Un premier service d’accueil et de soutien (SAS) a d’abord existé, fixe, à Saint-Nazaire (Loire-Atlantique). Six ans après sa création, en 2019, deux autres, mobiles cette fois, ont fait leur apparition, avec le soutien de collectivités territoriales et d’opérateurs du logement social, pour couvrir tout le département, la frange littorale et l’intérieur des terres. Le principe ? Des travailleurs sociaux vont à la rencontre des femmes en difficulté, là où elles se trouvent. Ces dernières sont souvent victimes de violences et freinées par des problèmes de mobilité, souligne l’association Solidarité estuaire, qui porte ce service. Pour compléter le dispositif, entre les passages dans les villes et villages, une permanence téléphonique reste ouverte à l’écoute. Une forme de prise en charge spécifique aux femmes, qui répond à la particularité de leur situation (voir page 8) et de leurs besoins. « Il nous faut développer une approche genrée, au risque, sinon, d’abandonner les femmes », prévient Laura Slimani, responsable du programme « hébergement et précarité » à la Fondation des femmes. Un message qui semble entendu par les intervenants sociaux. « Quand nous distribuons nos flyers, nous recevons toujours un bon accueil des professionnels, des partenaires, des commerçants de proximité », se réjouit Aurore Le Bourhis, cheffe de service du SAS de Solidarité Estuaire, pour la partie est du territoire. Elle y voit une prise de conscience de l’existence des violences conjugales.
Une évolution positive, donc, qui masque des changements qui le sont moins. D’abord, de plus en plus de familles sont touchées par la précarité : « Elles sont de plus en plus nombreuses à appeler le 115 pour obtenir un hébergement d’urgence. Nombre d’entre elles sont confrontées à l’habitat indigne », note Frédérique Kaba, directrice des missions sociales de la Fondation Abbé-Pierre, qui ajoute que, face à l’augmentation du coût du logement, disposer d’un travail ne permet plus de payer le loyer d’un appartement décent. De son côté, Houria Tareb, secrétaire nationale du Secours populaire, confirme que ce sont principalement les femmes, y compris lorsque les pères sont toujours là, qui sollicitent l’association. Enfin, tous les observateurs pointent une accentuation de la représentation des plus jeunes femmes, âgées de moins de 25 ans, même si l’ensemble des tranches d’âge reste représenté parmi les femmes précaires.
L’accompagnement doit logiquement s’adapter. Tous les acteurs le disent, il demande du temps. « Il faut souvent réaliser un long travail en amont pour que nos actions portent leurs fruits », confie Yamina Aissa Abdi, coordinatrice de projet, au sein de l’ association toulousaine Izards attitude. A l’égard des femmes victimes de violences, il est nécessaire de prendre le temps d’expliquer les processus de l’emprise, de leur présenter leurs droits, de les déculpabiliser si elles ne parviennent pas à déposer plainte ou à quitter le domicile, explique-t-on chez Solidarité estuaire. En brusquant trop les choses et en plaquant des solutions toutes faites ou juridiques, le risque est de perdre le contact. « Il faut accompagner la victime dans un cheminement qui lui est propre, à son rythme », complète Valérie Gauthier, directrice générale.
Même hors d’un contexte de violences conjugales, qu’elles soient dans le dénuement ou sans abri, les femmes ont souvent besoin de faire une pause. D’où la mise en place, ici et là, de moments qui leur sont dédiés, comme « entre elles », un temps proposé par le Secours populaire. « Parfois, ce sont les femmes qui ne veulent pas que leurs maris viennent à l’association », note, mi-amusée, mi-ennuyée par cet état de fait, Yamina Aissa Abdi.
En somme, les femmes conduisent à repenser les modes traditionnels de soutien, des accueils de jour aux centres d’hébergement, en passant par les accompagnements à destination de la famille dans son ensemble. Ainsi Izards attitude a-t-elle imaginé des aides aux devoirs en formant des parents référents, des groupes de parole pour les mamans dont les enfants plongeaient dans la délinquance, ou des repas solidaires préparés par les femmes du quartier qu’elle soutient. Mais aussi des activités auxquelles elles n’auraient jamais pensé seules comme des randonnées à pied ou à vélo, des sensibilisations au bien-manger, ou des week-ends en camping. Avec, en fil rouge, la volonté d’ouvrir le champ des possibles. Le même souci de proposer un accompagnement au féminin se retrouve à Bordeaux, au sein de Toutes à l’abri. D’emblée, confie Berthille Moreau-Printemps, présidente de l’association, la volonté de proposer un accueil de jour non mixte s’est imposée. « Ce que nous demandent les femmes, c’est de pouvoir être tranquilles, de pouvoir se reposer. Nombre d’entre elles ne voulaient, par ailleurs, pas faire la queue pour prendre une douche, minutée. Elles ont besoin de calme, et d’espace. » Toutes les choses dont elles ne disposent pas dans la rue.
La spécificité des besoins exprimés par les femmes induit une diversification de l’offre. Et notamment la création de places d’hébergement adaptées aux familles, qui manquent particulièrement en milieu rural. « La majeure partie des femmes se retrouve à l’hôtel, regrette Emmanuel Bougras, chargé de mission « hébergement logement » à la Fédération des acteurs de la solidarité. L’accompagnement social y est limité, et les lacunes sont plus grandes encore en matière de soutien spécifique aux femmes. » Alors, les associations veillent à développer un travail partenarial, pour que les solutions s’inscrivent dans la durée, explique Houria Tareb. Ce qu’appuie Yamina Aissa Abdi qui prend l’exemple d’un travail mené sur la parentalité. Une démarche en forme de main tendue vers les maris ? C’est en tout cas l’une des préoccupations du Secours populaire, qui développe des activités pour ces derniers. Une façon de les inviter à pousser eux aussi la porte de l’association et, indirectement, d’aider leurs femmes.
« Il reste d’énormes trous dans la raquette », déplore Frédérique Kaba. A l’image de la question des modes de garde, pointe Emmanuel Bougras, qui freinent l’accès à l’emploi. Résultat ? La précarité des femmes s’ancre dans la durée, et s’aggrave, encore plus avec la crise sanitaire et sociale actuelle. « Aujourd’hui, on propose des réponses qui permettent surtout la survie », regrette Frédérique Kaba.
Une fois encore, une partie de la solution pourrait bien venir des femmes précaires elles-mêmes, dont tous saluent la résilience et la résistance. Pour Yamina Aissa Abdi, « il faut juste ouvrir l’espace, leur laisser la place. Et alors, elles s’en saisissent ».