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La réussite éducative disqualifie certains savoirs

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Ce nouveau paradigme, qui succède à la réussite scolaire, n’est pas dépourvu d’une certaine utilité dans la prise en charge des enfants en difficulté. Mais il fait fi des responsabilités de l’institution scolaire dans leur décrochage et ne prend pas en compte les inégalités structurelles, économiques, sociales ou culturelles auxquelles sont confrontées les élèves.

« La réussite scolaire a laissé place à un nouveau paradigme : la réussite éducative. Celle-ci résulte de la loi pour la cohésion sociale et l’égalité des chances, qui se déploie aujourd’hui dans de nombreux quartiers dits « sensibles » sous différents aspects : amélioration de l’accès aux études supérieures pour des élèves des zones d’éducation prioritaires (ZEP) ; développement d’internats de réussite ; création de dispositifs spécifiques tels que le programme de réussite éducative – ou PRE(1).

La notion « d’approche globale » constitue une référence clé, comme c’est le cas dans d’autres secteurs, en particulier ceux de l’intervention sociale et médico-sociale. Dans cette optique, le PRE entend impliquer fortement les familles dans le parcours individualisé de l’enfant et accentuer la coopération des différents champs : éducatif, associatif, culturel, sportif ou médical. Ce dispositif intervient généralement à la demande de l’institution scolaire lorsqu’elle n’arrive pas à gérer les troubles d’apprentissage ou de conduite (absentéisme, incivilités…) que présente un jeune. Ce dernier se verra alors orienté vers un réseau de spécialistes dont le PRE est le coordonnateur.

Ignorés par le passé – l’école pensant détenir le monopole de l’éducation –, les rapports entre le scolaire, le périscolaire et l’extrascolaire sont aujourd’hui très étroits voire fusionnels, ce qui ouvre de nouvelles perspectives en termes d’analyses pluridisciplinaires et d’actions pluriprofessionnelles. Ouverture d’autant plus légitimée par la nécessité de travailler en commun sur des problématiques complexes, mais aussi par un présupposé toujours vivace : dans les quartiers « prioritaires », l’héritage culturel et subjectif transmis par les parents des classes populaires est scolairement peu stimulant. D’où cette hypothèse sociologiste consistant à faire de l’origine sociale une raison majeure de démission scolaire(2).

S’imposant comme un mot d’ordre contre le phénomène du décrochage scolaire et de ses effets négatifs sur l’idéal de cohésion sociale, la réussite éducative concerne au premier titre la situation de nombreux jeunes, mais interroge également le labeur des enseignants, le mode de transmission et de sanction des savoirs, et, au-delà, les multiples réformes à propos des programmes, le bien-fondé des différentes politiques d’éducation, d’autant plus que l’école joue un rôle non négligeable dans la perpétuation, voire l’accroissement, des inégalités sociales. Une question essentielle se pose : de quelle réussite parle-t-on ? Comment l’évaluer ? A partir de quels critères objectifs et subjectifs ?

Définition Floue

Constatant l’absence de définition officielle, la délégation interministérielle à la ville (DIV) – pourtant maître d’œuvre dans l’affaire – enjoint chaque acteur départemental à élaborer sa propre définition, mobilisant l’intelligence collective des partenaires en présence, mais activant le risque de laisser libre cours aux projections des professionnels, et, au final, d’aboutir à une définition passablement généraliste. On peut ainsi lire dans le Guide méthodologique de la DIV, paru en 2007 : « La réussite éducative se décline en quatre axes : l’estime de soi et la confiance en soi comme capitaux personnels indispensables à la construction d’une trajectoire personnelle positive ; la capacité à vivre en société, à entrer en relation avec autrui, dans le respect des autres et de soi-même ; l’acquisition d’une capacité d’insertion scolaire et professionnelle ; la mise en œuvre d’un projet personnel à partir de la mobilisation de l’ensemble de ses ressources. »(3) Cela illustre parfaitement les représentations psychologistes qui exhibent les capacités psychiques des sujets à désirer des modalités d’insertion supposées enviées par tous, indépendamment du capital culturel, des orientations idéologiques dont ils sont porteurs et des pactes conscients et inconscients qui les lient à leur famille et appartenance sociale.

