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Une Parenthèse pour prévenir les risques de placement

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En Loire-Atlantique comme en Gironde, la Fondation Apprentis d’Auteuil expérimente un relais familial destiné aux foyers qui rencontrent des difficultés parentales et d’accès au logement. A Nantes, La Parenthèse a déjà accompagné une quinzaine de familles dans un programme de suivi social intensif.

La promesse était alléchante : ce samedi matin, Kais Ghnania devait préparer le « éjja », un plat tunisien qu’il partage d’ordinaire avec les familles présentes à La Parenthèse. Sauf qu’aujourd’hui, le jeune père de famille est arrivé en claudiquant dans les locaux de ce relais familial situé à Saint-Herblain, en périphérie nantaise. Depuis trois jours, il souffre, sans vraiment se plaindre, d’un abcès à la jambe qui l’empêche de dormir. Tant pis pour les merguez. Sur les conseils des travailleurs sociaux, il ne restera qu’une petite heure, avant d’aller se faire soigner au CHU. Le temps tout de même de régler quelques papiers avec une conseillère en économie sociale et familiale (CESF) de la structure. « Qui vous écrit ? demande Anne-Claire Voineau, document en main. Cet en-tête, c’est le département de Loire-Atlantique, qui vous apporte une information relative à votre enfant. »

Agé de 22 ans, Kais Ghnania a intégré le relais familial de la Fondation Apprentis d’Auteuil en mars 2020. Désormais locataire de son propre appartement après avoir été longtemps accueilli chez des proches, il a décroché depuis un emploi de mécanicien en contrat à durée indéterminée dans un garage de l’agglomération nantaise. Pour la garde de son fils, Rayan, âgé de 2 ans, il a trouvé une assistante maternelle. De jour en jour, sa situation s’éclaircit. S’il peinait au début à déchiffrer les documents administratifs et à en comprendre les rouages, il confiait, quelques semaines après notre rencontre, ses progrès : « Grâce au relais, j’ai appris plein de choses. Je peux gérer mes papiers : la caisse d’allocations familiales, les impôts, l’assurance maladie… » Il lui faut désormais passer son permis de conduire. « Pour le moment, c’est mon patron qui vient me chercher tous les matins et me ramène le soir », précise-t-il. S’il trouve un logement, il quittera le relais familial sous peu. « Sinon, ce sera en septembre. »

Depuis sa création, début 2019, La Parenthèse a accueilli une quinzaine de familles, comme celle de ce jeune Tunisien. Toutes avaient en commun, au moment de leur admission, le fait de rencontrer des difficultés parentales et d’accès au logement. La plupart étaient des mères, souvent d’origine étrangère et, jusqu’à présent, toujours en situation monoparentale. Certaines familles pouvaient bénéficier d’une mesure d’action éducative en milieu ouvert (AEMO) ou d’une aide éducative à domicile (AED). « Elles n’ont pas vocation à durer. Que fait-on si ces mesures ne suffisent pas ? On passe sur une demande de prise en charge plus forte, sur décision du juge, ou on propose des actions nouvelles ? interroge Fabienne Padovani, vice-présidente chargée de la protection de l’enfance au département de Loire-Atlantique. La Parenthèse est née de la conjonction d’un projet porté par les Apprentis d’Auteuil et d’une volonté du département d’ouvrir notre palette d’accueil pour travailler de façon plus approfondie avec les familles et éviter un éventuel placement. »

Se poser pour mieux rebondir

Dans la droite ligne de la loi de 2016 et de la « stratégie nationale 2020-2022 » portée par Adrien Taquet, secrétaire d’Etat chargé de l’enfance et des familles, le projet s’inscrit dans une logique de prévention. Il s’agit d’intervenir auprès des familles, en leur offrant un toit mais aussi un accompagnement global, afin d’éviter tout risque de voir leurs enfants confiés à la protection de l’enfance. « Certains placements sont dus aux impacts que peut avoir la situation précaire des parents. Il est difficile de s’occuper correctement de ses enfants quand on cherche où dormir », justifie Isabelle Egron, chargée de prévention au sein de la protection de l’enfance du département. Parfois, il s’agit de faciliter le retour de placement. Et cela implique de loger les familles.

