C’est un impensé thérapeutique majeur à l’échelle du continent africain en général, et de la Côte d’Ivoire en particulier. Marginalisés, isolés, incompris, privés de soins, les enfants autistes souffrent d’une absence quasi totale de prise en charge, et les manifestations de leur différence les condamnent à la mise au ban de la société qui les considère souvent, au mieux, comme inaptes, au pire comme des « sorciers » possédés par un esprit démoniaque. A l’occasion de la journée mondiale de sensibilisation à l’autisme, le 2 avril, l’Association des bénévoles pour le refuge des enfants invalides (Abri) tente de mobiliser afin d’améliorer leur sort, notamment en mettant en lumière le travail du centre Marguerite Té Bonlé à Abidjan, l’une des trop rares structures en Afrique de l’Ouest à prendre en charge les enfants autistes.
« La méconnaissance générale des signes de l’autisme fait que les familles des enfants concernés ne pensent pas à se rendre dans des centres de soins pour une prise en charge précoce, déplore Anna-Corinne Bissouma, pédopsychiatre et responsable au centre Té Bonlé. Le contexte culturel et mystico-religieux du pays pose lui aussi problème, car si un enfant grandit différemment des autres à cause d’une maladie ou d’un handicap, on pense tout de suite qu’on lui a jeté un sort, qu’il est un enfant sorcier », ajoute-t-elle.
Le phénomène est bien connu des organisations internationales. « Faire pipi au lit, avoir un sommeil agité, le ventre ballonné, et le handicap sont considérés comme des “preuves” que l’enfant est un sorcier », explique l’Unicef.Et l’organisation onusienne de préciser : « Les enfants soi-disant coupables de la pauvreté, de la mort d’un membre de la famille, du manque de réussite sont déposés dans des églises dirigées par des “faux prophètes et pasteurs”. Agissant sous couvert d’une lutte contre le Mal, ces derniers disent voir un esprit maléfique dans le corps de l’enfant qui serait donc à l’origine de tous les malheurs de la famille. » En République démocratique du Congo (RDC), les enfants sorciers seraient entre 10 000 et 15 000 à errer dans la capitale Kinshasa, mais l’absence criante de spécialistes empêche le diagnostic et le suivi de ceux d’entre eux souffrant d’autisme.
En Côte d’Ivoire, les familles aisées peuvent éventuellement se tourner vers le secteur privé. Au Centre d’action médico-psycho-sociale de l’enfant (Campse), situé à Abidjan, une cinquantaine d’enfants atteints de ce trouble sont pris en charge moyennant 1 200 € par mois. Une somme inaccessible à la quasi-totalité des Ivoiriens – le salaire mensuel étant d’environ 160 €) –, et qui ne garantit pas les meilleurs traitements. « Nous ne sommes que cinq pédopsychiatres dans le pays, alors que notre rôle est essentiel dans la coordination de la prise en charge des déficits que cause l’autisme, se désole Anna-Corinne Bissouma. Notre métier est méconnu, et c’est malheureusement encore trop souvent en dernier recours que les familles viennent nous consulter. »
Le pays fait aussi face à une pénurie de psychomotriciens, d’orthophonistes ou d’ergothérapeutes, pourtant essentiels à la prise en charge optimale des enfants autistes. Face au manque criant de financements et de formations, le centre Marguerite Té Bonlé a pu ouvrir en 2017 grâce à des soutiens extérieurs, comme l’association grenobloise Aide médicale et développement ou la Fondation Orange. Près de 3 000 enfants y sont reçus chaque année, dont 30 % environ présentent des troubles envahissants du développement (TED), y compris ceux relevant du spectre autistique. Reste maintenant à relever l’immense défi de la prise en charge, de la formation du personnel adéquat, et des structures ad hoc.