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“On mécanise les humains et on humanise les robots”

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Quelques robots commencent à faire leur apparition dans les établissements pour personnes âgées dépendantes. Pour Jérôme Pellissier, ils peuvent libérer autant qu’aliéner et posent la question du consentement.
De quels robots parle-t-on quand on évoque leur usage avec les personnes âgées ?

En gérontologie, ce sont plutôt les robots dits « sociaux » de forme humanoïde ou animaloïde, qui se développent. En établissement, ils sont pensés pour « tenir compagnie » à la personne comme le ferait un animal familier, un chat ou un chien. C’est le cas, par exemple, d’un robot appelé Paro(1), qui est un bébé phoque en peluche. Actuellement, il est surtout utilisé par les professionnels comme support de médiation thérapeutique dans le cadre d’activités ou d’ateliers. Le plus souvent, l’Ehpad [établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes] n’en n’achète qu’un et ne peut donc pas le donner à un résident toute la journée. On est sur des pratiques très débutantes qui concernent essentiellement les personnes dépendantes, atteintes d’Alzheimer ou d’une maladie apparentée. Pour le moment, contrairement aux Japonnais, qui ont un rapport particulier à la robotique, l’usage des robots ne s’est pas banalisé dans les maisons de retraite. Mais, à en croire les fabricants, il y a un marché. Le groupe Korian a créé une branche dans ce secteur.

À quoi servent-ils ? Est-ce mieux que rien ?

Employés en médiation, c’est aux professionnels de choisir le meilleur médium pour faciliter la communication. Si un robot bébé phoque permet à un groupe de résidents de mieux discuter ou de chanter avec les soignants, pourquoi pas. Avec un robot en peluche dans les bras, tout le monde regarde l’objet. On ne se touche pas mais on peut le toucher ensemble. Une forme de fluidité, de facilité apparaît dans la relation. En revanche, si on laisse la personne âgée seule avec le robot, c’est différent. Cela peut rassurer le soignant. Selon l’américaine Sherry Turkle, qui a mené beaucoup de recherches sur ce sujet, cela peut être mieux que rien pour les résidents. Mais attention, prévient-elle, certains résidents s’attachent au robot qui n’a pas la complexité du vivant. Elle cite le cas d’une dame qui finit par préférer parler avec son robot qu’avec sa petite-fille. On peut projeter des émotions sur un robot. Sa forme humanoïde et sa manière de parler jouent sur cette fibre. Même s’il a l’apparence d’une chose, quand il dit « je », il nous inscrit dans un rapport d’humanité. Si on programme un pilulier à dire : « Je suis content que tu aies pris ton médicament, j’espère qu’il te fait du bien », la personne finira par lui répondre, surtout si elle est isolée.

Qu’est-ce que cela dit de nos rapports aux aînés, de nos valeurs ?

Effectivement, ce n’est pas un hasard si les robots s’adressent d’abord aux personnes âgées. Cependant, ce qui est inquiétant, c’est que lorsque des psychologues se servent de robots comme support de médiation avec des enfants autistes, ils expliquent en premier que le robot est une machine. Il n’y a pas l’équivalent en gérontologie. C’est même l’inverse. Tout le monde paraît content quand la personne donne l’impression de discuter avec lui. C’est comme un signe que cela marche. Dans le premier cas, on montre que l’on est dans l’illusion ; dans l’autre cas, non. Les robots nous parlent bien plus de nous, de notre regard sur l’isolement et la solitude que de science-fiction. Le risque est que beaucoup de professionnels, et au-delà l’ensemble de la société, se déculpabilisent à bon compte d’un certain nombre de réalités qui touchent au lien social en collant des robots de compagnie dans les bras des personnes âgées. Ces dernières meurent de solitude dans les Ehpad et on veut les faire parler avec des robots. On pourrait humaniser ce qui ne l’est pas. Mais si on exige d’une aide-soignante qu’elle travaille comme un robot, il ne faudra pas s’étonner que le patient dise : « Finalement, c’est pareil ». On mécanise les humains et on humanise les robots.

Quels sont les risques et les questions éthiques que cela pose ?

Le gros risque en gérontologie est la question du choix et du consentement. Si je prends un robot chez moi, c’est mon affaire. Mais si j’en achète un pour ma vieille maman atteinte d’Azheimer, je me sentirai peut-être moins obligé d’aller la voir ou que des soignants interviennent. Les effets sont tout autres. Le robot n’a jamais la richesse qualitative d’un humain mais il n’aura jamais non plus sa noirceur. Il n’éprouvera jamais une émotion sincère pour ma vieille mère, mais il ne lui fera pas non plus la tête ni ne l’appellera « mémé ». Il sera toujours d’une humeur égale. En conséquence, certaines personnes peuvent préférer cette neutralité affective du robot. Dans le champ du handicap, des patients déclarent pouvoir avoir besoin de l’aide technique procurée par un robot sans avoir à gérer les états d’âme d’une auxiliaire de vie ou d’un soignant. On est là dans le cadre de personnes psychiquement autonomes pouvant clairement exprimer leurs souhaits. Ce qui n’est pas le cas d’une personne ayant des troubles cognitifs. On lui impose un bébé phoque et elle n’a pas son mot à dire. La situation est la même quand des soignants placent des patients Alzheimer dans des décors des années 1950 en espérant les remobiliser. Il faut une grande vigilance car c’est une population captive. Actuellement, il n’y a pas assez de précautions.

D’autant que l’impact de ces robots n’est pas suffisamment évalué…

A ma connaissance, il n’y a pas une seule étude digne de ce nom en France sur un des robots les plus célèbres comme Paro. On a affaire à des pseudo-études sur un nombre très restreint de personnes. Elles sont conçues pour confirmer, à moindres frais, que le robot dit « thérapeutique » par le fabricant l’est vraiment. Ces études sont d’une piètre qualité en termes de rigueur et ne passent pas au crible des critères exigés pour une publication scientifique. Aucune n’a pris en compte une population témoin sans Paro, ni de groupes témoins disposant d’autres dispositifs ou d’un vrai chat de compagnie. Il y a également des effets de mode. Certains Ehpad vont davantage investir dans un robot que dans l’entretien du jardin ou dans l’embauche d’un psychologue ou d’un animateur.

Prendre soin avec un robot, est-ce encore prendre soin ?

Utilisé sans le consentement de la personne et avec le risque qu’elle soit trompée par l’objet, il y a clairement une aliénation et une maltraitance. Si la machine est utilisée par une personne en connaissance de cause et qu’elle présente certains avantages pour elle, dans ce cas, tout se passe comme avec d’autres systèmes artificiels ou mécaniques qui peuvent soulager. Mais il faut que cela soit un choix. On peut accepter de se faire illusionner mais pas d’être piégé par d’autres ayant décidé pour vous. Utiliser le robot comme une médiation s’inscrit dans le « prendre soin ». Lui confier certaines tâches pour éviter à l’humain d’être présent ne s’inscrit pas dans cette démarche.

Chercheur

et docteur en psychologie, Jérôme Pellissier a codirigé avec Mireille Trouilloud et Pascal Menecier, le livre Jeunes robots et vieilles personnes (Ed. Chronique sociale, 2021).

Notes

(1) Voir ASH n° 3086 du 30-11-18, p. 28.

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