En partenariat avec trois bailleurs sociaux, le relais familial met à disposition six appartements, du T2 au T5, ainsi qu’un appartement « tiroir » dédié aux accueils de courte durée (45 jours au maximum). La structure sous-loue aux familles, moyennant une participation de 50 à 80 € en fonction de leurs revenus et le dépôt d’une caution de 450 à 600 €. Avec quelques arrangements parfois. Lorsqu’il est arrivé en France, Kais Ghnania n’avait pas d’emploi et ne touchait pas le revenu de solidarité active. Pendant quatre mois, il n’a pas payé le loyer, puis il a remboursé ses dettes une fois son contrat de travail signé.

Pour permettre l’accès au logement, la structure mobilise toutes les options en fonction de la situation des personnes : les centres d’hébergement et de réinsertion sociale (CHRS), qui peuvent accueillir dans leurs unités familles ; les HLM, via les bailleurs ou le contingent de la préfecture ou de la mairie ; l’association Habitat et Humanisme, acteur de l’insertion des personnes en difficulté par le logement ; le groupe Action logement pour les personnes travaillant dans une entreprise de plus de dix salariés… « Il n’y a pas de priorités d’accès particulières pour les familles de La Parenthèse, explique Isabelle Egron. La difficulté à trouver un logement demeure la problématique principale. » La durée d’accueil est, en théorie, de six mois renouvelables. Mais il est fréquent que les familles restent pendant un an, voire un an et demi, tant que l’accès au logement n’est pas acquis.

La Parenthèse offre avant tout la possibilité de rebondir. Un temps pour souffler dans un cadre sécurisé. En témoignent ces quelques mots affichés dans les couloirs : « Le service est un lieu où le futur est possible. Où nul n’est contraint de reproduire le passé. Où l’on peut s’imaginer différemment… » Le logement fait ici figure de préalable à un travail de fond avec les familles, sur tous les fronts : l’emploi, la situation administrative, l’environnement social, la garde des enfants ou encore la santé. « Les familles se sentent à l’aise ici. Elles trouvent un confort et une sécurité qui leur permettent de prendre confiance et d’avancer. Nous n’avons pas de baguette magique, mais notre objectif est de faire en sorte qu’elles soient plus fortes, moins abîmées par la précarité », observe Marietta Jollivet, éducatrice spécialisée.

Autour de la cheffe de service, interviennent deux conseillères en économie sociale et familiale, deux éducatrices spécialisées ainsi qu’une psychologue à mi-temps. Cette pluridisciplinarité constitue un véritable atout : « Les parents peuvent se comporter différemment en fonction des travailleurs sociaux qu’ils rencontrent, explique Valérie Loret, CESF. Avec un tel accompagnement, chaque acteur apporte des éléments complémentaires dans la prise en charge. »

L’étoile des familles

Pour identifier les besoins et fixer un cap, les professionnelles utilisent l’« étoile de progression des familles ». Cet outil permet d’évaluer dix sujets : l’insertion professionnelle, la santé, le bien-être, les besoins émotionnels, la sécurité, l’intégration sociale, l’apprentissage et la scolarité, le respect des limites, le rythme de vie et la situation matérielle. Pour chacune de ces branches de l’étoile, les familles doivent estimer, sur une échelle de 1 à 10, leurs ressources. « On travaille deux branches par rendez-vous d’une heure, explique Marietta Jollivet. Et on en sort des objectifs et un plan d’action précis. » Les travailleuses sociales interviennent alors dans le cadre d’entretiens menés au bureau ou au domicile des personnes. Elles consacrent une partie de leur temps à observer le quotidien des familles à travers une multitude d’activités : cafés-parents, repas, ateliers de couture… « Ces instants de convivialité permettent aux familles de sortir de leur isolement, de recréer une bulle avec les autres. La spontanéité que ces moments engendrent est aussi précieuse pour nous. Cela facilite les échanges et nous donne une meilleure perception des qualités des personnes et de leurs compétences parentales », explique Nathalie Feuildet, éducatrice spécialisée.

