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L’âgisme, un phénomène sociétal à combattre d’urgence

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La crise sanitaire a exacerbé les discriminations à l’égard des plus âgés, les plus fragiles d’entre eux en tête. Selon Pascal Champvert, il y a urgence à lutter contre cette dérive et à rendre à chacun sa liberté de choix.

« Dans la période actuelle comme dans toute crise majeure remontent des relents de discrimination. Les plus âgés d’entre nous font l’objet de propos indignes les transformant en boucs émissaires. Citons pêle-mêle : « Il faut sauver les vies des jeunes, pas celles des vieux » ; « une société qui aide les vieux plus que les jeunes n’a plus de sens » ; « protéger l’avenir de la société, c’est protéger les jeunes » ; « le vieux n’a plus que quelques années à vivre, ce n’est donc pas très important » ; « il y a une tyrannie grise et les vieux ont pris le pouvoir » ; « il faut mener un débat éthique sur la vie des jeunes ou celle des vieux » ; “demander le consentement des vieux pour la vaccination est inutile et a ralenti le processus » … Et, pour couronner le tout, on leur reproche d’être les personnes qui votent le plus, et donc qui ont pris le pouvoir, ce qui serait particulièrement malsain.

Ces discriminations, parmi lesquelles figure l’âgisme, partagent de nombreux points communs : une séparation totale entre dominants et dominés, les seconds étant perçus comme radicalement autres et assignés à constituer un groupe homogène, l’appartenance à ce dernier étant plus forte que l’individualité. Les dominés sont considérés comme ayant des besoins inférieurs à ceux des dominants, et sont dévalorisés par un vocabulaire fondant les préjugés des dominants, qui veulent le rester. Certains dominés acceptent la situation et sont alors réintégrés dans le groupe dominant s’ils acceptent le système. Enfin, derrière toute discrimination apparaissent les peurs des dominants, qui croient pouvoir les évacuer en rejetant les dominés.

L’âgisme est officiellement reconnu par les autorités françaises et internationales, et récemment par le rapport de la députée de la majorité Audrey Dufeu Schubert. Mais il imprègne tellement la société qu’être âgiste semble normal, alors que dénoncer l’âgisme paraît étrange. C’est ce qu’ont vécu tous les mouvements de lutte contre les discriminations à leurs débuts : il faut un décalage d’évidence, comme disait le philosophe Michel Foucault.

Il reste de grands progrès à faire dans la lutte contre toutes les discriminations. Mais contre l’âgisme en particulier, et pour le respect de nos vies à tous les âges, le « respectâge », il convient d’abord de poser le diagnostic.

Maltraitance sociétale

L’âgisme présente ceci de spécifique que les dominants, les jeunes, deviendront inexorablement dominés parce que vieux. Le déni de l’âgisme au plan individuel est donc très puissant, ce qui explique qu’il le soit autant au plan sociétal. La société dévalorise tellement les vieux qu’ils ne sont appréciés et reconnus que si l’on peut les qualifier de « jeunes » ; ainsi, comme Line Renaud ou Edgard Morin, de nombreux « seniors » sont-ils intégrés dans la catégorie des jeunes parce qu’ils vont bien.

Mais il y a ces « vieux vieux » qui ne peuvent être considérés comme jeunes et sont encore moins respectés. Au quotidien, on traite mal les âgés qui ont besoin d’aide : ils sont infantilisés, leur parole n’est pas écoutée, leurs désirs sont sous-estimés, ramenés aux seuls besoins physiques (se lever, se laver, manger, éliminer, avoir le ménage fait) ; leurs demandes d’autonomie et de liberté sont méprisées, et ils sont parfois enfermés contre leur gré.

En dépit de toutes les analyses convergentes sur ce sujet, ils sont accompagnés en établissement ou à domicile avec des moyens insuffisants. Et les salariés qui travaillent à leurs côtés sont tout autant dévalorisés, broyés par une logique infernale et avilissante : manquant de temps pour tout, y compris pour accomplir les besognes les plus physiques, ils n’arrivent pas à remplir leurs tâches taylorisées d’une façon qui respecte les hommes et les femmes en face d’eux.

Ils savent la beauté de leur métier – aider des humains à vivre le plus correctement possible –, mais constatent au quotidien combien l’ignorance de la société, qui comprime les moyens des établissements et services, n’a pas de sens et conduit à une véritable maltraitance sociétale. Pendant la crise sanitaire, leur parole n’a pas été entendue et a conduit à des logiques hypersécuritaires inadaptées.

Réconcilier les générations

Le vocabulaire est un vecteur puissant de maintien de la domination. Ainsi, le terme « dépendant », sur­utilisé, sert à expliquer que les âgés vulnérables ne peuvent être des citoyens, dépendants qu’ils sont de leur famille ou des professionnels. Le mot « autonomie » n’est employé que pour évoquer la perte. Grave erreur, chacun pouvant rester autonome même si l’autonomie des uns n’est pas celle des autres. Si celle des uns vaut moins que celle des autres, leur vie a moins de valeur que celle des autres. Alors, la discrimination réside dans ce point précis.

Mais à trop dévaloriser ses aînés et la vieillesse, c’est sa propre évolution que l’on méprise. Une erreur, tant on peut se sentir mieux dans le présent et avoir un avenir meilleur si l’on respecte davantage son futur. C’est là une des voies du bonheur.

La première étape ? Refuser toute séparation entre les générations, comme entre toutes les catégories. On reconnaît alors l’autre comme notre semblable, comme un citoyen à part entière. Cette fraternité offre des réponses communes à tous, même si elles peuvent être adaptées.

Au début de la crise, l’Association des directeurs au service des personnes âgées (AD-PA) disait l’importance d’équilibrer sécurité-liberté, d’une part, et santé physique-santé psychique, d’autre part. Un an après, ce message vaut pour tous.

Une preuve de plus, s’il en était besoin, de la nécessité de reconnaître la citoyenneté et la parole des plus anciens parmi nous, y compris les plus âgés et les plus fragiles. L’AD-PA s’y attelle à travers la démarche « Citoyennage », qui favorise l’expression des personnes âgées aidées à domicile ou en établissement, et qui vient de se transformer en association nationale les représentant.

Pour soutenir cette liberté de choix, les aînés vulnérables doivent disposer des moyens de vivre, et dans toute leur intégrité, à domicile comme en établissement. Il faut pour cela recruter de nombreux professionnels, créant ainsi des centaines de milliers d’emplois : aider les plus vieux, c’est aussi permettre aux plus jeunes de trouver une activité. Les conditions de travail et de salaire de ces professionnels doivent être revalorisées, particulièrement envers ceux qui ont été oubliés par le Ségur de la santé.

Travailler sur la peur de chacun face à la mort et au vieillissement se révèle nécessaire, en s’appuyant sur toute l’histoire de la pensée humaine, qu’elle soit spirituelle, philosophique ou psychologique.

Et sur le plan concret, très prochainement, il faudra lever pour toutes les personnes vaccinées les mesures coercitives mises en place en établissement et à domicile. »

Contact : ad-pa@orange.fr

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