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Lutter contre le double déterminisme social et territorial

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Déplacements compliqués, manque de structures de formation, précarité accrue… La situation des plus jeunes vivant en milieu rural présente des difficultés importantes et spécifiques. Mais les services sociaux et médico-sociaux déploient des trésors d’inventivité pour concevoir des modes de soutien à l’insertion sociale et professionnelle efficaces.
Un double déterminisme. à la fois social et territorial.

Voilà l’une des explications d’un « paradoxe » observé par Guillaume Fritschy, directeur de l’Uriopss (union régionale interfédérale des œuvres et organismes privés sanitaires et sociaux) Occitanie : les jeunes vivant en milieu rural présentent souvent un meilleur niveau scolaire au collège que leurs homologues urbains, mais poursuivent pourtant de moins en moins de longues études. « Les problèmes de mobilité font obstacle à l’insertion professionnelle, détaille-t-il. L’accès aux soins, à la culture, s’avère aussi complexe. Bref, tout se révèle plus difficile en milieu rural. »

Or, selon une enquête nationale sur les ressources des jeunes menée en 2014 par la Drees (direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques) et l’Insee (Institut national des statistiques et des études économiques), un quart des 18-24 ans vivant en métropole demeurent éloignés des villes. Et selon Emilie Taberly, déléguée locale de l’union régionale pour l’habitat des jeunes (Urhaj) en Occitanie, ils témoignent d’un plus grand attachement à leur territoire, qu’ils quittent principalement par obligation. Ils se confrontent donc, et les travailleurs sociaux qui les accompagnent avec eux, à un contexte parfois peu favorable à leur insertion et à leur émancipation.

D’abord, l’actuelle crise économique et sociale les fragilise encore davantage. Même si pour l’heure aucun « raz-de-marée » n’est à signaler, selon Stéphane Gauthier, directeur de la mission locale de Saint-Dié et Hautes-Vosges, de plus en plus de jeunes arrêtent leurs études pour subvenir à leurs besoins et frappent aux portes des missions locales. A l’autre bout de la France, Emilie Taberly dresse le constat d’une « forte précarisation », en particulier des jeunes actifs, public cible des 55 résidences et 7 services et boutiques logement gérés par l’Urhaj Occitanie. Elle en veut pour preuve l’allongement de la durée de séjour dans ses établissements. Et elle ajoute que les plus précaires échappent à ses radars : en milieu rural, les plus pauvres restent chez leurs parents ou vivent à la rue sans venir demander d’aide, faute de savoir qu’elle existe.

Le manque d’information constitue en effet une difficulté supplémentaire pour ces jeunes demeurant à la campagne. De même que l’isolement, tant causé par la multiplication des écrans qui les privent de relations réelles avec des personnes de leur âge, selon Stéphane Gauthier, que par de cruciaux problèmes de mobilité. S’ajoute à cela le manque de lieux où se former, d’endroits où se soigner.

Aides à la mobilité et à l’accès au logement

Ces constats posés, les structures sociales et médico-sociales développent des services adaptés. A commencer par le déploiement d’aides à la mobilité. Lorsqu’elle conçoit des résidences en milieu rural, l’Urhaj Occitanie veille à prévoir des aires de covoiturage. Ailleurs, elle prête des deux-roues à des jeunes, pour leur permettre de se rendre sur le lieu de leur apprentissage. Les missions locales soutiennent régulièrement des formations au permis de conduire. Et lorsque le jeune est en situation de handicap, il peut s’avérer d’autant plus nécessaire de l’aider à se loger au plus près : « C’est un coût supplémentaire dans mon budget de fonctionnement, lorsque nous payons en lieu et place de parents qui ne le peuvent pas », indique Bruno Fournier, directeur de trois établissements gérés par l’association La Vie Active à Wimille (Pas-de-Calais).