Les professionnelles travaillent sur le pouvoir d’agir des familles, en mobilisant toutes les ressources dont elles disposent, malgré leurs difficultés. « Nous faisons émerger des compétences qu’elles ont ou qu’elles ont eues mais qui, en raison de leurs difficultés, ont pu passer au second plan. Quand on rencontre des problèmes pour se loger ou obtenir des papiers, on n’est plus psychiquement avec ses enfants. L’insécurité d’une mère ou d’un père insécurise à son tour l’enfant, qui peut développer une agitation ou des troubles du comportement, témoignent Marietta Jollivet et Valérie Loret. On est toujours sur la crête. Il suffit parfois de peu pour tomber dans la protection de l’enfance. »

Du sens au métier

Si l’accompagnement est global, l’enfant demeure le fil rouge du dispositif : « Nous travaillons sur la relation parents-enfants. Nous cherchons à saisir les besoins et à comprendre ce qui se joue pour que notre intervention soit parfaitement adaptée à la situation », explique Sophie Arnaud, cheffe de service. Des ateliers psychoéducatifs permettent de travailler spécifiquement sur les émotions des enfants.

Les familles sont généralement orientées par les espaces « solidarités » du département, les assistantes sociales de secteur ou de la protection maternelle et infantile (PMI). A ce jour, 36 demandes ont été étudiées pour 15 familles accueillies : La Parenthèse est encore méconnue par les professionnels. « Il faut du temps pour se faire connaître, mais nous ne sommes pas dans l’urgence, nous prenons le temps d’installer les choses, justifie Sophie Arnaud. Et nous voulons nous assurer qu’au regard de la problématique des familles, c’est bien ce dispositif qui est pertinent. »

Le service a ainsi affiné ses critères d’admission en définissant des profils non éligibles : les auteurs de violences conjugales, d’abus sexuels ou de maltraitance ; les parents souffrant de troubles psychologiques ou d’addictions majeures pouvant avoir une incidence sur la sécurité des enfants, ou encore ceux qui seraient en situation irrégulière ou non éligibles au parc HLM. « On ne peut pas leur faire intégrer le dispositif s’ils ont une dette auprès d’un bailleur social, et qu’on sait à l’avance que l’accès à un logement leur sera refusé », poursuit Sophie Arnaud. Lorsque leur admission est validée, les familles ont l’obligation de prendre une semaine de réflexion avant de signer le contrat d’accueil. Une manière de s’assurer qu’elles comprennent à quoi elles s’engagent.

Les professionnelles, quant à elles, apprécient la chance de pouvoir mener un tel accompagnement, tant sur le plan individuel que collectif. Toutes disent retrouver du sens à leur travail. C’est le cas de Marietta Jollivet, qui exerçait auparavant au sein d’une maison d’enfants à caractère social (Mecs) : « La Parenthèse est un dispositif de qualité, qui manquait réellement. Un projet avec des moyens, qui nous donne le temps de mener un travail concret avec les familles, de se parler entre professionnels et avec les partenaires. » Un avis que partage Anne-Claire Voineau, qui travaillait dans un centre d’accueil de demandeurs d’asile (Cada) avant de rejoindre la structure. « Nous avons plus de temps à consacrer à l’accompagnement, qu’il soit individuel ou collectif, et au travail avec nos partenaires, se félicite-t-elle. Le lien de confiance qui s’instaure permet aux familles de raconter leurs difficultés. » L’essence même du métier, en somme, que beaucoup de travailleurs sociaux leur envieraient.

Un contrat à impact social

Expérimental, le projet s’inscrit dans le cadre d’un contrat à impact social (CIS). Le principe ? La Caisse des dépôts et consignations ainsi que deux investisseurs privés – la BNP et le fonds d’investissement Ides (Institut de développement de l’économie sociale) – avancent chaque année les fonds nécessaires (2,4 millions d’euros de budget sur quatre ans) au montage du projet. Au département, ensuite, de rembourser les sommes… Mais uniquement si le projet atteint les objectifs fixés dans le contrat. Un évaluateur indépendant, le cabinet Kimso, est chargé de mesurer le respect des indicateurs. Le principal critère est le placement ou non en maison d’enfants à caractère social (Mecs) ou en famille d’accueil 12 mois puis 24 mois après la sortie du dispositif. Le programme initial du relais familial s’étale sur quatre ans, de 2019 à 2022. Il sera donc définitivement validé en 2024, soit deux ans après que les dernières familles auront quitté La Parenthèse. Une première évaluation du nombre de placements évités doit être remise au premier semestre 2021. Et une évaluation qualitative doit permettre d’observer le cheminement des familles et la pertinence du dispositif. Il est à relever que les CIS sont fortement décriés par les acteurs du travail social (voir ASH n° 3164 du 12-06-20, page 6).

Reportage

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