La liberté d’association est une liberté fondamentale à la fois individuelle et collective qui occupe une place prépondérante au sein des démocraties à travers le monde. Cette liberté est particulièrement garantie et protégée par la Grande chambre de la Cour européenne des droits de l’Homme (CEDH) qui rappelle ce lien consubstantiel entre liberté d’association et démocratie, notamment dans l’arrêt « Gorzelik » du 17 février 2004, en précisant : « En fait, l’état de la démocratie dans le pays dont il s’agit peut se mesurer à la manière dont la législation nationale consacre cette liberté [d’association] et dont les autorités l’appliquent dans la pratique […]. Dans sa jurisprudence, la Cour a confirmé à de nombreuses reprises la relation directe entre la démocratie, le pluralisme et la liberté d’association, et a établi le principe selon lequel seules des raisons convaincantes et impératives peuvent justifier des restrictions à cette liberté. L’ensemble de ces restrictions sont soumises à un contrôle rigoureux de la Cour » (CEDH, 17 février 2004, n° 44158/98, Gorzelik et autres c/Pologne).
Notre dossier reviendra ainsi sur la notion de liberté d’association et s’intéressera plus particulièrement à ses limites. Il fera également un point sur les dispositions du projet de loi confortant le respect des principes de la République, anciennement appelé « projet de loi contre le séparatisme », qui concernent les associations.
La liberté d’association n’est pas consacrée par la Constitution de 1958. Néanmoins, malgré le silence de la Constitution, cette liberté dispose d’une valeur constitutionnelle en droit français depuis la célèbre décision « Liberté d’association » du Conseil constitutionnel du 16 juillet 1971(1). Par cette décision, le Conseil constitutionnel a censuré une disposition législative qui prévoyait un contrôle administratif préalable des associations et a précisé que celles-ci ont une existence juridique sous la seule réserve du dépôt d’une déclaration préalable.
Par ailleurs, la liberté d’association fait également l’objet d’une reconnaissance et d’une protection particulière au niveau européen comme international. On prendra notamment comme exemple l’article 11 de la Convention européenne des droits de l’Homme ou encore l’article 12 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne qui la consacre expressément.
A noter : Les institutions nationales comme internationales prêtent une attention particulière à la protection des partis politiques. L’article 3 de la Constitution de 1958 pose le principe selon lequel « la loi garantit les expressions pluralistes des opinions et la participation équitable des partis et groupements politiques à la vie démocratique de la Nation. » De son côté, la CEDH estime que « les partis politiques représentent une forme d’association essentielle au bon fonctionnement de la démocratie » (CEDH, 30 janvier 1998, n° 19392/92, Parti communiste unifié de Turquie c/Turquie).
La liberté d’association s’entend de la liberté de constituer une association mais également comme de celle d’adhérer ou de se retirer d’une association.
Conformément à l’article 2 de la loi du 1er juillet 1901 relative au contrat d’association, « les associations de personnes pourront se former librement sans autorisation ni déclaration préalable ». Le législateur ne prévoit donc en principe aucune formalité précise pour la formation d’une association.
Les mineurs peuvent ainsi créer et administrer une association. Néanmoins, ils doivent en pratique répondre à des conditions supplémentaires :
• les mineurs âgés de moins de 16 ans peuvent participer à la constitution et à l’administration d’une association sous réserve d’avoir l’accord écrit préalable de leurs représentants légaux ;
• les mineurs âgés de 16 ans révolus n’ont pas besoin de l’accord de leurs représentants légaux. Ces derniers doivent toutefois être informés sans délais par l’association.
La création d’une association repose sur la signature d’une convention entre deux ou plusieurs personnes. L’article 1er de la loi du 1er juillet 1901 précise que l’association est « la convention par laquelle deux ou plusieurs personnes mettent en commun, d’une façon permanente, leurs connaissances ou leur activité dans un but autre que de partager des bénéfices ». Cet acte fondateur est communément appelé « statuts de l’association ».
Les fondateurs de l’association sont totalement libres de la forme et du contenu des statuts de l’association. Ils ne doivent toutefois pas poursuivre de but lucratif ou non légitime.
On conseille généralement de mentionner l’objet, la durée, les conditions d’admission, les règles d’organisation et de fonctionnement ou encore les modalités de révision des statuts. Les autorités mettent également à disposition sur leurs sites Internet des modèles de statuts.
Certains types d’associations sont soumis à des obligations particulières dans la rédaction de leurs statuts. C’est notamment le cas des associations reconnues d’utilité publique(2) comme les Restos du Cœur ou encore la Croix-Rouge française.
