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Égalité professionnelle : le difficile combat contre la ségrégation des métiers

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Photo d'illustration.

Malgré les appels à la « mixité », les métiers du social et du médico-social demeurent extrêmement féminisés. Du déficit d’orientation à la dévalorisation d’emplois, de nombreux éléments expliquent l’absence d’hommes dans ces professions. Mais certaines pratiques, ou leur manque, contribuent aussi à la ségrégation des fonctions dans les structures.

En 2011, la proportion des femmes dans les métiers d’aide à domicile et d’assistante maternelle était de… 97,7 %, selon la Dares, le service statistique dépendant du ministère du Travail. Faute de données plus récentes, difficile de dire si la situation a évolué. Mais, comme s’il s’agissait d’une évidence, l’absence de mixité dans les métiers du grand âge est à peine soulignée dans les rapports officiels. « Mon prisme n’est pas d’avoir des hommes ou des femmes, car on n’a pas d’influence là-dessus : on bataille pour avoir du personnel. Le problème n’est pas qu’on ne cherche pas d’hommes, mais qu’on n’en trouve pas », balaie Arnaud Maigre, directeur général du réseau AD Seniors. S’il constate l’arrivée d’hommes infirmiers dans l’aide à domicile par le biais du travail en libéral, il se fait peu d’illusions sur la progression du nombre d’hommes parmi les auxiliaires de vie tant que ce métier n’aura pas été revalorisé et transformé. Un constat qui peut être élargi à bien des métiers du social et du médico-social. Selon une enquête de l’ex-organisme paritaire collecteur Unifaf – désormais Opco (opérateur de compétences) Santé –, 76 % des emplois sont occupés par des femmes en 2017, contre 72 % en 2012.

De quoi entretenir l’idée que « le propre des femmes est d’être dans l’aide, le “care”. Or la société est de plus en plus travaillée par les sujets de genre, d’égalité. On remet de plus en plus en question les rôles et les stéréotypes sexués », observe Marc Bessin, directeur de recherche au CNRS. On trouve de nombreuses explications à cette féminisation. « En raison de la faiblesse des conditions salariales (…) et parce que ces métiers sont – à tort et de façon préjudiciable – associés à des qualités essentiellement féminines, les acteurs de l’orientation auraient tendance à y orienter les candidats, principalement des jeunes filles, en décrochage scolaire et/ou n’ayant pas d’intentions précises en termes d’orientation professionnelle », analyse le syndicat d’employeurs Nexem dans son récent livre blanc sur l’attractivité des métiers du secteur social et médico-social.

Difficile de leur donner tort. Selon la direction de la recherche, des études, de l’évaluation des statistiques (Drees), en 2017, parmi les étudiants moniteurs-éducateurs, 29 % sont des hommes, taux le plus élevé. A l’autre bout du spectre, on en compte seulement 3 % dans les filières d’éducateur de jeunes enfants. 12 % des étudiants visant le diplôme d’accompagnant éducatif et social sont des hommes. Le sujet renvoie à une question de société, rendant le chemin « ardu » pour les structures, convient Eva San Martin, cadre pédagogique au centre de formation du travail social La Rouatière, dans l’Aude. « Il faudrait que l’éthique du care se démocratise, c’est-à-dire considérer que prendre soin, dans la société, est aussi l’affaire des hommes », analyse cette spécialiste des questions de genre.

Stéréotypes de genre

Est-ce à dire que les acteurs du social et du médico-social n’auraient aucune prise sur le sujet ? Pas forcément. En miroir de la société, ils participent parfois eux-mêmes à ces assignations de genre. Et ce, dès l’étape de la formation. Les femmes réussissent un peu mieux que les hommes les concours d’aide médico-psychologique (AMP), selon les statistiques de la Drees. En observant en particulier des oraux d’admission, Emmanuelle Mikanga, docteure en sciences de l’éducation et formatrice à l’école régionale du travail social d’Olivet (Loiret), établit que 96 % des femmes sont admises, contre 62,5 % des hommes. Des chiffres qui battent en brèche une idée répandue – et parfois vraie à l’étape de l’insertion professionnelle et de la carrière – selon laquelle les hommes seraient systématiquement favorisés dans le secteur social. « Le genre du métier semble bénéficier aux femmes, les critères d’évaluation des jurys reposant en partie sur des stéréotypes de genre associés au métier », explique l’autrice d’une thèse de 2020 analysant le métier d’AMP sous le prisme du genre. Pour corriger le tir, l’école favorise depuis les jurys mixtes et s’emploie à « ne pas noyer les candidats masculins parmi les candidates ».

