Partie de zéro ou presque. A l’exception d’une école privée dispensant des formations pour les travailleurs du secteur médico-social, le Congo-Brazzaville n’avait, jusqu’en 2018, aucun diplôme d’Etat reconnu pour les travailleurs sociaux. Le 9 septembre de cette année-là, la toute première promotion de l’Institut national du travail social est présentée dans l’auditorium du ministère des Affaires étrangères. Cinquante-huit élèves ont décroché une licence dans trois spécialités : assistant en sensibilisation sociale, éducateur spécialisé et éducateur de développement social et local. « Avec votre diplôme, vous faites désormais partie des travailleurs sociaux, les félicitait alors la ministre des Affaires sociales et de l’Action humanitaire Antoinette Dinga-Dzondo. Vous serez là pour accueillir, écouter, accompagner, aider et développer des projets pour les jeunes filles, les orphelins et autres enfants vulnérables, les personnes du troisième âge, les personnes vivant avec un handicap, les populations autochtones, les jeunes désœuvrés sans emploi, les travailleurs des secteurs public et privé ou toute autre personne dans le besoin. »
L’aventure démarre en 2008. Elle est le fruit de la rencontre entre Elisabeth Prieur, chargée de mission à l’international et chercheuse à l’institut social de Lille, et la ministre des Affaires sociales du Congo-Brazzaville, Emilienne Raoul. Le pays se remet à peine d’une épouvantable guerre civile de dix ans (1993-2003) opposant les milices de Pascal Lissouba à celles de l’actuel président Denis Sassou Nguesso. A l’ombre de celle qui ravage le Zaïre, le géant voisin rebaptisé depuis République démocratique du Congo (RDC), des centaines de milliers de civils ont perdu la vie. Incertaines, les estimations oscillent entre 400 000 et 800 000 morts, soit plus de 10 % de la population totale du Congo-Brazzaville. Outre les destructions matérielles, le conflit a eu un impact profond dans la société. Des quartiers entiers de la capitale ont été détruits ou sont dépeuplés, les orphelins, les mutilés ou les femmes victimes de viols sont innombrables. La détresse de la population est immense.
Avec Emmanuel Jovelin, professeur de sociologie et titulaire de la chaire du travail social et de l’intervention sociale au Conservatoire national des arts et métiers (Cnam), Elisabeth Prieur œuvre à l’organisation d’un séminaire international en 2011, réunissant plus de 400 participants venus de tout le continent africain (Côte d’Ivoire, Maroc, Sénégal, République démocratique du Congo…) pour jauger les différences d’approche dans la formation des travailleurs sociaux.
Puis, grâce, entre autres, à l’appui financier de l’Agence française de développement (AFD), Elisabeth Prieur et Emmanuel Jovelin mettent en place les futures formations de l’Institut national du travail social à Brazzaville. « Nous étions là pour éviter les erreurs de recrutement et les tentatives de passe-droits, se souvient ce dernier. L’autre difficulté était d’ordre opérationnelle puisque nous avons dû au préalable former nous-mêmes les enseignants. »
Cette initiation s’accompagne d’un important travail de recherche au plus près du terrain, sur la thématique de « la violence conjugale au Congo », qui a fait l’objet d’un livre aux éditions L’Harmattan. « Chacun des formateurs-chercheurs devait écrire un chapitre », précise Emmanuel Jovelin. L’ouvrage décrypte les spécificités locales d’une société confrontée à un violent patriarcat et l’universalité de la problématique des violences conjugales. Il constitue une belle introduction à cette expérience, aussi singulière que fragile, de la naissance d’une filière de travailleurs sociaux au Congo-Brazzaville. Où l’Institut national du travail social est censé garantir à tous ses diplômés un débouché professionnel, dans le secteur public comme au sein des entreprises privées.