Une notion « symptôme » paraît légitimer la réussite éducative : la fragilité de certains élèves. Utilisée au singulier et sans adjectif pour la caractériser, cette catégorie risque de cibler un spectre particulièrement large de situations et d’entretenir une sorte de fuite en avant « handicapologique », pour reprendre le terme du sociologue Robert Castel. En témoigne la constellation récente des troubles dys : dyslexie, dysgraphie, dysorthographie, dyspraxie, dysphasie, dyscalculie, etc. Cette catégorie met en scène un binôme spéculaire : fragilités / ressources, tels deux pôles se définissant l’un vis-à-vis de l’autre, par opposition et par complémentarité.

La réussite éducative fait le pari que les fragilités temporaires de certains élèves seront compensées par les facultés plus ou moins durables qu’ils développeront dans d’autres secteurs d’activité grâce aux compétences de multiples éducateurs sportifs, culturels, sans oublier les parents, invités à s’impliquer fortement. Pari parfaitement respectable et indispensable pour accompagner et stimuler chaque enfant. A condition toutefois de ne pas faire fi des inégalités structurelles qui pèsent sur la situation des élèves de ces quartiers dits « prioritaires ».

La réussite éducative vise l’égalité des chances, pas celles des conditions économiques, politiques, institutionnelles. A ce titre, elle ne peut être que palliative, malgré la disponibilité, les convictions et engagements de chaque professionnel. C’est ce que semblent énoncer les évaluations produites par l’Institut des politiques publiques (IPP) à propos du PRE(4) : « faiblesse des effets psychologiques et scolaires obtenus, à l’exception de la santé et de l’assiduité ». Les bénéfices ne paraissent pas très probants pour les jeunes. En revanche, l’intérêt pour le développement du travail en réseau est davantage souligné. Ce qui constitue un enjeu non négligeable, à condition que les partenaires sachent tirer partie de la confrontation des points de vue et soient à l’écoute des familles et des savoirs qu’elles développent. Et ce, pas seulement à l’occasion de conjonctures inédites, comme celle du confinement, obligeant celles-ci à inventer des manières de faire école à la maison.

L’émancipation Comme Objectif

Il est important de souligner que la réussite éducative vise à élargir le champ des possibles en postulant une « continuité éducative » entre partenaires intra et extrascolaires dans le but d’accompagner chaque enfant dans sa singularité. A distance, donc, d’une prise en charge panoptique qui viserait à faire de lui un élève comme il se doit. Plus d’émancipation et moins de normalisation, en quelque sorte. En ce sens, la réussite éducative émet une réalité autant qu’un idéal : ne pas réduire l’idée de réussite au seul succès scolaire, au risque cependant d’oublier que l’école détient un rôle déterminant dans la formation des compétences et des qualification, et donc dans la distribution des places au sein de la division sociale-technique du travail. Au risque également d’attribuer à chacun des élèves les causes symptômatiques de son rapport à l’école, toujours en termes de manques et de failles, mais jamais comme réticences, voire résistances, à l’égard d’une certaine école qu’ils considèrent, à tord ou à raison, comme n’étant pas la leur, ni faite pour eux dans la mesure où les savoirs issus de leur référentiel familial et culturel sont très souvent disqualifiés au dépend du savoir promu par l’institution.

Il serait sans doute utile de ne pas trop esquiver la part qui revient à l’institution scolaire dans chaque diagnostic de situation de décrochage : formes et contenus des enseignements, modalités de contrôle et d’évaluation, valorisation de certains savoirs par rapport à d’autres, etc. Qu’en est-il, en effet, du décrochage de l’école à l’égard des élèves dès que des questions d’apprentissage et de comportement se posent ? Sans cette lecture dialectique, la réussite éducative ne risque-t-elle pas de rester une métaphore très approximative et finalement peu opérante ? »

Notes

(1) Leur but est de lutter contre l’échec et le décrochage scolaire en accompagnant dès les premières années de l’école maternelle et jusqu’au terme de la scolarité, des enfants et adolescents considérés comme « fragiles » sur la base de critères comme l’état de santé psychique, le développement physique et psychologique, l’environnement familial et socioéconomique de l’enfant.

(2) En France, les élèves issus d’un milieu socio-économique défavorisé n’obtiennent pas seulement des résultats nettement inférieurs. Ils sont aussi moins impliqués, attachés à leur école, persévérants.

(3) « Définir la Réussite éducative ? » Frédérique Bourgeois, revue Cahiers de l’action, 2010/1 (n° 27).

(4) Rapport IPP n° 13, mars 2016, évaluation des PRE.

Contact : jeanjacquesbonhomme@sfr.fr

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