Sur le lieu de travail, les ségrégations de genre se poursuivent alors que l’absence de mixité peut poser problème au quotidien. Selon Marie-Hélène Roux, formatrice à l’Institut de formation, recherche, animation, sanitaire et social (Ifrass), la question des soins prodigués aux personnes accompagnées est pourtant bien l’une des raisons pour lesquelles les établissements voudraient plus de mixité, en plus de la « diversité des points de vue », de « l’amélioration de l’ambiance de travail » ou de « l’organisation des équipes » que la mixité est censée apporter. « Une jeune aide médico-psychologique travaillant dans une maison d’accueil spécialisée qui n’avait quasiment pas d’hommes devait faire la toilette d’un homme systématiquement en érection », se rappelle Thierry Goguel d’Allondans, chargé d’études et du développement à l’Ecole supérieure européenne de l’intervention sociale (Eseis), à Strasbourg. « En pratique, on observe un arrangement des sexes. Si l’on prend l’exemple de la toilette, on voit bien que les hommes vont déléguer cette tâche aux femmes lorsqu’ils le peuvent. Pour les hommes, le collectif de travail va davantage prendre le relais », explique Emmanuelle Mikanga.

L’étape clé du recrutement

Comment, dès lors, agir sur ces sujets ? Peu de structures acceptent de communiquer ouvertement sur ce thème, tant il remet en question des habitudes professionnelles profondément ancrées. Chez SOS Villages d’enfants, ce n’est qu’au terme d’une clarification officielle en interne que des recrutements d’aides et d’éducateurs familiaux masculins ont commencé à avoir lieu, à partir de 2018. Les hommes représentent aujourd’hui 10 % de ces effectifs. Les offres d’emploi sont désormais rédigées en écriture inclusive. « Auparavant, on était pris dans ce discours sur les “mères SOS”. A travers le dialogue, on a démonté les représentations selon lesquelles les femmes auraient une prédisposition naturelle à créer du lien affectif », explique Christophe Chabrier, responsable du pôle « gestion des compétences » de l’association. Pour ce cadre, l’enracinement des stéréotypes est profond dans un secteur où la menace des violences sexuelles – associée aux hommes – constitue un frein réel à la progression de la mixité.

Au groupement des Apei (associations de parents d’enfants inadaptés) d’Arras et de Montreuil-sur-Mer, dans le Pas-de-Calais, qui recouvre 24 établissements et services employant 460 salariés, on compte 34 % d’hommes. Un chiffre favorisé par les spécificités des établissements appartenant au groupement, lesquels accueillent des personnes handicapées relativement autonomes. Mais en insistant sur les opportunités de mobilité professionnelle au sein de ses structures, Laëtitia Noël, directrice des ressources humaines, veut « casser » les stéréotypes. Elle favorise ainsi la polyvalence sur des postes de moniteurs d’atelier à la répartition classiquement très genrée, selon que l’activité porte sur la maintenance de machines ou sur la couture. Pour poursuivre dans cette voie, elle parie aussi sur l’ouverture des critères de recrutement. « S’agissant du recrutement des moniteurs d’atelier, on ne part plus du prérequis de la formation technique de base mais de l’appétence pour l’accompagnement de la personne. Cette ouverture pourrait peut-être aider à progresser davantage vers cette mixité de genre », espère-t-elle. D’autres secteurs du médico-social travaillent aussi sur l’identification de nouveaux viviers de recrutement. Comme l’opérateur de compétences Uniformation, qui a pu constater, lors d’une préparation opérationnelle à l’emploi collective (POEC) au métier d’aide à domicile réalisée en 2016 en Occitanie, qu’elle avait permis de toucher davantage de stagiaires de sexe masculin grâce à une sensibilisation des candidats par Pôle emploi axée sur les « compétences ».

