« Celle du Venezuela sera la plus grande crise migratoire au monde à la fin de l’année si la tendance actuelle se poursuit », déclarait le mois dernier Karina Gould, ministre du Développement international du Canada, dans un entretien accordé au quotidien espagnol El País. Pourtant, « elle ne reçoit pas autant d’attention que d’autres parce que de nombreux migrants s’intègrent dans les pays voisins du Venezuela, tels que la Colombie, le Pérou, Trinidad et d’autres dans la région. Ils les accueillent, mais les migrants exercent cependant une pression sur les systèmes de santé, d’éducation et de services sociaux dans des économies encore affectées par la pandémie » de Covid-19, a-t-elle ajouté, en réaffirmant la volonté de son pays à « soutenir les gouvernements qui accueillent ces migrants assez généreusement », au premier rang desquels celui de la Colombie.
La catastrophe avait été annoncée de longue date. 4,6 millions de Vénézuéliens, soit plus de 15 % de la population, avaient déjà quitté leur pays à la fin de l’année 2019, à l’époque la quatrième crise migratoire derrière la Syrie, l’Irak et l’Afghanistan. « Près de 80 % d’entre eux se trouvent dans des pays d’Amérique latine et des Caraïbes. Si les tendances actuelles se poursuivent, quelque 6,5 millions de Vénézuéliens pourraient se trouver hors de leur pays d’ici fin 2020 », anticipait le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés, lequel lançait, le 6 novembre 2019, un plan régional d’aide de 1,35 milliard de dollars « pour répondre aux besoins humanitaires croissants des réfugiés et des migrants […] ainsi que des communautés qui les accueillent ».
Sans surprise, la manne financière n’a pas stoppé l’exode de populations qui fuient avant tout la misère dans leur propre pays, cible, entre autres, d’une véritable guerre économique déclarée par l’administration Trump pour asphyxier le gouvernement de Nicolas Maduro. Traditionnelle terre d’accueil pour ses voisins fuyant eux-mêmes des régimes autoritaires ou attirés par la manne pétrolière, le Venezuela a vu sa crise migratoire se décliner en deux actes. Le premier avec l’accession au pouvoir d’Hugo Chávez en 1999, qui a entraîné un exode des classes possédantes, puis un second beaucoup plus massif, à partir de 2013 et la transition Chávez-Maduro. Depuis, le phénomène touche tous les secteurs de la société, des plus aisés aux plus déshérités. Selon une étude réalisée par la fondation catholique IHS auprès de 12 957 migrants partis vers le Pérou, l’Equateur, la Colombie et le Chili, la majorité d’entre eux ont moins de 30 ans et leur motivation est principalement économique. Huit migrants sur dix évoquent la recherche de meilleures opportunités de travail, et seuls 10 % se disent victimes de persécutions politiques.
Moins médiatisées que les naufrages de migrants dans l’océan Atlantique ou en mer Méditerranée, les routes terrestres par lesquelles passent les exilés vénézuéliens n’en demeurent pas moins un véritable enfer, dans lequel les femmes sont en première ligne. « Nous constatons que de nombreuses familles sont dirigées par des femmes et qu’elles accompagnent leurs enfants par des itinéraires assez dangereux. Traversant les frontières, elles sont confrontées à des violences sexuelles et sexistes, et elles ont besoin des services de santé et de soutien psychosocial pour faire face aux traumatismes qu’elles ont subis », a également déclaré Karina Gould, en confirmant une aide de près de 20 millions de dollars accordée au gouvernement colombien pour améliorer cette prise en charge. Le président colombien Iván Duque a d’ailleurs signé au mois de mars un décret établissant le statut de protection temporaire des migrants vénézuéliens, visant à garantir les soins nécessaires à cette population extrêmement vulnérable.