La prostitution divise. La loi de lutte contre le « système prostitutionnel », votée le 13 avril 2016, aussi. Si le délit de racolage a été supprimé, si les travailleurs et travailleuses du sexe (TDS) sont passés du statut de délinquants à celui de victimes, si, chaque année, environ 1 300 clients – chiffre dérisoire – sont sanctionnés d’une amende de 1 500 €, le bilan reste maigre (page 8). Non seulement les violences et la précarité ont explosé mais, en cinq ans, et faute de moyens suffisants, à peine 600 personnes ont bénéficié du parcours de sortie de la prostitution (PSP) institué par la loi.
Sans hébergement, sans aide financière minimale et sans accompagnement dédié, impossible de couper avec le plus vieux métier du monde (page 13). Le 8 avril dernier, lors d’une table ronde sur le bilan de la loi au Sénat, Elvire Arrighi, cheffe de l’Office central pour la répression de la traite des êtres humains à la direction de la police judiciaire, notait la « persistance des réseaux étrangers extrêmement structurés et plongeant les jeunes femmes dans une misère absolue ». Les actes tarifés n’ont pas non plus diminué, les modes opératoires ayant glissé de « l’espace public vers l’espace numérique et privé ». La loi a donc amplifié le recours à la prostitution en ligne, la rendant encore plus invisible et incontrôlable. Comment, dans ces conditions, protéger les victimes ? Des proies dont 6 000 à 10 000 sont mineures. « Escorting », « michetonnage », les pratiques d’exploitation sexuelle se banalisent via les réseaux sociaux et, là encore, le législateur n’a pas pensé à combler le vide. « Quand une jeune fille est prise dans un réseau, une réponse pour l’extraire immédiatement devrait exister, explique Marie-Laure Salignat, responsable des services éducatif et psychologie d’une maison d’enfants à caractère social marseillaise. Mais cela n’arrive jamais, faute de dispositif » (page 14). La crise sanitaire a aggravé la situation. Sans revenu, de nombreux TDS n’ont pas eu de quoi se nourrir ni payer leur loyer. Expulsés de leur logement, ils sont venus grossir les rangs des centres d’hébergement spécialisés, déjà largement saturés (pages 12 et 13). Les associations d’aide aux prostitués, partisanes de l’abolition de la prostitution, militent désormais pour une application plus sévère de la législation, comme Delphine Jarraud, déléguée générale de l’Amicale du Nid, interviewée dans le podcast SMS de la semaine (disponible sur notre site www.ash.tm.fr/podcasts). Les autres en appellent plutôt à une réglementation du travail du sexe sur le modèle allemand. Un clivage qui pourrait – peut-être ? – s’atténuer si l’on demandait leur avis aux principaux intéressés.