La question du logement demande aux professionnels de se montrer imaginatifs. Ainsi, Emilie Taberly confie-t-elle que l’Urhaj Occitanie a réalisé un « travail de fourmi », dans le Gers, pour identifier les offres existantes, en interrogeant les communes, les bailleurs… Les logements disponibles sont recensés sur une plateforme numérique. A charge pour les travailleurs sociaux de recevoir ensuite les jeunes, d’étudier leur situation, de les aider à obtenir des aides. Ces professionnels ont visité un à un les logements repérés et parfois convaincu telle personne âgée de louer tel appartement à « l’apprenti du boulanger ». Autre exemple : puisque pour trouver un emploi il leur faudra déménager, les jeunes en situation de handicap sont parfois préparés à devenir autonomes dès leur passage en institut médico-éducatif (IME). Ainsi Bruno Fournier a-t-il réservé un « appartement test » parmi les logements dont il dispose pour les salariés de l’entreprise adaptée qu’il dirige pour les y accoutumer.

Au-delà de nouveaux services, les travailleurs sociaux modifient également leurs modalités d’accompagnement. En particulier en allant à la rencontre de leurs publics qui, sans cela, ne les identifieraient même pas. A la mission locale du Loir-et-Cher, par exemple, cela se traduit par la mise en place d’une permanence délocalisée au sud du département, à une trentaine de kilomètres de son siège, à Blois, et par la circulation d’une camionnette sur le territoire.

Maillage territorial et partenariats

L’avis est unanime et la pratique répandue : aller vers les publics s’impose. Mais sans pour autant que les temps de trajet ne consomment ceux de la prise en charge. Stéphane Gauthier a résolu cette équation en disposant des conseillers délégués dans chaque vallée. Bruno Fournier confie « essayer de regrouper » les visites aux enfants handicapés « très éparpillés » suivis par son service d’éducation spéciale et de soins à domicile (Sessad). Sa collègue Anne-Gaëlle Alibart, qui dirige, au nom de La Vie Active, deux IME et un Sessad dans un secteur plus rural encore du même département, explique avoir privilégié des recrutements très locaux : « A Hucqueliers, qui compte 650 habitants, les professionnels demeurent presque tous dans la rue de l’IME », s’amuse-t-elle. Mais elle explique aussi que pour limiter les temps de trajet de ses intervenants, elle doit refuser des familles installées au-delà d’un rayon de 30 km. La directrice se dit soulagée de pouvoir s’appuyer sur un maillage territorial qui lui semble efficace et sur des partenariats avec d’autres structures.

Ces actions communes réunissent des travailleurs sociaux bien sûr mais aussi les élus, les entreprises… « Dans un village, lorsqu’un lycéen est déscolarisé, le maire le sait, observe Stéphane Gauthier. De même lorsqu’un jeune fait la manche sur un parking de supermarché. » Ce travail commun permet donc d’abord de repérer des jeunes en difficulté et de les aider à se remobiliser, eux qui, sinon, insiste Alexandre Venaille, chargé de projet à la mission locale du Loir-et-Cher, ne font pas de bruit et ne réclament rien.

Autre atout des partenariats : ils favorisent l’inclusion des publics accompagnés. « Certaines structures médico-sociales parviennent à monter des projets d’inclusion extrêmement riches, se félicite Guillaume Fritschy. Grâce à une grande proximité avec d’autres acteurs des territoires où ils sont implantés, à des relations parfois presque d’interdépendance compte tenu par exemple des emplois fournis par les établissements et services, des cercles vertueux se mettent en place, à l’opposé de l’image de châteaux qui enfermeraient des jeunes. » Autrement dit, à ses yeux, la transformation de l’offre se met aussi en place en milieu rural, même si, pour des raisons géographiques, l’internat reste encore plus souvent de mise qu’en ville.

Des liens durables entre structures sociales et autres acteurs du territoire conduisent donc à un certain nombre d’insertions réussies de jeunes en difficulté. Une forme d’accompagnement dans la dentelle qui passe de plus en plus, pour les missions locales, par le développement d’activités annexes à la recherche d’emploi, pour les y amener de manière « moins frontale », décrypte Flavie Chevallay, coordinatrice d’un projet de repérage et de mobilisation des jeunes invisibles dans celle du Loir-et-Cher. Pour illustrer son propos, elle prend l’exemple d’un atelier de cuisine qui permettra de repérer ceux qui peineraient à lire une recette : « Ainsi pouvons-nous renforcer les bases pour construire quelque chose de solide pour la suite. » « Tout problème a une solution, appuie son collègue Alexandre Venaille, fort de sa parfaite connaissance du territoire, où il œuvre depuis quinze ans, et il existe toujours des moyens de contourner les freins à l’insertion. »

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