– « Bonjour, c’est la cadre de garde. Un de vos collègues est en arrêt de travail jusqu’à lundi, il manque quelqu’un pour ce week-end. Etes-vous disponible ?
– Non, je ne peux pas. J’ai poney, j’ai piscine, c’est l’anniversaire de belle-maman, ça me fera six jours d’affilée… Oui, je viendrai ce week-end. »
– « Bonjour, c’est la cadre de garde. Votre collègue de l’après-midi sera en retard. Vous pouvez rester un peu plus longtemps ?
– Non, je ne peux pas. J’ai ma livraison de courses à récupérer et un rendez-vous chez le kiné. Oui, je vais l’attendre. »
– « Bonsoir, c’est la cadre de garde. Votre collègue est malade, je n’ai personne pour la nuit. Exceptionnellement, est-ce que vous pourriez venir ?
– Non, je ne peux pas. Je n’ai jamais travaillé de nuit, j’ignore ce qu’il faut faire, je suis levée depuis 7 heures ce matin, ça va me faire une journée plus une nuit sans repos, je ne vais jamais tenir… Oui, j’avale une tartine et j’arrive. »
– « Bonjour, c’est la cadre de garde. Je sais que vous avez travaillé ce matin mais votre collègue de l’après-midi a dû partir à cause d’une urgence. Est-ce que vous pourriez revenir finir la journée ? Je n’ai personne d’autre.
– Non, je peux pas. J’habite loin, j’ai déjà quelque chose de prévu, je suis du matin demain, ça va me faire matin-soir-matin. Oui, le temps de récupérer mes enfants à l’école et je reviens. »
– « Bonjour, c’est la cadre de garde. Personne ne répond au téléphone, vous êtes mon dernier espoir. Il manque quelqu’un pour demain matin et je vois que vous êtes en RTT…
– Non, je peux pas. Enfin, si mais je veux pas. C’est toujours les mêmes qui reviennent, vous ne pourriez pas appeler quelqu’un d’autre ? Oui, vous pouvez compter sur moi. »
– « Bonsoir, c’est la cadre de garde, j’espère que je ne vous dérange pas. Votre collègue est bloquée par la neige/une éruption volcanique/un troupeau de moutons sur la route (rayez les mentions inutiles), vous pourriez venir dépanner ?
– Non, je peux pas. Ma maison a été dévastée par une tornade, ma voiture a brûlé, la route est inondée. Oui, je saute dans ma voiture et je suis là dans vingt minutes. »
– « Bonjour, c’est la cadre de garde. Je suis désolée de vous appeler un dimanche à 18 heures, mais votre collègue du matin a eu un accident sur le trajet. Rien de grave, mais il est choqué. Pouvez-vous venir ce matin ? Je sais que vous travaillez déjà cet après-midi, mais je vais trouver quelqu’un pour vous remplacer tout à l’heure… enfin, j’espère.
– Non, je peux pas. Je me suis couchée tard, j’ai pas les yeux en face des trous et j’ai encore mal aux cheveux. Oui, je bois un litre de café et j’arrive. »
Quand le numéro de l’hôpital s’affiche sur mon téléphone, je sais que c’est la cadre de garde. Je l’imagine écumant l’annuaire des agents du service, jonglant entre le planning des uns et les arrêts de travail des autres. Et quand j’entends sa voix, tantôt fatiguée, tantôt pressante, tantôt caressante, je me dis qu’elle aussi serait sûrement mieux ailleurs que derrière un bureau à rappeler toute une équipe, essuyant refus et remontrances. Alors, pour le collègue absent, pour celui qui attend la relève et pour la cadre qui s’échine sur le planning, j’avale un café, j’enfile une veste et j’arrive.