictions nationales et internationales ont condamné la France a plusieurs reprises en raison des conditions de détention dans les établissements pénitentiaires.

 

1. Avant l’épidémie de la Covid-19

Sur l’ensemble du territoire français, on recueille des témoignages de détenus qui font état d’insalubrité, de vétusté ou encore de surpopulation. Au 30 janvier 2020, l’observatoire international des prisons dénombrait 40 prisons françaises condamnées pour des conditions de détention indignes. Ces difficultés concernent aussi bien la France métropolitaine que l’outre-mer.

 

a) Condamnations répétées par la Cour européenne des droits de l’Homme

Conformément à l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’Homme : « Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. »

Au fil de ses décisions, la Cour européenne des droits de l’Homme (CEDH) est venue préciser les situations dans lesquelles elle estime que cet article est violé. Elle a ainsi posé une présomption de violation de l’article 3 dans certaines hypothèses. A titre d’illustration, dans un arrêt de grande chambre (CEDH, 20 octobre 2016, n° 7334/13, aff. Mursic/Croatie), les juges ont indiqué que lorsque l’espace personnel des détenus est inférieur à 3 m2 au sein d’une cellule collective, il existe une « forte présomption de violation » de l’article 3. Dans cette hypothèse, il appartient alors aux autorités de démontrer le contraire en prouvant que les réductions de l’espace personnel sont « courtes, occasionnelles et mineures », qu’elles s’accompagnent d’une « liberté de circulation suffisante » et que l’établissement pénitentiaire offre, de façon générale, des « conditions de détention décentes ».

Dans un deuxième arrêt, les juges strasbourgeois ont précisé que la promiscuité cumulée à des manquements aux règles d’hygiène peut provoquer « des sentiments de désespoir et d’infériorité » propres à humilier et rabaisser les détenus ce qui s’analysait alors comme un traitement dégradant (CEDH, 25 avril 2013, n° 40119/09, aff. Canali c/France).

Dernièrement, la France a de nouveau été condamnée par un arrêt historique en raison de la surpopulation carcérale. Le 30 janvier 2020, la CEDH a rendu un arrêt « J.M.B et autres contre France ». Une présomption de violation de l’article 3 de la Convention a été retenue compte tenu des conditions de détention de certains détenus. L’arrêt précise en effet que « les requérants se plaignent tous de la proximité de la table à manger avec les toilettes qui ne sont séparées du reste de la cellule que par un rideau. Ils dénoncent l’insalubrité des cellules, infestées d’animaux nuisibles (rats, cafards, souris, fourmis), la saleté des toilettes ainsi que le manque d’hygiène (absence de poubelle, de produits d’hygiène, draps en très mauvais état) et d’aération. Certains se plaignent d’un manque de lumière, disent souffrir de problèmes de peau et d’allergie et évoquent des difficultés à stocker les denrées alimentaires. D’autres craignent le climat de violence. Certains se plaignent de l’absence de soins ou de leur insuffisance. Tous affirment être enfermés entre 15 heures – parfois avec des fumeurs alors qu’ils ne le sont pas – et 22 heures par jour. » Face à ce constat, les autorités françaises ne sont pas parvenues à démontrer l’absence de traitements inhumains ou dégradants et ont ainsi été condamnées.

La France avait d’ores et déjà été condamnée en 2015 dans l’affaire « Yengo c/France » (CEDH, 21 mai 2015, n° 50494/12, aff. Yengo c/France). Elle avait alors estimé que la France n’offrait aucun recours effectif permettant aux détenus de faire cesser ou d’améliorer leurs conditions de détention lorsque ces dernières étaient inhumaines et dégradantes ce qui contrevenait à l’article 13 de la Convention européenne protégeant le droit à un recours effectif. Cette affaire avait été portée devant la Cour par un détenu incarcéré au centre pénitentiaire de Nouméa.

 

 

b) Rapport du contrôleur général des lieux de privation de liberté

En février 2018, Adeline Hazan, alors CGLPL, a publié un rapport intitulé « Les droits fondamentaux à l’épreuve de la surpopulation carcérale ». Dans ce rapport, la CGLPL estime que la surpopulation carcérale compromet le respect des droits fondamentaux des détenus et liste plusieurs raisons distinctes.