Sujet miné

Gare, pourtant, à ne pas faire de la mixité un absolu. « Les directeurs sont intéressés par les hommes dans cette volonté de mixité, mais le message que je fais passer est que la compétence doit avant tout primer », ajoute Laëtitia Noël. En pratique, l’impératif de mixité motive parfois des décisions qui pourraient être jugées comme discriminatoires. « Etre un homme travailleur social, c’est une petite chance de plus. Je connais des directeurs de structure qui, par envie de mixité, privilégient des candidatures masculines au détriment de candidatures féminines pourtant plus intéressantes », estime Thierry Goguel d’Allondans, formateur à l’Eseis. « J’avais postulé dans un centre éducatif renforcé qui m’a expliqué chercher des hommes. Pareil dans un centre d’addictologie qui accompagnait des hommes alcooliques et dont l’argument était que ce poste nécessitait de rentrer dans un rapport de force », témoigne Cassandre Leverrier, éducatrice spécialisée et formatrice aux questions de genre à l’Institut de recherche et de formation à l’action sociale de l’Essonne (Irfase). « Des hommes arrivent sans diplôme sur certains postes, y compris d’éducateurs et de moniteurs-éducateurs. On leur propose de les préparer et, quand ils obtiennent le titre, ils prennent des postes de chefs de service. Cela produit des inégalités sociales fortes entre femmes et hommes », avertit Véronique Bayer, directrice de l’Irfase, à Toulouse, et autrice d’une thèse sur le genre du management dans le travail social.

Comme elle, de nombreux observateurs des questions de genre avertissent des écueils de la mixité. « C’est encore essentialiser ces questions, car on fait l’hypothèse que la présence des hommes est importante, par exemple parce qu’ils apportent de la rigueur ou de la force », insiste Véronique Bayer. « La mixité n’est pas une question de ratio mais le résultat d’une construction conjointe sur comment on divise le travail pour ne pas reproduire les stéréotypes de genre », ajoute Eva San Martin. Tout le défi, comme le résumait la direction générale de la cohésion sociale en 2014, consiste à promouvoir « une mixité égalitaire (…) qui déjoue les stéréotypes » et soit « synonyme d’ouverture des possibles pour les femmes et les hommes ».


L’assistant familial est aussi un homme

Pour la sociologue Nathalie Chapon, c’est une « révolution » qui suit son cours. Alors qu’ils étaient 2 % en 2010, les assistants familiaux masculins représentent 9 % des effectifs, d’après l’échantillon de plus de 6 300 profes­sionnels que cette enseignante-chercheuse à l’université d’Aix-Marseille a analysé dans le cadre d’une recherche : « Aujourd’hui, on parle de compétences non plus maternelles mais parentales. Au départ, ces hommes devenaient assistants familiaux en suivant leurs femmes, au moment de la retraite. On voit désormais la seconde étape : des hommes qui font ce choix de manière indépendante. »

Le département du Nord comptait 6 % d’assistants familiaux en 2019, un taux en hausse depuis quelques années. Commerciaux, carrossiers, bouchers… « Il n’y a pas de filière type qui amène une personne et sa famille à devenir famille d’accueil », constate Aurélie Pruvost, responsable du pôle « accueil familial ». Pour favoriser le recrutement d’hommes, le département rappelle, dans ses plans de communication, que cette profession s’adresse aux deux sexes. « Il faut dire que les hommes sont bienvenus, montrer des témoignages différents. Et mettre en avant le plaisir associé à cette profession », ajoute-t-elle. A Pôle emploi, 60 conseillers ont aussi été briefés à l’occasion d’un webinaire sur ce métier peu connu de leurs services. « On leur demande de ne pas cibler les femmes qui voudraient s’occuper d’enfants », précise Aurélie Pruvost.

A 37 ans, Fouad Benbahlouli s’est reconverti en assistant familial, suivant l’exemple de sa mère, qui a aussi embrassé cette profession après son départ du foyer familial. « Ses petits s’entendaient bien avec mes enfants, ils voulaient venir dormir à la maison. J’ai sauté le pas en me disant : pourquoi pas moi ? » Intéressé par le métier d’éducateur depuis la vingtaine et attiré par la dimension « humaine », il obtient son agrément voilà cinq ans et accueille aujourd’hui deux enfants de 5 et 12 ans, tandis que sa femme – qui lui a ensuite emboîté le pas – s’occupe d’un troisième garçon de 6 ans. Selon lui, il devrait y avoir plus d’hommes dans le métier « car beaucoup d’enfants recherchent une figure paternelle ». S’il met en avant une intégration plutôt fluide dans le métier, le fait d’être un homme n’a pas été complè­tement neutre. « Certaines questions qu’on nous adresse n’auraient pas forcément été posées à des femmes. On m’a interrogé durement sur mes capacités en tant qu’homme. »

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