C’est un cercle vicieux. Face à un déficit d’attractivité, les établissements et services sociaux et médico-sociaux ne se donnent pas suffisamment le temps d’accueillir celles et ceux qui ont choisi de les intégrer. Conséquence : un turn-over endémique pour certains d’entre eux. « Le secteur est confronté depuis quelques années au renouvellement de ses effectifs, confirme Françoise Perrier, consultante en stratégie au sein du cabinet de recrutement et conseil Umanëis RH et ex-directrice des ressources humaines (DRH) du secteur médico-social. Certains établissements ont plus de 50 ans et manquent d’attractivité. Les conventions collectives n’ont pas évolué et les pratiques RH sont à requestionner en profondeur. »
Conscientes de l’urgence d’agir, des branches et fédérations professionnelles se penchent sur le sujet. « L’intégration est un enjeu majeur, estime Amélie Gillette, responsable du développement des ressources humaines du réseau à l’Union nationale de l’aide, des soins et des services aux domiciles (UNA ). Nous avons des besoins en recrutement très importants : près de 20 000 emplois étaient vacants dans la branche en 2020. Nous sommes donc sur de gros volumes d’intégration. » Dans le cadre d’un programme de modernisation mené avec la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie (CNSA), l’UNA développe un projet spécifique sur ce sujet. « Nous organisons des rencontres régulières avec six ou sept établissements. Les professionnels peuvent échanger sur leurs pratiques et venir chercher de la matière et des outils, comme des livrets d’accueil et d’intégration, des kits d’accompagnement au tutorat ou l’évaluation des salariés à la fin de la période d’essai. »
Tutorat, parrainage… Des expérimentations montrent que les réponses sont souvent à chercher auprès des salariés déjà en place, les mieux à même de « passer le flambeau ». « Le parrainage donne du sens au travail. Il est vécu comme une forme de reconnaissance par le parrain. Et pour le nouveau salarié, c’est la meilleure porte d’entrée pour comprendre et mieux vivre les réalités des métiers », explique Françoise Perrier.
Conseil mis en pratique chez Aid’Aisne, association de services d’aide à la personne à domicile basée à Saint-Quentin, dans l’Aisne, en « transformation managériale profonde et permanente » selon son directeur, Dominique Villa. La responsabilisation des salariés va très loin. Fonctionnant en équipes autonomes de huit à dix personnes depuis plus de deux ans, l’établissement va jusqu’à confier « aux équipes les plus matures et qui le souhaitent », la décision du recrutement. « Parallèlement, nous avons fait évoluer nos dispositifs d’intégration des nouveaux collaborateurs. » Dans chaque équipe, une marraine ou un parrain est identifié comme référent(e)s de chaque nouvel entrant. « La personne qui arrive ne travaille pas le premier jour, mais passe du temps avec tous ses collègues et les accompagnent pour rencontrer les bénéficiaires. Le but est de rompre l’isolement professionnel, et de faire comprendre aux nouvelles recrues qu’on est dans un travail collectif. » Cette politique porte ses fruits : « En 2018, nous avons recruté 126 personnes et 113 sont parties. En 2020, nous avons connu seulement 33 entrées et 26 sorties. »
Chez SOS Villages d’enfants également, association de 700 salariés qui offre aux enfants placés, réunis en fratrie, un nouveau cadre familial, « la question du tutorat est incontournable » souligne Christophe Chabrier, responsable du pôle « gestion des compétences ». « Particulièrement pour les éducatrices et assistantes familiales, les premières étant présentes au sein des maisons, aupès des enfants, 258 jours par an. Depuis trois ans, nous proposons, plutôt qu’un tuteur pour un salarié, des équipes de tuteurs dans chaque village. Cela permet de ne pas se sentir en situation d’évaluation, et de favoriser les affinités. Nous avons ainsi organisé des équipes de tuteurs volontaires, formés, qui ne sont pas désignés pour leur ancienneté, mais pour leur motivation et leurs compétences. »
Souvent, cependant, les choses peinent à se maintenir dans la durée. « Il faut régulièrement rappeler l’importance de l’accueil aux encadrants et aux salariés. Quand vous lancez des actions, il y a un effet positif immédiat. Mais si vous ne les entretenez pas, elles risquent de passer au second plan. Il faut être honnête, quand il n’y a pas assez de personnel dans certains établissements, et que tout le monde est en train de courir, il est difficile de se pencher longuement sur l’intégration », admet Renaud Michel, directeur général de l’office d’hygiène sociale (OHS) de Lorraine, association pluridisciplinaire, et délégué général de la Fédération des établissements hospitaliers et d’aide à la personne privés (Fehap) dans le Grand-Est.