• La surpopulation est un facteur d’aggravation des conditions matérielles de détention indignes. Bien que l’encellulement individuel soit un droit, celui-ci est en pratique illusoire. Selon le gouvernement, en 2016, sur 68 819 détenus seuls 39 % bénéficiaient d’une cellule individuelle.

De surcroît, le rapport constate que de nombreuses personnes détenues sont contraintes de dormir sur un matelas au sol. A titre d’illustration, en 2016, la maison d’arrêt de Nanterre comptait 1 035 personnes alors qu’elle ne disposait que de 592 places, et 18 personnes dormaient sur un matelas au sol.

En outre, la promiscuité porte atteinte à l’intimité et à l’hygiène des détenus.

• La surpopulation est un obstacle à l’accès aux soins de qualité. Le rapport dénonce le manque de locaux et de matériels adaptés et constate la détérioration des soins. Adeline Hazan estime que la surpopulation nuit « gravement » à l’accès et à la qualité des soins.

• La surpopulation est une situation propice à l’insécurité et un facteur de tensions. Le rapport dénonce les nombreux incidents liés au manque d’espace des détenus (tensions entre fumeurs et non-fumeurs, manque de places pour circuler ou encore le choix du programme de télévision).

• La surpopulation est une cause d’altération des liens avec l’extérieur. Elle conduit à augmenter le nombre de demandes de permis de visite et allonge ainsi les délais. Elle restreint l’accès des visiteurs et altère ainsi les liens des détenus avec leurs proches.

 

 

 

2. Pendant l’épidémie de la Covid-19

L’épidémie de la Covid-19 n’a pas épargné les établissements pénitentiaires. Des cas ont très rapidement été diagnostiqués en mars 2020. La CGLPL a alerté les autorités dès le début de la crise sanitaire et appelé à réduire la surpopulation pénale, à protéger les détenus et à prévoir des dispositifs pour compenser le confinement. Des protocoles ont ainsi été mis en place pour limiter la circulation du virus mais l’épidémie s’est progressivement diffusée dans de nombreuses prisons françaises.

Face à cette situation, les autorités ont pris plusieurs types de mesures. Pendant le premier confinement, les parloirs ont ainsi été suspendus avant d’être progressivement rouverts en mai 2020. Afin de compenser l’interdiction des visites, les détenus ont notamment bénéficié d’un crédit mensuel de téléphone de 40 € et d’une gratuité de la télévision.

De surcroît, des placements en quatorzaine ont été organisés pour tous les détenus qui présentaient des symptômes. De plus, le nombre d’entrées en détention a fortement baissé et des aménagements de peines ont été autorisés. Tel a notamment été le cas pour les personnes condamnées à moins de 5 ans de prisons et pour lesquelles la peine restant à effectuer était égale à 2 mois. Au début du mois de mai 2020, après application de ces mesures, 12 793 détenus avaient ainsi été libérés.

Ces derniers mois, le nombre de détenus a de nouveau augmenté pour atteindre plus de 64 000 début mars 2021. En janvier 2021, l’Observatoire international des prisons a constaté que dans 62 maisons d’arrêt le taux d’occupation atteignait 120 % et dépassait 150 % dans 19 maisons d’arrêt.

En raison de la promiscuité et des difficultés pour respecter les gestes barrières, les cas de Covid-19 se sont multipliés. A ce jour, les conditions de détention ne se sont pas améliorées.

 

 

 

B. Les recours

Au cours de l’année 2020, la Cour européenne des droits de l’Homme comme le Conseil constitutionnel ont unanimement critiqué les recours à la disposition des détenus se trouvant dans des conditions inhumaines et dégradantes. Face à cette situation alarmante, la Cour de cassation et les parlementaires ont mis en place de nouveaux recours.

 

1. Le système existant

 

a) Le référé-liberté

Le référé-liberté est un recours formé contre une décision administrative qui porte atteinte de façon grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale. Le demandeur est tenu d’établir une urgence ainsi qu’une atteinte suffisamment grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale. Le juge des référés se prononce dans un délai de 48 heures et peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d’une liberté fondamentale (code de justice administrative [CJA], art. L. 521-2).

