Il est toujours gênant d’assister à un dialogue de sourds. Surtout lorsque la discussion porte sur la place des religions dans la société et qu’elle implique 130 adolescents venus de toute la France, d’une part, et Sarah El Haïry, la secrétaire d’Etat chargée de la jeunesse et de l’engagement, de l’autre. Cette rencontre, qui s’est tenue dans un lycée de Poitiers le 22 octobre dernier, s’était soldée par une vive polémique, alors même que l’ambiance était particulièrement pesante quelques jours seulement après l’assassinat de Samuel Paty. Face à des jeunes témoignant de leur vécu et de leur ressenti en matière de respect de leur religion, de racisme ou de violences policières, la ministre avait adopté une attitude défensive. Comme le rapportait le magazine La Vie, et comme le confirment les échanges que nous avons pu visionner, leur parole a été systématiquement interrompue, niée, minimisée. A l’issue de cet événement, Sarah El Haïry, furieuse, avait déclaré que cette jeunesse n’était pas « représentative ». Elle avait chargé l’inspection générale de l’éducation, du sport et de la recherche d’enquêter sur la Fédération des centres sociaux et socioculturels de France (FCSF), organisatrice de la rencontre, accusée de ne pas incarner la vision républicaine théorique scandée par la secrétaire d’Etat. Un rapport, rendu fin mars, pointe le manque de préparation et de maîtrise de l’événement. Il souligne aussi le respect dont les jeunes ont fait preuve, malgré la formulation d’opinions tranchées. Dans leur conclusion, les auteurs reconnaissent que les objectifs poursuivis par la FCSF sont « intéressants et s’inscrivent dans le cadre des orientations du ministère de l’Education nationale, de la Jeunesse et des Sports visant à développer l’autonomie des jeunes, leur engagement et leur participation à la vie associative ». Ils relèvent toutefois que les animateurs présents n’étaient pas suffisamment formés pour encadrer ce type de débat.
Pourtant, à l’image de la discussion de Poitiers, les deux parties ont peu goûté l’équilibre recherché par les auteurs de l’enquête. La FCSF refuse toute remise en question et juge inquiétantes les conclusions du rapport, « car il interroge clairement sur l’éducation populaire […] et plus largement les libertés associatives ». Dans un entretien au Journal du dimanche, Sarah El Haïry déclare, tout en nuances, que « pas un euro d’argent public ne doit aller aux ennemis de la République ». En affirmant qu’elle souhaite revoir les règles d’attribution de l’agrément jeunesse et éducation populaire, elle instrumentalise de facto les travailleurs sociaux. Un véritable dialogue de sourds…