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« L’accompagnement au numérique, un impensé du champ social »

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La transformation du travail social par le numérique est indéniable, mais reste un aspect négligé par les institutions. Pour François Sorin, il est pourtant indispensable d’entamer une réflexion sur ces nouveaux outils dont la portée dépasse de simples considérations techniques.
L’apparition des outils numériques dans le travail social fait-elle l’objet d’une réflexion institutionnelle ?

En matière de numérique, le travail social est concerné à deux niveaux : celui des technologies numériques qu’utilisent, ou non, les professionnels et celui des demandes ou des besoins d’accompagnement au numérique des usagers. Là où le bât blesse en ce moment, c’est que les missions des différents travailleurs sociaux concernant les besoins et les difficultés numériques des usagers ne sont souvent pas traitées par l’institution. Les professionnels n’ont généralement pas de mandat clair en la matière, et l’accompagnement dans une société devenue numérique étant rarement l’objet d’une réflexion au sein des structures. Il serait intéressant que les travailleurs sociaux aient la possibilité de s’interroger collectivement sur la manière dont leurs pratiques professionnelles évoluent face à la massification des usages sociaux du numérique. Pour cela, il faut pouvoir peser le pour et le contre, en discuter, délibérer. On peut regretter que ces questions soient renvoyées à la pratique individuelle du travailleur social, alors qu’il serait intéressant de discuter de ces pratiques pendant les temps de régulation internes comme l’analyse de pratiques, la supervision, les discussions d’équipe. Il faut que les questions numériques apparaissent comme des sujets professionnels légitimes et pas uniquement comme des problèmes techniques car elles soulèvent des enjeux pratiques, éthiques et déontologiques qu’il est intéressant de traiter.

Chaque institution devrait donc définir ses propres règles ?

Le travail social est un champ très éclaté, entre la protection de l’enfance, les politiques d’insertion, le handicap, l’accompagnement des personnes âgée… Les questions liées au numérique dans l’une ou l’autre de ces dimensions ne se posent pas forcément de la même manière. Dans le secteur de la protection de l’enfance, elles sont souvent appréhendées sous l’angle des risques liés à la pratique des jeunes, les dangers d’Internet, comment les jeux vidéo pourraient créer de l’« addiction ». En Ehpad, il peut être question plutôt des aspects « positifs » du numérique, comment une vie à l’Ehpad peut être facilitée par ces outils, pour communiquer avec la famille, pour accéder à de l’information, de la culture, des loisirs quand on est équipé et que l’on sait utiliser une tablette. Dans le champ de l’insertion, ce sont très clairement les démarches dministratives en ligne et les difficultés liées à la dématérialisation qui occupent les professionnels.

Y a-t-il dans ce domaine un déficit de formation des travailleurs sociaux ?

Il faut être vigilant, car il ne faudrait pas que la formation au numérique se limite à une formation aux « outils » numériques des agents, sans que les différents niveaux de projets institutionnels qui concernent les managers, les directeurs, l’encadrement ne soient redéfinis pour prendre en compte les évolutions sociales liées à ce sujet. Pour prendre un exemple dans le cadre de l’accompagnement social, la question n’est pas seulement de savoir si les professionnels sont capables d’aider les usagers à réaliser des démarches administratives en ligne, mais aussi de savoir si c’est à eux de le faire, et à quelle fin. S’agit-il, à court terme, de gérer les urgences administratives ? Ou bien de participer à la conquête ou la reconquête d’une autonomie administrative ? Il me semble, par ailleurs, que la formation au numérique, dans ses dimensions pratique mais aussi économique, écologique, sociale, n’est pas encore assez développée dans les cursus du travail social. Les professionnels ne peuvent pas suffisamment prendre appui sur des savoirs constitués. Ils n’ont que leurs propres expériences et représentations en la matière. Alors que sur d’autres questions – comme celle des addictions, par exemple –, les positionnements professionnels se fondent sur les apports scientifiques présentés en formation initiale et continue, qui sont susceptibles de les amener à déconstruire leurs représentations initiales.

Qu’ont changé les outils numériques dans la relation des travailleurs sociaux avec les usagers ?

C’est une crainte forte dans le champ du travail social que ces métiers fondés sur la relation d’aide soient mis à mal par la communication à distance, qui deviendrait le mode normal d’entretien avec les usagers. Personnellement, je ne vois pas cela venir. Selon moi, le numérique augmente la boîte à outils communicationnelle des professionnels du champ social. Tous les travailleurs sociaux savent que pour entrer en communication avec quelqu’un, pour le mettre en confiance, l’amener à se livrer, à faire redescendre de l’agressivité, il faut travailler sur le contexte de l’échange. En fonction des personnes, des besoins, des situations, ces usages numériques peuvent être utiles dans l’accompagnement. Tant que ce n’est pas un usage unique et imposé. Il faut qu’on garantisse aux travailleurs sociaux l’autonomie dans leur capacité à définir leur écosystème relationnel. Les problèmes surgissent en général quand le numérique devient obligatoire et sans alternative.

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