Cette voie de recours peut être utilisée par les détenus qui sont confrontés à des conditions indignes de détention. En effet, le Conseil d’Etat a estimé que le droit au respect de la vie ainsi que le droit de ne pas être soumis à des traitements inhumains ou dégradants constituent des libertés fondamentales (voir notamment CE, 22 décembre 2012, n° 364584).

Cependant, la CEDH est revenue sur ce recours dans l’arrêt « J.M.B. et autres c/France » déjà cité et a soulevé plusieurs difficultés. Tout d’abord, le juge des référés a un pouvoir d’injonction limité. Il ne peut pas ordonner des mesures de réorganisation structurelle du service public de la justice. Il est seulement compétent pour prononcer des mesures d’urgence. De plus, les injonctions du juge du référé liberté mettent parfois beaucoup de temps avant d’être mises en place et le budget est insuffisant.

 

 

b) Le recours devant le juge des libertés et de la détention

Les personnes placées en détention provisoire peuvent demander leur remise en liberté si leur détention excède une durée raisonnable ou si la mesure n’est plus justifiée par l’une des conditions légales telles que la sauvegarde des preuves ou des indices ou encore la protection de la personne mise en examen (CPP, art. 144-1). En revanche, elles ne peuvent pas se fonder sur leurs conditions de détention. Par conséquent, le Conseil constitutionnel a estimé que les personnes en détention provisoire ne disposaient pas d’un recours effectif en vue de contester leurs conditions de détention (C. const., 2 octobre 2020, n° 2020-858/859 QPC).

 

 

 

2. L’ouverture de nouvelles voies de recours

 

a) La création d’une nouvelle voie de recours par la Cour de cassation pour les personnes en détention provisoire

Au cours de l’année 2020, plusieurs décisions importantes sont intervenues. Le 8 juillet 2020, la chambre criminelle de la Cour de cassation a estimé que les conditions indignes de détention pouvaient directement fonder une mise en liberté (Cass. crim., 8 juillet 2020, n° 20-81739). Le demandeur doit présenter une description précise de ses propres conditions de détention. A charge ensuite pour les autorités d’effectuer des vérifications des faits allégués.

La Haute Juridiction a ainsi rejeté le pourvoi formé mais elle a créé une nouvelle voie de recours pour les personnes placées en détention provisoire dans des conditions indignes. Cet arrêt marque « une évolution substantielle » de la jurisprudence de la Cour de cassation (Note explicative relative à l’arrêt, www.courdecassation.fr).

 

 

b) La prise de position des juges constitutionnels

Le Conseil constitutionnel s’est prononcé sur la constitutionnalité de l’article 144-1 alinéa 2 du code de procédure pénale qui prévoyait les situations dans lesquelles le juge d’instruction ou le juge des libertés et de la détention devait ordonner la mise en liberté immédiate d’une personne placée en détention provisoire. Cette disposition a été abrogée par une décision du 2 octobre 2020. Les juges constitutionnels ont estimé que le législateur devait aussi ouvrir un recours aux personnes placées en détention provisoire dans des conditions contraires à la dignité humaine.

A noter : Les effets de cette décision ont été reportés au 1er mars 2021. Le Conseil constitutionnel a ainsi donné 6 mois aux parlementaires pour modifier la législation.

 

 

c) La création d’un nouveau recours judiciaire par le législateur

Une nouvelle loi n° 2021-403 du 8 avril 2021 tendant à garantir le droit au respect de la dignité en détention a été promulguée. Elle prévoit un nouveau recours devant le juge judiciaire pour tous les détenus qui sont confrontés à des conditions indignes de détention.

Les personnes qui s’estiment détenues dans des conditions indignes peuvent saisir le juge des libertés et de la détention, lorsqu’elles sont en détention provisoire, ou le juge de l’application des peines, lorsqu’elles exécutent une condamnation.

La requête du détenu doit s’appuyer sur des allégations « circonstanciées, personnelles et actuelles ». Dès lors que le juge considère la demande recevable, il sollicite des vérifications et des observations au sein de l’établissement pénitentiaire concerné sous 3 à 10 jours.