Confiant à chaque responsable RH le soin de veiller à l’intégration des nouveaux, il a tenu, depuis six ans, à s’impliquer personnellement : « Trois ou quatre fois par an, je reçois un groupe d’une vingtaine de personnes issues de tous les établissements, qui ont entre zéro et six mois d’ancienneté dans l’association. L’idée est de leur raconter notre histoire, de leur montrer qu’on a plus de 100 métiers, et plus de 35 établissements et services réunis par une même culture associative. L’objectif consiste à les intégrer dans cette culture et à favoriser les rencontres. Accueillir en présentant les possibilités ultérieures de mobilité offre également un atout pour la fidélisation. »
Lutter contre un turn-over endémique en se posant les bonnes questions sur la manière d’accueillir doit, ou devrait, justement être au cœur des préoccupations, selon Orane Ramondou, auteure d’un mémoire sur la thématique de l’intégration des nouveaux salariés dans les Epahd dans le cadre de son master « Ingénierie de la santé » à l’université de Lille 2 (1). Aujourd’hui directrice adjointe d’un établissement, elle explique combien il est « aisé d’écrire un programme d’intégration » mais beaucoup plus difficile de le mettre en pratique. « Nous sommes rattrapés par le quotidien et cela prend du temps. Les professionnels soignants travaillent en horaires décalés, l’encadrement n’est pas toujours présent lors des arrivées. Quand un intérimaire vient pour une seule journée, les équipes titulaires, fatiguées de répéter la même chose, perdent espoir. Et pourtant, tout le monde est bien conscient qu’il faut travailler sur l’accueil. » Cependant, le programme se met en place peu à peu : « Nous avons conçu un parcours d’intégration, du recrutement jusqu’à la validation de la période d’essai. Chaque personne a une check-list en arrivant, sa blouse est prête. Nous proposons un référent ou un parrain pour accompagner la prise de poste, un pair, évidemment volontaire. » Problème : si on prend une ou deux heures de temps pour accompagner la nouvelle salariée, c’est un résident qui risque de ne pas l’être. « Nous sommes à flux tendu. Nous avons pensé les parcours avec les équipes de terrain, mais entre l’envie et la réalité, il y a un gouffre, c’est frustrant. Les personnes en contrat à durée indéterminée restent assez longtemps, certaines sont là depuis vingt ans. La question se pose davantage de fidéliser les intérimaires et les personnes en contrat à durée déterminée. »
La question de l’intégration, cependant, reste « rarement posée en tant que telle », note Carole Rousseau, gérante du cabinet Corrélation RH et ex-DRH de groupes dans le secteur médico-social. Et c’est regrettable : « J’interviens en tant que conseil dans les établissements, principalement des Ehpad et surtout en “curatif”, pour dénouer des conflits. Quand on déroule ce qui a amené à ces tensions et la façon dont elles auraient pu être évitées, la question de l’intégration fait souvent partie du problème. » Durant trois ans, la consultante a aidé un Ehpad à mettre en place d’une stratégie RH. « Il y avait un turn-over dramatique. Nous avons travaillé sur les valeurs de l’entreprise, établi une charte de comportements professionnels, avec des salariés volontaires pour accompagner la démarche. »
Une intégration réussie commence parfois par des détails qui n’en sont pas, insite l’experte : « Un écran dans le hall, avec inscrit “Bienvenue à Madame Untel”, un tuteur qui vient chercher la nouvelle recrue à l’accueil, la présente, l’accompagne pour lui faire visiter l’établissement. Cela suppose juste de prendre son temps, pour que la personne ne soit pas “jetée” sur son poste immédiatement. Nous avons mis en place parallèlement un système d’évaluation des salariés, dans lequel l’accueil des arrivants est intégré aux critères de performance. »
Pour Dorothée Grière, le processus peut être moins théorisé. Selon cette éducatrice spécialisée dans un service d’éducation spécialisée et de soins à domicile (Sessad) près de Toulouse (Haute-Garonne), c’est d’abord la culture d’une association ou d’un service qui détermine cette qualité d’accueil, « formaliser à l’excès une procédure n’est pas nécessaire. Dans notre service, l’accueil des salariés et des enfants est mené par l’équipe, avec le même soin. On a à cœur de donner des repères aux nouveaux arrivants et de prendre le temps. Nous restons baignés par les principes de la psychothérapie institutionnelle. » En ces temps de tensions budgétaires et de contraintes de temps, ces pratiques ne sont cependant pas le modèle dominant.
(1) « Le dispositif d’intégration des nouveaux salariés a-t-il une incidence sur la qualité de prise en charge des résidents en Ehpad ? », Orane Ramondou – Université de Lille 2 (2018).