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L’amour n’a pas de prix

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C’est une situation un peu particulière. Et qui me laisse un goût amer. Dans mon bureau, ce couple que je suis depuis quelques années. Séparément d’abord, puis ensemble. Ils sont jeunes, ils sont beaux, ils s’aiment… la vie comme sur des roulettes. Les roulettes, justement, c’est la seule ombre à ce tableau idyllique. Les roulettes de Monsieur, plus précisément.

Monsieur touche 903,60 € par mois au titre de l’allocation aux adultes handicapés (AAH). « C’est quand même 90 centimes de plus que l’an dernier, c’est pas rien, imaginez un peu toutes les folies que je vais enfin pouvoir me permettre ! », me dit-il en riant.

Il rit, je souris, mais ça n’a rien de drôle. Comment vit-on avec 900 € par mois ?

« On compte, me répond-il. Je suis un as du calcul mental et un roi de la débrouille. Je compte et je recompte, je soustrais souvent et j’additionne rarement. Mais je garde espoir, je suis justement en train de rédiger un best-seller qui va me rapporter un max de thunes : Cinquante nuances de pâtes, la débrouille avec les nouilles, avec d’incroyables recettes de spaghettis à la sauce tomate, macaronis au beurre, coquillettes à l’eau… »

Il rit et je ne souris plus. Et Madame ? Il y a eu des périodes compliquées, des hauts pas très hauts et des bas très bas, mais aujourd’hui ça va, elle a un bon travail et un salaire correct qui lui permet enfin d’être financièrement autonome. D’ailleurs, c’est un peu pour ça qu’ils sont là. Parce que séparément, ils se débrouillent, mais ensemble, ça se complique.

Ils sont jeunes, ils sont beaux, ils s’aiment… et ils voudraient s’installer. Naïvement, ils ont fait les comptes : 900 € pour lui, 2 300 € pour elle, à eux deux ils ne seront pas très riches mais ils ne seront pas pauvres non plus, et si vraiment c’est difficile ils feront des pâtes…

Ils sont beaux, ils sont jeunes, ils s’aiment… et l’Etat vient les doucher. Froidement. Administrativement. Parce que l’AAH de Monsieur n’est pas un salaire mais un minimum social qui obéit au principe de subsidiarité. Et qui dit subsidiarité dit… évaluation. L’évaluation du handicap de Monsieur, c’est facile. Tétraplégique incomplet mais complètement dépendant des aides humaines, peu de chances que la situation aille en s’améliorant. Taux d’incapacité évalué à plus de 80 %. Bon, ça, c’est fait, passons aux ressources financières, maintenant. Et là, ça se complique. Parce que s’il ne semble incongru à personne que Monsieur puisse vivre en frôlant le seuil de pauvreté, à partir du moment où il est en couple, faudrait surtout pas s’habituer au luxe, hein ! Alors on recalcule : 900 + 2 300, ça ferait 3 200, mais ça fait trop d’argent, ça, c’est indécent ! Alors on va plutôt revoir l’AAH, parce que subsidiarité, tout ça tout ça, et puis quand on aime on ne compte pas, du coup, plouf plouf, on ne garde que le salaire de Madame, après tout ils seront quand même au-dessus du seuil de pauvreté(1), et puis les pâtes c’est délicieux non ?

Ils sont jeunes, ils sont beaux, ils s’aiment… et ils sont désabusés. « S’il n’a plus d’AAH, je me sentirai toujours responsable de lui », me dit-elle. « Si je n’ai plus d’AAH, je lui serai toujours redevable de quelque chose », me dit-il. « Les calculs sont pas bons, Florine ! C’est quand que l’Etat va mettre des paillettes dans notre vie ? »

Alors je recalcule avec eux, j’additionne et je soustrais, et nous en arrivons tous trois à l’implacable conclusion : pour vivre heureux, vivons cachés.

Notes

La minute de Flo

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