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Paquita, le camion qui relie l’Ehpad à la ville

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A Nîmes, le pôle gérontologique vient d’inaugurer un camion pensé comme un kit d’animation, qui permet aux résidents des Ehpad et aux habitants des quartiers de se rencontrer autour d’activités communes. Un projet inclusif et intergénérationnel conçu avant tout comme un outil d’ouverture.

« Doucement le ma­tin, pas trop vite l’après-midi ! » A force de le répéter et de faire rire tout le monde, elle l’a bien cherché, Paquita. Le camion porte son nom, c’est peint en lettres rouge vif dans une calligraphie légèrement rétro sur la carrosserie rayée de jaune du Peugeot J9. La devise de l’octogénaire espagnole, qui vient à l’accueil de jour de l’Ehpad (établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes) Saint-Joseph de Nîmes, est même inscrite au feutre noir sur les pare-soleil du vieil utilitaire. Lorsqu’elle a vu le résultat la veille, elle a été drôlement émue. Et en ce jour, elle rit beaucoup, avec l’air de ne toujours pas en revenir. Après deux semaines d’ateliers participatifs entre les résidents des deux Ehpad du pôle gérontologique de la ville gérés par la Croix-Rouge et une équipe de chercheurs, designers, architectes, artistes et étudiants, la bonne humeur irradie des participants. Ce samedi matin, ils admirent le résultat de leur travail sur la petite place du marché de Beausoleil située sur le trottoir d’en face de Saint-Joseph. Le camion Paquita stationne fièrement au milieu de la placette, et de son ventre sont peu à peu sortis tables, chaises, tripodes et autres tentures qui ont permis de donner forme à un atelier de sérigraphie d’un côté et à un coin « petit-déjeuner » de l’autre. Le vent de mars est inhabituellement cinglant malgré un soleil sans faille et les thermos de café chaud sont les bienvenus.

Il y a un an, Anne Mensuelle-Ferrari, la directrice du pôle gérontologique, a eu l’idée de réhabiliter le véhicule, qui ne servait plus depuis longtemps qu’à charrier des encombrants à la déchetterie, et de le transformer en tiers-lieu, c’est-à-dire « un endroit tiers qui ne soit ni le travail ni le domicile et qui soit un lieu-ressource pour qui veut l’investir, explique-t-elle. L’idée est que ce camion devienne un lieu de gouvernance participative, que ce soit les usagers qui décident ce qu’ils ont envie d’en faire. Les personnes âgées doivent être actrices de leur vie. On veut montrer qu’un Ehpad n’est pas un mouroir où personne n’entre et où rien ne se passe. » Depuis quelques années, la Croix-Rouge expérimente des tiers-lieux en plusieurs points du territoire français. A Nîmes, il est prévu qu’un de ces endroits prenne place dans le futur pôle gérontologique en cours de construction au sud de la ville. Mais les travaux prennent du retard et l’établissement, qui regroupera les quelque 150 résidents des deux maisons de retraite, n’ouvrira pas avant 2024.

Tiers-lieu participatif

Le projet a néanmoins été labellisé « Fabrique de territoire par l’ANCT (Agence nationale de la cohésion des territoires) et bénéficie du soutien financier d’AG2R La Mondiale. En attendant que le nouveau pôle voie le jour, le camion Paquita sera l’outil d’expérimentation et de préfiguration de ce futur tiers-lieu. Sollicité par Anne Mensuelle-Ferrari, le chercheur François Huguet est devenu le chef d’orchestre du projet et fédère les synergies. Il a fait appel au collectif d’architectes ETC, à la chercheuse et designer social Marine Royer, à l’artiste touche-à-tout Benoît Bonnemaison-Fitte, alias Bonnefrite. La mayonnaise a vite pris et les idées fusent. Il est rapidement acté que la transformation du camion sera une aventure collective qui intégrera les résidents des Ehpad, mais aussi des étudiants en classe préparatoire aux grandes écoles d’art et de design du lycée Ernest-Hemingway. Les jeunes et les vieux : deux populations fortement touchées par la crise sanitaire de la Covid-19 et l’isolement qui en a résulté.

