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Face au « virage inclusif », une gestion à petits pas

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Les progrès de l’inclusion mettent à l’épreuve les établissements sociaux et médico-sociaux. La baisse des places d’internat et le rapprochement des institutions issues du milieu « ordinaire » bousculent de manière frontale les emplois et les métiers dans ces structures. Face à un virage qui pourrait s’accélérer à l’avenir, les associations temporisent.

L’annonce n’était pas passée inaperçue à Etueffont. Forcément. Présent dans ce village du Territoire de Belfort depuis 1948, l’institut d’éducation motrice (IEM) Thérèse Bonnaymé d’APF France handicap a fermé ses portes en 2017. La structure a déménagé dans de nouveaux locaux à Belfort, quelque 20 kilomètres plus loin, tout en réduisant de moitié les places en internat, remplacées par des modalités d’hébergement plus diverses. Une conséquence logique de l’inclusion croissante des jeunes dans le milieu « ordinaire », visant à les rapprocher de leur lieu de scolarisation. Mais qui a aussi bousculé les postes de l’IEM : la moitié du personnel d’entretien ou chargé de la logistique a décidé de partir, de même qu’une partie du personnel enseignant. Le « virage inclusif » reconfigure autant les localisations des établissements que les emplois.

Dans un autre registre, l’Association d’action sociale et médico-sociale des Hauts-de-France (ASRL) a décidé de transférer, d’ici 2023, un foyer d’hébergement situé à Monchy-Cayeux. « Il présente l’inconvénient d’être dans un milieu très rural, avec des personnes très dépendantes des éducateurs pour se rendre à leur travail ou faire les courses, justifie Bruno Masse, directeur général de la structure.

Les places en « institution » sont de moins en moins attractives, d’autant que des services « hors les murs » et des habitats plus inclusifs sont de plus en plus souvent proposés. Cela concerne autant les individus accompagnés que les parents. « Quand des offres existent à domicile pour les personnes accueillies dans les maisons d’accueil spécialisées, elles ne veulent plus résider en établissement. Dans l’absolu, une partie des adultes handicapés qui y résident n’a rien à y faire », assure Khaled Belmekki, directeur du cabinet de conseil Kaletis. Fervent défenseur de la désinstitutionnalisation, il met en garde les établissements contre une hausse future de la vacance dans certains établissements, qu’il juge insuffisamment anticipée. Le risque ? Que l’obsolescence de l’offre des structures précipite les problèmes économiques.

Si ces transformations prennent du temps, le sujet n’en est pas moins présent dans les esprits. « On peut se poser la question des internats, car ils consomment des moyens en surveillants, maîtresses de maison, éducateurs. On a quand même cette alarme qui s’allume », concède Catherine Rousseau, directrice de l’offre médico-sociale de la Fondation Massé Trévidy. Dans ses deux dispositifs que sont ses instituts thérapeutiques éducatifs et pédagogiques (Itep) et son dispositif médico-éducatif (Dime), elle observe une baisse du nombre de nuitées depuis quelques années. Parallèlement à la hausse des interventions à domicile, des places en internat classique ont été diminuées de moitié dans les établissements de Quimper et Morlaix. Cette baisse est alimentée par la création des « antennes » de proximité destinée à mieux couvrir la Bretagne. « On passe d’internats liés à l’éloignement à des internats thérapeutiques, qui viennent soulager les tensions entre la famille et l’enfant », convient-elle. Ces derniers prennent une nouvelle forme : au niveau des antennes de la fondation, ce sont désormais des accueillants familiaux qui viennent compléter l’offre d’hébergement, loin du modèle du gros établissement.

Évolution des compétences : un défi

Ces évolutions liées au “virage inclusif” interrogent alors la gestion des emplois et des compétences. Pour le consultant en ressources humaines Jean-René Loubat, sont d’abord concernés les postes logistiques associés à la vie courante dans les hébergements : cuisiniers, agents d’entretien, services généraux, surveillants de nuit… « Si l’on prend les établissements un par un, cela finit par faire du monde. Ces postes représentent aussi de l’emploi local dans beaucoup de villages où un établissement fait figure de principal employeur », avertit le psychosociologue, auteur de Optimiser les ressources des organisations de l’action sociale et médico-sociale (Ed. Dunod, 2020).

La question n’est pas simple. Si des voies d’évolution professionnelle vers des fonctions de maîtresse de maison ou d’accompagnant éducatif et social existent, elles ne sont pas automatiques. « Vous ne passez pas comme cela de personnel d’entretien à personnel éducatif », insiste Bruno Masse. Si, dans certains cas, la solution est alors de recourir à des ruptures conventionnelles, il convient malgré tout d’être attentif, car certaines opportunités peuvent être saisies par les personnels. « Cela se travaille avec les personnes, à partir d’appétences qui ont été mises en évidence au cours des entretiens professionnels. On peut alors se rendre compte que, parfois, les maîtresses de maison sont plus au fait de ce qui se passe entre les murs que des éducateurs », ajoute Bruno Masse.