A noter : Si les membres d’une association souhaitent que cette dernière obtienne la personnalité morale et la capacité juridique, par exemple pour pouvoir agir en justice, ils doivent préalablement procéder à une déclaration (loi du 1er juillet 1901, art. 5 et 6). Cette déclaration est effectuée au greffe des associations et s’accompagne notamment d’une copie du procès-verbal de l’assemblée constitutive, d’un exemplaire des statuts et de la liste des dirigeants et des membres de l’association. Un récépissé est ensuite délivré dans les 5 jours suivant le dépôt et une publication est faite au Journal officiel des associations.
Toute personne est libre de devenir membre d’une association. On notera à ce titre que, depuis 2017, les mineurs peuvent librement adhérer à une association si les statuts le prévoient. Ils ont ainsi le droit, par exemple, de participer aux actions organisées par l’association et de voter lors de l’assemblée générale sans l’autorisation de leurs représentants légaux (loi du 27 janvier 2017 relative à l’égalité et à la citoyenneté, art. 43).
A contrario, les membres d’une association peuvent également librement se retirer d’une association dès lors qu’ils ont payé les cotisations échues et de l’année courante (loi du 1er juillet 1901, art. 4 modifié par loi du 22 mars 2012 relative à la simplification du droit et à l’allégement des démarches administratives, art. 125).
Les associations sont par principe libres de se constituer et de se dissoudre selon les dispositions statutaires, mais cette liberté n’est en réalité pas absolue. En effet, les associations peuvent être dissoutes dans certaines circonstances limitativement prévues par la loi par décision judiciaire ou administrative.
Le but poursuivi par une association est librement choisi par les fondateurs. Toutefois, l’article 3 de la loi du 1er juillet 1901 précise que le but poursuivi par les associations doit être légitime.
En ce sens, les associations doivent avoir une cause ou un objet qui ne soit pas illicite, contraire aux lois ou aux bonnes mœurs ou qui aurait pour but de porter atteinte à l’intégrité du territoire national et à la forme républicaine du gouvernement. On précisera que toute association dont l’objet ou la cause ne répond pas à cette condition « est nulle et de nul effet ».
La dissolution de l’association est une dissolution judiciaire prononcée par le tribunal judiciaire à la requête de tout intéressé ou à la diligence du ministère public (loi du 1er juillet 1901, art. 7).
De surcroît, certaines associations peuvent également être dissoutes du fait de leur activité et des conséquences de leurs activités.
Sont notamment concernées toutes les associations ou groupements de fait (code de la sécurité intérieure, art. L. 212-1) :
• qui provoquent à des manifestations armées dans la rue ;
• ou qui présentent, par leur forme et leur organisation militaires, le caractère de groupes de combat ou de milices privées ;
• ou qui ont pour but de porter atteinte à l’intégrité du territoire national ou d’attenter par la force à la forme républicaine du gouvernement ;
• ou dont l’activité tend à faire échec aux mesures concernant le rétablissement de la légalité républicaine ;
• ou qui ont pour but soit de rassembler des individus ayant fait l’objet de condamnation du chef de collaboration avec l’ennemi, soit d’exalter cette collaboration ;
• ou qui, soit provoquent à la discrimination, à la haine ou à la violence envers une personne ou un groupe de personnes à raison de leur origine ou de leur appartenance ou de leur non-appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée, soit propagent des idées ou théories tendant à justifier ou encourager cette discrimination, cette haine ou cette violence ;
• ou qui se livrent, sur le territoire français ou à partir de ce territoire, à des agissements en vue de provoquer des actes de terrorisme en France ou à l’étranger.
Cette dissolution est prononcée par décret pris en conseil des ministres et constitue ainsi une dissolution administrative. On relèvera que cette limite à la liberté d’association est très encadrée et restreinte puisqu’elle ne concerne que les mouvements les plus radicaux et extrémistes.
Le 4 septembre 2020, lors du 150e anniversaire de la République, puis le 2 octobre 2020 aux Mureaux (Yvelines), le président de la République a présenté les prémices d’une loi visant « à donner à l’Etat davantage de moyens d’agir contre ceux qui veulent déstabiliser la République ». Le projet de loi confortant le respect des principes de la République a été présenté en Conseil des ministres le 9 décembre 2020 et vient d’être adopté en première lecture par l’Assemblée nationale. Il devra ensuite être examiné au Sénat à partir de la fin du mois de mars.
Ce projet de loi prévoit notamment différentes mesures spécifiques aux associations (chapitre 2, art. 6 et s.).
Les autorités souhaitent créer un « contrat d’engagement républicain » pour les associations qui sollicitent l’octroi d’une subvention publique. Par ce contrat, les associations s’engageraient à respecter les principes de liberté, d’égalité, notamment entre les femmes et les hommes, de fraternité, de respect de la dignité et de sauvegarde de l’ordre public. En cas de non-respect de ce contrat, les subventions pourraient être refusées ou, si elles ont été accordées, celles-ci pourraient être réclamées.