Le chantier a démarré en mars dernier dans la cour intérieure des deux établissements, dans le plus pur respect des gestes-barrières. Pendant deux semaines, les activités se sont enchaînées : on a découpé, percé, poncé, cousu, cloué… Léo Hudson, membre du collectif ETC, détaille la manière dont l’aménagement du véhicule a été repensé : « Le camion passe toujours le contrôle technique mais sûrement plus pour très longtemps. On a donc choisi de mettre en place un kit mobile qui se déploie depuis le véhicule pour occuper l’espace public, proposer des ateliers, organiser des temps de convivialité, préparer des repas… C’est un kit multifonctions. Ce ne sont que des bancs, des tables, des ombrières mais ça permet, selon les dispositions, de réaliser énormément de choses. » A l’intérieur, sur toute la longueur du J9, un coffre en bois a été construit. Il servira à ranger le mobilier pliable. Au bout, à l’entrée des portes arrière, une banquette et un petit bureau seront bientôt installés pour Lola de la Hosseraye, qui gère ce nouveau tiers-lieu. « Grâce à ce camion, l’Ehpad s’ouvre au monde. Il va permettre aux résidents de sortir et les rendre visibles », se réjouit-elle.

Aventure intergénérationnelle

Le point d’orgue de cette quinzaine de jours d’ateliers a sans conteste été le « bal peinture » pendant lequel personnes âgées et étudiants ont peint une soixantaine de mètres de denim (la toile nîmoise) gracieusement fournis par l’atelier Tuffery, le plus ancien fabricant de jeans français, installé à Florac, dans les Cévennes. L’artiste Bonnefrite a imaginé « la partition graphique » qu’ont dû jouer ensemble jeunes et vieux, en prenant en compte les difficultés physiques et motrices des résidents. Du vieux matériel médical a été retrouvé dans des placards et détourné pour permettre aux moins mobiles de participer selon leur envie. Cannes, béquilles et déambulateurs piqués de tampons imbibés de peinture pour dessiner des points, roues des fauteuils qui tracent des lignes sur les toiles de jean étendues au sol… l’indigo barde de couleurs sous les pas des résidents, rythmés par le son de l’accordéon d’Archibald, l’un des étudiants de la classe prépa. Un autre atelier a placé autour d’une table des étudiants, d’une part, des résidents, de l’autre : ils devaient au pinceau tracer des lignes de peinture qui se rejoignent. « Je voulais que ce soit la rencontre avec les gens qui viennent irriguer le travail final. C’est une aventure collective. On a beaucoup rigolé. Je voulais engendrer des émotions graphiques, c’est réussi », conclut l’artiste.

Ces toiles peintes ont été utilisées pour habiller Paquita : rideaux, assises et dossiers de sièges pliables, fanions, tentures de l’ombrière. Certains résidents de l’Ehpad se sont pris au jeu, d’autres se sont contentés d’assister à la performance. Cela a parfois jasé à l’intérieur des murs de la résidence : ce serait « de la chichouille », du gribouillage, du grand n’importe quoi. Mais pour les participants, ce fut un grand moment. A 71 ans, Jacques a tamponné des points rouges et bleus sur la toile avec un déambulateur : « J’en ai fait 5 mètres, proclame-t-il l’œil bleu pétillant. Ça m’a beaucoup plu, ça change du quotidien. Et surtout, les organisateurs ont une belle mentalité, c’est bien de rencontrer des jeunes comme ça. » Monique, elle, n’a pas pu participer au bal peinture, elle ne peut plus se servir de l’un de ses bras, résultat de six années passées à la mine de charbon entre ses 14 et ses 20 ans. Mais elle a adoré assister aux ateliers. Sur la place du marché, elle discute avec Laia, étudiante, qui prend de ses nouvelles. « Je me régale. A l’Ehpad, il y a des résidents qui ne sont vraiment pas rigolos. Les jeunes sont plus marrants, j’aime quand ils sont là », explique la dame de 89 ans.

