Recevoir la newsletter

Handicap psychique : le numérique au service de l’inclusion

Article réservé aux abonnés

Les professionnels du service d’accompagnement à la vie sociale géré par l’Association de la Vallée de l’Hérault se mobilisent pour une autonomisation des personnes au travers d’une meilleure appropriation des outils informatiques. Mais cela nécessite un accompagnement particulier, assuré, pour l’heure, en s’appuyant sur leurs connaissances personnelles.

« Déclaration d’Impôts, Demande d’allocations familiales, remboursements de sécurité sociale, Inscription du chômage, état civil… Autant de formalités nécessaires au fonctionnement de la vie de chacun. A l’ère de la dématérialisation de l’intégralité des services publics, et alors qu’Internet occupe une place grandissante dans notre quotidien, force est de constater qu’une large partie de la population reste lésée, oubliée dans cette course au tout numérique. Afin de pouvoir prétendre à ces services, un certain niveau de compétence est nécessaire à l’accès aux différents supports et codes de communication modernes. Chez la majeure partie des citoyens, ce savoir-faire est parfaitement maîtrisé ou au moins acquis et fonctionnel.

Il n’en va pas de même pour les personnes porteuses de handicap. Elles se trouvent souvent dans une situation de grande précarité et de vulnérabilité face à un phénomène qui ne cesse de s’amplifier, et qui souvent les dépasse. Le niveau minimal permettant une relative autonomie (au moins administrative) est rarement atteint, ceci en raison d’un handicap psychique et/ou mental, du défaut d’alphabétisation, ou encore du manque de moyens matériels, ne permettant ni apprentissage procédural ni habituation. Résultat : quand elles ne sont pas accompagnées par un tiers dans leurs démarches, ces personnes sont livrées à elles-mêmes, et de nombreuses dérives et complications en découlent(1), notamment dans l’activation et/ou le renouvellement de leurs droits et dans l’exercice de leurs devoirs.

Au sein du service d’accompagnement à la vie sociale (SAVS), nous mesurons combien le soutien pour réaliser les démarches administratives est important pour saisir l’ensemble des informations correctement : créer une boîte mail ou un espace personnel, se souvenir des mots de passe(2). De plus, l’ergonomie des sites ne permet pas toujours une navigation intuitive. Nous constatons un renforcement des rapports de dépendance des personnes accompagnées vis-à-vis de l’équipe éducative pour faciliter et/ou accéder aux démarches de droit commun.

Sur les 32 personnes prises en charge au sein d’une antenne locale du SAVS où nous exerçons(3), 16 présentent un handicap psychique et nous demandent d’entreprendre avec elles ou à leur place des démarches sur les sites de l’administration française, mais aussi de les aider à envoyer un mail, ouvrir un compter client, gérer un compte bancaire ou même rechercher un séjour pour les vacances. Nous assurons également une médiation (mail et scans) avec les mandataires à la protection des majeurs, ainsi que le suivi médical (rendez-vous sur Doctolib, courriels aux psychiatres pour renouveler une ordonnance, arrêts de travail). Les plus jeunes sont autonomes pour surfer sur des sites culturels, jouer en ligne ou utiliser les réseaux sociaux.

Développer une pédagogie spécifique

Même lorsque les personnes sont sous mesure de protection (curatelle simple ou renforcée), elles sont souvent “exclues”. “L’absence d’accès spécifique dédié au tuteur sur les sites de démarches en ligne contraint ce dernier à utiliser les identifiants personnels du majeur protégé et à l’exclure de fait des démarches administratives, et donc de ses droits fondamentaux”(4). Cela renforce le rapport de dépendance à un autre (quel qu’il soit), engendre un risque majeur d’exclusion et conduit à des situations de vulnérabilité numérique ou administrative. Apparaît alors un “surhandicap”, renforcé par l’impression de perdre encore davantage de liberté et de capacité à exercer sa citoyenneté.

Nous souhaiterions pouvoir lutter contre ce sentiment d’exclusion en favorisant une autonomisation des individus, non seulement dans notre service, mais aussi, plus largement, au sein d’un espace dédié à cet apprentissage. Il s’agit d’offrir à ces personnes la possibilité d’accéder à un savoir, à des repères pratiques pour qu’elles puissent progressivement “naviguer” de façon autonome. Cela suppose un accompagnement personnalisé en fonction des compétences de chacun.

La première étape consiste à proposer une pédagogie facilitant l’accès et la compréhension des fonctionnalités du numérique. Mettre la personne face à l’écran ne suffit pas. Il faut l’accompagner, expliquer, conseiller, médiatiser la rencontre avec le numérique jusqu’à l’acquisition d’automatismes. Cet apprentissage suppose aussi d’avoir accès à l’outil informatique ou d’être en possession d’un ordinateur, d’une tablette ou d’une box. Or, ce n’est pas toujours le cas.