C’est justement l’appétence aux métiers du social qui a permis à Frédéric Théret de passer, à l’ASRL, d’un poste de surveillant de nuit à celui d’accompagnant éducatif et social (AES) au sein d’un foyer d’hébergement en train d’être transformé en établissement d’hébergement pour personnes âgées handicapées. Un choix mûrement réfléchi qui témoigne des multiples critères qui entrent en jeu. « J’ai demandé à me former en tant qu’AES en sachant qu’il y existait des opportunités. C’est un poste qui correspond parfaitement à mes attentes, où l’on est présent au quotidien auprès des personnes », explique cet ancien ambulancier. Ce choix d’orientation est également motivé par les horaires en journée, source de qualité de vie au travail. Par ailleurs, la durée de la formation a conforté sa décision : d’un an seulement, elle est moins longue comparée aux cursus de moniteur-éducateur ou d’éducateur spécialisé.

Gestion au compte-gouttes

Coincées entre le défi d’adapter les compétences et l’impossibilité de recourir à des plans sociaux – outil peu adapté –, les directions réduisent leurs effectifs par des non-remplacements. Quand il était directeur général de l’association départementale des pupilles de l’enseignement public (ADPEP) de l’Ain, Fabrice Bousquet a misé sur des départs à la retraite pour faciliter le mouvement de réduction et de restructuration des places d’internat. En privilégiant des recrutements à durée déterminée sur certains postes, il s’est aussi assuré une transition plus simple au profit des postes de coordination de parcours ou en services d’éducation et de soins à domicile (Sessad). « Pour passer à une plateforme de services inclusive, il faut avoir une GPEC [gestion prévisionnelle de l’emploi et des compétences] très fine. Il faut être en capacité de piloter sa masse salariale, avoir une idée précise de comment utiliser les ressources », reconnaît celui qui est désormais directeur de l’ADPEP 74 (Haute-Savoie).

La pyramide des âges constatée dans les structures permet d’engager ce type de mue. « Si l’on constate bien des suppressions d’emplois sur des postes logistiques, elles se sont aussi faites au rythme des départs naturels non renouvelés et du turn-over qui fait partie de notre secteur », explique Grégory Vlamynck, directeur du développement RH chez APF France handicap. Au sein de l’association gestionnaire, les personnels « logistiques » font ainsi partie des trois métiers qui comptent le nombre le plus élevé de salariés âgés de 59 ans ou plus.

Ce tournant très progressif tient également aux modalités du virage inclusif. Céder un bâtiment, développer des habitats inclusifs et nouer des partenariats satisfaisants avec des écoles prend du temps, tout comme le travail de conviction en interne. C’est pourquoi « il n’existe pas de durée moyenne de transition. Celle-ci est très dépendante des personnes », explique Elodie Albrecht, senior manager chez Mazars Santé.

Enfin, la France se tient encore à distance du modèle « tout inclusif ». Si la désinstitutionnalisation est à l’agenda des pouvoirs publics et des têtes de réseau, les acteurs du handicap maintiennent l’importance des lieux collectifs et spécialisés, d’autant que les besoins d’accompagnement sont loin d’être comblés, surtout pour des profils nécessitant des suivis spécifiques. Dans ce contexte, la disparition rapide des internats et autres lieux d’accueil est exclue. « Au niveau de la restauration, un certain nombre de repas sont toujours préparés au sein des établissements sociaux et médico-sociaux pour les publics accueillis. Ils demeurent un moment fort qui rythme la journée, source de qualité et de plaisir pour les jeunes », nuance Florence Delorière, directrice générale de la Fédération nationale pour l’inclusion des personnes en situation de handicap sensoriel et dys en France.

Recomposition des métiers

Au-delà des personnels logistiques, les métiers de l’éducatif, de l’enseignement ou encore du soin sont également impactés par le virage inclusif. « Nos professionnels sont souvent sur la route, ils se déplacent au plus près des écoles, et leurs suivis sont plus techniques, plus pointus », explique Florence Delorière, s’agissant des déficiences sensorielles.

Le devenir du métier d’éducateur spécialisé suscite des débats : concurrencé, d’après certains, par les AES avec le tournant inclusif ou par des profils paramédicaux, il est davantage en évolution selon d’autres. Pour les éducateurs spécialisés, de plus en plus souvent amenés à intervenir à domicile ou dans des logements privatifs, la question qui se pose serait moins celle de la compétence que de l’adhésion à un changement de posture. « Cela peut heurter leurs valeurs. Certains ont choisi le métier pour être dans la protection. Ils vont devoir se décaler ou partir. Sur nos 60 éducateurs, cinq sont partis ou se sont reconvertis », explique Mélina Konrad, directrice du service d’hébergement du Gapas, qui accélère son virage inclusif (voir ci-contre). « Quand on s’oriente vers des fonctionnements aléatoires, nécessitant plus d’agilité et d’adaptation, cela peut être traumatique », souligne Bruno Masse. D’où la nécessité de lancer des projets avec l’appui de la base, « dès qu’il y a une dynamique dans la structure autour des personnes, des familles, et des professionnels ». En douceur, donc, et de manière progressive.

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