De son côté, Laia vit une sorte de prise de conscience : « Quand j’entends Monique parler de sa vie à la mine, c’est ce qu’on apprend à l’école. C’est étrange de réaliser que les personnes qui ont vécu ces choses sont encore là, alors que pour moi ça appartenait simplement aux livres d’histoire. » Son camarade de classe Evan ne voit plus aussi les personnes âgées du même œil. « Être en contact avec des personnes parfois dépaysées, désorientées mais qui restent des êtres humains intéressants, c’est marquant. A un moment, une vieille dame m’a pris pour une personne de sa famille, c’était touchant. C’est là qu’on s’aperçoit que leur situation n’est pas idéale », raconte le jeune homme. La rencontre et la participation intergénérationnelles constituent les fondements du projet « Paquita ».

Ce type de rencontres ne constituent pas qu’un simple divertissement pour les résidents. Alors que les effets délétères du délaissement et de la solitude sur la santé mentale et physique des anciens ne sont plus à démontrer, en particulier en cette période de crise sanitaire, ces quinze jours d’ateliers ont déjà produits des effets bénéfiques sur certains. A l’image de ce résident habitué à fuguer qui n’a pas quitté la cour de la résidence lorsque le camion et les participants au projet étaient présents. Valérie Blanchard, assistante de soins en gériatrie (ASEG) à Saint-Joseph, constate la différence : « C’est très important pour les résidents de se sentir utiles, d’avoir un rôle social. Ils sont plus calmes, moins stressés. Leurs facultés sont mobilisées, ils sont moins éteints. Là, ils ont le sourire, en tant que personnel soignant, ça nous apporte beaucoup. » Le J9 Paquita a d’ailleurs, dès le départ, été conçu comme un lieu de rencontre incluant également les aidants, les familles et les personnels des établissements. « Nous nous sommes rendu compte que les aidants sont souvent épuisés, n’osent pas sortir. Ce camion va leur offrir un lieu pour échanger, discuter de leur quotidien », ajoute Nathalie Maillot, elle aussi ASEG. Sur la place Beausoleil, les deux assistante de soin en gériatrie veillent à ce que les résidents présents ne prennent pas froid.

Maintenant qu’il est redevenu rutilant, que va devenir le camion Paquita ? Anne Mensuelle-Ferrari et son équipe travaillent sur la future programmation à laquelle ils veulent inclure associations et acteurs sociaux et culturels de la ville, comme le Carré d’Art, le musée d’art contemporain nîmois. Organisation de concerts, d’ateliers divers, de barbecues, de séances de cinéma… Paquita est destiné à abriter toutes sortes de projets tout en se donnant pour objectif d’inclure au maximum les résidents. « On ne sort pas les personnes âgées des Ehpad parce que l’offre n’est pas adaptée, ni aux fauteuils roulants, ni aux problèmes cognitifs, explique Marine Royer, chercheuse et enseignante en design social qui a co-conçu le dispositif. C’est tout l’enjeu que le camion doit maintenant relever : adapter des activités aux personnes âgées comme aux enfants.Il faut que les acteurs associatifs qui vont utiliser le camion pensent “personnes âgées”. »

Sur la place du marché, Bonnefrite glisse entre les tables telle une bille de flipper en dispensant, toujours le sourire aux lèvres, ses conseils aux étudiants qui se lancent dans la sérigraphie d’affiches représentant Paquita. Avant de souligner, songeur : « Les habitants de l’Ehpad, c’est moi dans trente ans et les étudiants dans cinquante ! »

Reportage

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