Dans le cadre de nos formations d’éducateur spécialisé ou de moniteur-éducateur, nous n’avons pas bénéficié d’enseignements ou d’une pédagogie visant à faciliter l’accès au numérique du public accompagné. Nous faisons avec nos propres moyens, notre maîtrise de l’outil informatique et nos connaissances personnelles. Il serait donc pertinent de développer notre savoir-faire grâce à des formations. Ensuite, en s’appuyant sur le matériel disponible au sein du service, nous pourrions développer un espace dédié à cet apprentissage, sous forme de rencontres individuelles ou de mini-ateliers.

Favoriser une interconnaissance entre les acteurs

Nous aimerions partager cette réflexion avec nos collègues via l’instance “Vie sociale et citoyenneté”(5), afin qu’ils puissent s’impliquer dans ce projet, amener d’autres idées, des témoignages et de nouvelles perspectives. Par ailleurs, nous souhaitons associer une personne suivie par le SAVS au comité de pilotage qui réfléchit à cette thématique et qui réunit déjà différents acteurs (élus locaux, centres de jour, institutions sociales, médico-sociales, sanitaires, organismes de tutelle…) au sein du comité local de santé mentale (CLSM). Soutenu par le Creai-ORS (centre régional d’études, d’actions et d’informations en faveur des personnes en situation de vulnérabilité – observatoire régional de la santé) et par la Fondation de France, le réseau des CLSM envisage en effet de mettre en place des formations croisées ouvertes aux “aidants informatiques” des diverses institutions (y compris les représentants des usagers de ces établissements). Elles auraient pour objectif de développer les savoirs et les compétences pédagogiques, mais aussi de favoriser une interconnaissance entre les acteurs susceptibles d’améliorer l’accueil des personnes dans les diverses structures pour les rendre moins dépendantes des institutions référentes.

La création de l’espace dédié que nous proposons serait un support complémentaire pour atteindre ces objectifs. Les personnes qui travaillent au SAVS bénéficieraient d’un frayage, d’un accompagnement au démarrage, afin qu’elles s’approprient ces nouveaux lieux et services. L’implication des associations tutélaires dans cette démarche nous semble indispensable pour réfléchir ensemble à la façon dont nous pourrions favoriser, dès lors que c’est possible, une émancipation et une autonomisation de la personne.

La transmission du savoir et de l’expérience par l’équipe éducative ou par les pairs constitue une piste intéressante pour effacer ces inégalités. La mise en place d’ateliers dédiés à l’informatique et à l’utilisation d’Internet pourrait être envisagée. L’objectif serait d’apprendre à la personne à transposer les connaissances et compétences acquises à d’autres situations et de promouvoir cet apprentissage grâce à l’étayage d’un “pair aidant”.

Enfin, l’animation par un intervenant extérieur permettrait aux travailleurs sociaux en poste de se consacrer aux activités pour lesquelles ils sont initialement mandatés : l’accompagnement à la vie sociale (réelle) dans toutes ses composantes pour développer l’autonomie et l’épanouissement de la personne en situation de handicap. Pour cette dernière, il s’agit de devenir actrice à part entière du maintien de son inclusion dans la société, et de fait, de sa propre vie. »

Notes

(1) « Penser le numérique au prisme des situations de handicap : enjeux et paradoxes de l’accessibilité », N. Pinède, Revue tic&société, vol. 12, n° 2 (2018).

(2) « Dématérialisation et inégalités d’accès aux services publics », rap. défenseur des droits (2019).

(3) Effectif répertorié dans le rapport d’activité 2019 du SAVS.

(4) Rap. défenseur des droits, op. cit.

(5) Instance de représentation des usagers au sein de chaque antenne du SAVS d’AVH. Un président et un secrétaire y sont élus pour trois ans. Organisées en collectif deux fois par an, ses réunions abordent différents sujets de la vie courante sur le versant de la citoyenneté. Une réunion annuelle rassemble l’ensemble des représentants des usagers.

Contact : https://avh34.org

Idées

S'abonner
Div qui contient le message d'alerte
Se connecter

Identifiez-vous

Champ obligatoire Mot de passe obligatoire
Mot de passe oublié

Vous êtes abonné, mais vous n'avez pas vos identifiants pour le site ?

Contactez le service client 01.40.05.23.15

par mail

Recruteurs

Rendez-vous sur votre espace recruteur.

Espace recruteur