« On apprend de nos épreuves de vie. » Thierry Chartrin, responsable du service innovation et développement à l’Association régionale pour l’institut de formation en travail social (Arifts) d’Angers (Maine-et-Loire) en est convaincu de longue date. Il fait partie de ceux qui, en conséquence, promeuvent l’expertise d’usage et la pair émulation. Les termes ne manquent pas pour qualifier ces savoirs expérientiels. « Travailleur pair », « pair-aidant », « pair-advocacy »… Chacun renvoie à un secteur, respectivement celui de la lutte contre la précarité, du médico-social ou de la santé mentale. Mais tous pourraient aussi refléter un simple effet de mode si n’apparaissaient pas, déjà, des formations plus ou moins certifiantes pour valider des compétences associées. L’étape suivante sera une réelle professionnalisation vers un métier rémunéré (voir encadré).
En attendant, l’Arifts d’Angers a créé une formation d’intervenant pair. La première promotion a terminé son cursus. L’école affiche sa volonté de voir cet apprentissage inscrit au répertoire spécifique des certifications et habilitations (RSCH) pour qu’il soit éligible au compte personnel de formation. Car l’objectif consiste bien aussi à professionnaliser sur ce thème les travailleurs sociaux déjà en poste et les jeunes en formation initiale.
Autre expérience menée dans ce domaine, celle d’APF France handicap, dans la région Centre-Val de Loire, où se met en place un réseau régional de pairs émulateurs. Il regroupe des personnes concernées, tous handicaps confondus, et des proches aidants. D’ici cet été, une trentaine d’entre eux auront reçu les 4 jours de formation conçus par un cabinet de ressources humaines.
Pour l’heure, il s’agit d’une « transformation de l’expérience de vie » qui permettra aux personnes de mener des actions collectives de sensibilisation, explique Pascal Usseglio, directeur régional d’APF France handicap. Mais il réfléchit déjà à l’étape d’après, celle d’une réelle professionnalisation de pairs-accompagnants, qui seraient rémunérés, et qui lui semblent indispensables pour « étayer la vie à domicile », de plus en plus plébiscitée. En parallèle, il travaille avec l’institut régional du travail social de Tours (Indre-et-Loire) pour mobiliser les pairs dans la conception de formations pour que les professionnels intègrent leur rôle et perçoivent que « l’approche participative ne va pas juger leur pratique mais l’enrichir ». Enfin, Pascal Usseglio verrait d’un bon œil la conduite d’une recherche action pour analyser cette expérimentation en temps réel.
Les financeurs semblent suivre ces innovations avec intérêt. Certaines agences régionales de santé en particulier se disent prêtes à y contribuer. Un appui d’autant plus indispensable que les personnes formées à devenir pairs disposent bien souvent de faibles ressources.
Une association nationale ambitionne de mener dans les mois qui viennent une étude avec un laboratoire universitaire et d’accueillir un doctorant en thèse Cifre (convention industrielle de formation par la recherche) pour déterminer des pistes de métiers, de fonctions, de compétences pouvant être créés à partir des savoirs expérientiels des personnes handicapées. La volonté affichée consiste à professionnaliser l’expertise d’usage avec l’idée qu’elle pourrait s’appliquer à des champs non liés au handicap, en matière d’organisation du travail ou de design de nouveaux produits et services par exemple.