Si la requête est fondée, le juge compétent demande à l’établissement pénitentiaire de prendre les mesures nécessaires pour remédier à la situation dans un délai maximal de 1 mois. A défaut, il peut prononcer le transfert du détenu, sa mise en liberté ou un aménagement de sa peine.

La décision du juge est susceptible d’appel et l’appel interjeté par le ministère public suspend la décision s’il intervient dans un délai maximal de 24 heures.

A noter : Les autorités précisent que ces dispositions législatives seront prochainement complétées par décret.

 

 

 

Le contrôleur général des lieux de privation de liberté (CGLPL)

Le CGLPL est une autorité administrative indépendante nommée pour 6 ans. Afin de garantir son indépendance, il ne reçoit aucune instruction et ne peut être révoqué.

Le CGLPL veille au respect des droits fondamentaux des personnes privées de liberté. Il s’assure ainsi qu’elles soient traitées avec humanité et dans le respect de leur dignité.

Il s’intéresse particulièrement aux conditions de détention, de rétention ou d’hospitalisation. Dans le cadre de ses missions, il peut être amené à visiter des établissements pénitentiaires, des locaux de garde à vue, des établissements de santé ou encore des locaux de rétention douanière.

Le premier CGLPL a été nommé en 2008. Depuis cette date, les fonctions ont été confiées à Jean-Marie Delarue puis à Adeline Hazan. Elles sont actuellement exercées par Dominique Simonnot, qui a été nommée le 14 octobre 2020.

Dominique Simonnot a été éducatrice à l’administration pénitentiaire puis journaliste spécialisée dans les affaires judiciaires.

Autres mesures contre la surpopulation

La loi de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice du 23 mars 2019 a d’ores et déjà envisagé d’augmenter le budget de la justice en vue notamment de créer des places supplémentaires dans les prisons existantes, d’en construire de nouvelles ou encore d’embaucher plus de personnel. Il est également prévu de modifier et de réorganiser l’échelle des peines. Les travaux d’intérêt général pourraient être privilégiés pour certains types d’infractions.

QPC sur les conditions de détention des détenus

Le 6 avril dernier, le Conseil constitutionnel a examiné une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) sur le droit au recours effectif des personnes détenues. La décision précitée du 2 octobre 2020 ne concernait que les personnes placées en détention provisoire. Les requérants ont précisé qu’il n’existait à ce jour aucune voie de recours effective pour les personnes détenues dans des conditions inhumaines ou dégradantes.

Face à cette question, le gouvernement a présenté le nouveau recours en précisant qu’il serait ouvert aux personnes placées en détention provisoire et aux personnes détenues. Il a ainsi demandé au Conseil constitutionnel de prendre en compte ces nouvelles mesures.

Déclaration de la CNCDH sur la proposition de loi tendant à garantir le droit au respect de la dignité en détention

La Commission nationale consultative des droits de l’Homme (CNCDH) s’est prononcée, le 25 mars 2021, sur la proposition de loi. Elle rappelle que la CEDH requiert la présence de certaines garanties comme l’indépendance de l’instance par rapport à l’administration pénitentiaire ou encore la célérité de la procédure pour reconnaître l’effectivité d’un recours en justice. Or elle a constaté que ces conditions n’étaient pas remplies dans la mesure où le juge se prononce dans un délai de 13 à 40 jours à compter du dépôt de la requête, ce qui est « bien trop long lorsqu’il est question de conditions de détention contraires à la dignité humaine ». En outre, elle a relevé que l’administration pénitentiaire dispose d’un pouvoir souverain pour apprécier les moyens devant être mis en œuvre. En effet, le juge ne peut vérifier a priori la conformité des mesures proposées par l’administration. Par ailleurs, la CNCDH a critiqué le transfert vers un autre établissement pénitentiaire présenté comme une option susceptible de remédier à ces conditions de détention. La CNCDH juge cette alternative « inappropriée ». Elle estime qu’il conviendrait de privilégier, « pour les prévenus, la remise en liberté immédiate, le cas échéant sous contrôle judiciaire ou surveillance électronique ; et pour les condamnés, le prononcé d’un aménagement de peine s’ils y sont éligibles ».

Notes

(1) Statistiques du ministère de la Justice.

(2) Rapport CGLPL 2018 – « Les droits fondamentaux à l’épreuve de la surpopulation carcérale ».

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