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Assignation à identité

Alors que la « cancel culture » et les luttes intersectionnelles saturent l’espace médiatique et les réseaux sociaux, certains observateurs avisés du travail social demeurent perplexes. Si personne ne songe à nier les discriminations liées à la couleur de peau, au genre, au handicap, à l’orientation sexuelle ou à son indice de masse corporelle, ils sont nombreux à s’alarmer d’une tendance lourde à la victimisation. Cette orientation profonde prend même l’apparence d’une occupation nationale. Et se résume à ce que l’on peut désigner comme une « assignation à identité ». Une hérésie pour nombre d’éducateurs, d’assistants sociaux, de psychologues, ceux dont l’essence même du métier réside dans l’affranchissement, la libération des publics pris en charge. L’idée est potentiellement dangereuse car elle implique que, quels que soient vos apprentissages, vos expériences ou les rencontres qui jalonnent votre vie, rien, jamais, ne vous permettra d’échapper à l’implacable destin tracé à l’encre indélébile du déterminisme social.

Cette pensée d’origine états-unienne s’est immiscée en Europe et n’a cessé de gagner en visibilité et en importance depuis une quinzaine d’années. Elle creuse à bas bruit un fossé entre, d’un côté, les idéaux républicains et le mythe de son réel accomplissement et, de l’autre, une société segmentée dans laquelle des noirs disqualifient la parole des blancs, des transsexuelles multiplient les attaques ad hominem contre des person­nalités homosexuelles, des femmes intiment le silence à des hommes se revendiquant féministes. Le tout au nom d’une impossibilité à comprendre, à ressentir ce que l’autre traverse. C’est passer sans précaution au fil de l’épée les capacités d’empathie et la soif d’altérité qui nous caractérisent souvent.

Ces luttes identitaires servent aussi d’excuse à tous les tenants d’un véritable conservatisme de classe. Car à batailler sur les fronts identitaires, on en délaisse, faute de temps et d’énergie, celui de la question sociale. De grandes entreprises privées, qu’elles soient industrielles ou financières, s’accommodent fort bien de mouvements qui privilégient la lutte pour la « diversité » en délaissant le combat quotidien contre les inégalités. Elles sont, au fond, autrement plus réticentes à payer l’impôt nécessaire à une société plus juste, plus égalitaire. Plus fraternelle.

Éditorial

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