Le projet souhaite également modifier les modalités de contrôle des fonds de dotation.
De plus, le texte renforce la liste des motifs de dissolution des associations en ajoutant notamment les associations « dont l’objet ou l’action tend à porter atteinte à l’intégrité du territoire national ou à attenter par la force à la forme républicaine du gouvernement ». Il prévoit également la possibilité pour le ministre de l’Intérieur de suspendre, à titre conservatoire et pour une durée maximale de 3 mois, les associations qui feraient l’objet d’une procédure de dissolution.
En outre, il précise que les faits commis par les membres des associations, « dès lors que leurs dirigeants, bien qu’informés de ces agissements, se sont abstenus de prendre les mesures nécessaires pour les faire cesser, compte tenu des moyens dont ils disposaient », seront imputables à l’association. En conséquence, l’association deviendrait responsable des agissements de ses membres.
Enfin, le projet de loi contient des dispositions spécifiques aux associations cultuelles. A titre d’illustration, les autorités souhaitent qu’à l’avenir elles soient déclarées en préfecture tous les 5 ans tout comme les dons de plus de 10 000 €. En outre, les associations qui relèvent de la loi de 1901 et qui exercent un culte pourraient être soumises aux mêmes obligations que les associations cultuelles. Elles devraient par exemple dans certains cas certifier leurs comptes ou déclarer l’argent qui vient de l’étranger.
Si aujourd’hui la liberté d’association est entrée dans les mœurs et constitue l’un des fondements de notre démocratie, cela n’a pas toujours été le cas par le passé.
En 1791, la loi « Le Chapelier » est venue mettre un terme à toutes les corporations en prohibant tout groupement professionnel. L’objectif poursuivi par les autorités à cette époque était de mettre fin aux privilèges des corporations. Il faudra ensuite attendre un siècle pour que les choses évoluent et que la liberté syndicale soit enfin admise par la loi « Waldeck-Rousseau » du 21 mars 1884. Cette loi vient en effet abroger la loi « Le Chapelier » et constitue le véritable point de départ du syndicalisme français.
Une quinzaine d’années plus tard, alors que Pierre Waldeck-Rousseau est président du Conseil sous la IIIe République, il fait voter la célèbre loi du 1er juillet 1901, dite « loi sur la liberté d’association ». Ce texte est fondateur pour la liberté d’association puisqu’il définit l’association comme un groupement de personnes à but non lucratif (ce qui permet de la distinguer de la société) et encadre le fonctionnement de toutes les associations ayant leur siège social en France ou exerçant une activité permanente en France. Il est le fruit de longs débats parlementaires et reste l’un des plus grands textes de la IIIe République.
Au fil du temps, ce texte a été modifié à plusieurs reprises pour s’adapter aux évolutions de la société. Le projet de loi confortant le respect des principes de la République, en débat actuellement au Parlement, tend également à impulser des changements (voir page ??).
A noter : Du fait de leur histoire et de leur rattachement à l’Allemagne, l’Alsace et la Moselle ne relèvent pas de la loi de 1901 mais du code civil local. Les associations mises en place sur ces territoires peuvent donc être soumises à certaines particularités.
L’association Barakacity a été créée en 2008 dans le but de venir en aide aux populations musulmanes démunies. Elle a été dissoute par décret en conseil des ministres le 28 octobre 2020.
Le gouvernement a estimé que l’association « diffuse et invite à la diffusion d’idées haineuses, discriminatoires et violentes » et se livre « à des agissements en vue de provoquer des actes de terrorisme en France ou à l’étranger ».
En effet, les autorités ont constaté sur les comptes personnels Twitter et Facebook du président de l’association, Idriss Sihamedi, des commentaires ouvertement antisémites, anti-chiites ou encore apologétiques de crimes contre l’humanité. De plus, en marge du procès de l’attentat de Christchurch, en Nouvelle-Zélande, Idriss Sihamedi a publié un message venant légitimer la mort en martyr. En outre, en marge du procès des attentats de Charlie Hebdo, il a appelé de ses vœux « un châtiment contre les caricaturistes ».
En réponse à cette décision, l’association a formé un recours devant le tribunal administratif puis devant le Conseil d’Etat. Le 25 novembre 2020, la Haute Juridiction administrative a refusé de suspendre la décision de dissolution. Elle a notamment considéré que l’association était responsable des messages diffusés par son président sur les réseaux sociaux.
(1) C. const.,16 juillet 1971, n° 71-44 DC.
(2) Décret du 16 août 1901, pris pour l’exécution de la loi du 1er juillet 1901 relative au contrat d’association, art. 11.