Tout ce qui émerge n’est pas neuf. Historiquement, il y avait trois métiers canoniques : les assistants de service social, les éducateurs spécialisés et les animateurs socio-culturels. Puis la crise économique liée au choc pétrolier de 1973, qui marqua la fin de l’Etat providence, a entraîné de nouvelles formes d’exclusion auxquelles il fallait répondre. Des dispositifs d’insertion de plus en plus complexes ont vu le jour. A l’époque, certains parlaient de « métamorphose du social ». D’autres de décomposition du social car les conditions d’exercice se sont modifiées. Le public et la prise en charge aussi ont changé : on est passé de la notion d’« usager » à celle de « bénéficiaire ». Dans les années 1980, de nouvelles figures de travailleurs sociaux sont apparues avec l’arrivée de formateurs, d’agents de développement, d’opérateurs et de coordinateurs sociaux, de chefs de projets ou de chargés de mission. Des postes et des associations intermédiaires à but non lucratif ont été créés pour le suivi du revenu minimum d’insertion (RMI) dans les départements. L’intervention sociale est apparue parce que de très nombreux métiers se sont ajoutés, lesquels ont imposé d’autres pratiques : monter des dossiers ou négocier des budgets. C’est le début de la grande division du travail social.
Les métiers du social sont toujours liés à l’évolution de la société. Par exemple, grâce à la sensibilisation croissante aux violences conjugales, les intervenants sociaux au sein des commissariats ou des gendarmeries se sont multipliés. Il y en a plus de 300 actuellement. A partir de 2006, le phénomène est monté en puissance. De même, il y a la nécessité aujourd’hui de travailler davantage en réseau, d’accompagner au plus près les personnes dans leurs parcours. D’où l’idée d’une meilleure coordination. Mais la fonction de coordinateur était déjà plus ou moins présente dans les référentiels des travailleurs sociaux. Il y avait des référents de parcours généralistes avec le RMI et dans le domaine de la protection de l’enfance. En France, le travail social est un secteur éclaté avec des compétences et des positions assez floues. C’est une appellation non contrôlée avec une mosaïque de métiers : 180 étaient recensés au milieu des années 1980.
Il existe de véritables métiers émergents, comme celui de promeneur du Net, soutenu par la Caisse nationale des allocations familiales (Cnaf), qui permettent de lutter contre la précarité numérique. L’an dernier, le Conservatoire national des arts et métiers (Cnam) a signé une convention avec l’organisation d’employeurs Nexem pour mettre en place un diplôme universitaire d’assistant aux projets et parcours de vie (APPV). Mais est-ce un nouveau métier ? Pas si sûr. Que deviendront les auxiliaires de vie, les aides médico psychologiques ? On risque d’assister à un phénomène d’empilement de métiers.
Les métiers de soutien au numérique peuvent subsister assez longtemps. En même temps, d’ici vingt à trente ans, nous aurons affaire à une population complètement connectée. Plus globalement, la survivance des métiers émergents va dépendre de la formation et de la certification. Au Cnam, j’ai constitué un groupe de travail qui se penche sur la question de la discipline « sciences humaines travail ». Reste à savoir comment intégrer ces nouveaux diplômes à ceux déjà en place. C’est bien que le secteur bouge. Cela montre que la société prend en compte la souffrance et qu’il y a de l’entrepreunariat. Mais il semble essentiel de procéder à un inventaire des métiers du social pour examiner ceux que l’on pourrait faire évoluer à partir d’un regroupement de professionnels, par exemple. Il faut également réfléchir aux missions des travailleurs sociaux classiques. Les assistants sociaux, les éducateurs, les professionnels de terrain se plaignent de passer trop de temps à établir des dossiers. On ne peut faire l’impasse sur tous ces aspects.