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Une réforme sévèrement jugée par les professionnels

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A quelques mois de l’entrée en vigueur du nouveau code de la justice pénale des mineurs, et encore en pleine crise sanitaire, les professionnels de terrain de la protection judiciaire de la jeunesse s’interrogent sur sa mise en œuvre, et sur la façon dont il va modifier leurs pratiques.

« Depuis 19 ans que je travaille à la protection judi­ciaire de la jeunesse, on parle de cette réforme. On savait bien qu’elle arriverait un jour ou l’autre, mais le contexte difficile de la Covid fait qu’on n’est pas préparés », affirme Grégoire Meurin, responsable d’une unité éducative d’hébergement collectif à Arras (Pas-de-Calais).

Pour Elodie Gotszorg, éducatrice de la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ) en milieu ouvert en Essonne, l’accélération se fait sentir depuis quelques mois : « On reçoit des notes de l’administration centrale, les audiences s’accélèrent, on nous demande de liquider nos dossiers, d’écrire nos derniers rapports. Et en même temps, nous étions dans une grande incertitude jusqu’à récemment, car le débat parlementaire n’avait pas encore eu lieu. On passe d’un ancien système où il y a un stock à apurer, à un nouveau. Heureusement que l’entrée en vigueur du code de la justice pénale des mineurs a été retardée au 30 septembre ! »

Règles sanitaires strictes, parents malades, enfants cas contacts, rendez-vous avant 17 h 00, situations de jeunes qui se dégradent, le contexte n’est pas simple pour intégrer la réforme et s’approprier un texte très technique : « C’est une vraie difficulté, constate Grégoire Meurin, il faut avant tout saisir les grands principes, faire le tri dans les ressources disponibles sur le site de la PJJ et simplifier pour transmettre l’essentiel au reste de l’équipe. On organise des groupes de travail depuis le mois dernier à ce sujet, d’une façon modeste vu le contexte de pandémie. La seconde étape sera l’appropriation plus fine et technique, grâce à un plan de formation. Mais on n’a pas encore le calendrier. »

Charlotte Caubel, directrice de la PJJ, reste pragmatique : « Vu les enjeux liés à la compréhension du nouveau texte, aux applicatifs métiers, aux modifications des pratiques professionnelles qui devront être travaillées, la formation sera concentrée le plus possible avant l’entrée en vigueur de la réforme, et se poursuivra après via la formation continue. On apprend aussi en marchant. »

Hervé Duplenne, directeur interrégional Ile-de-France et outre-mer de la PJJ, précise : « A partir du printemps, avec l’appui de l’Ecole nationale de protection judiciaire de la jeunesse [ENPJJ] et des pôles territoriaux de formation de la PJJ, il y aura un temps de formation sur les éléments de procédure, un autre sur les référentiels éducatifs, et on a prévu aussi un temps spécifique pour les directeurs de services et les cadres de proximité sur les évolutions managériales. On expérimentera cet accompagnement au changement dès le mois d’avril dans le Val-de-Marne, et ensuite dans les autres départements. »

Outre les incertitudes liées à la maîtrise de la nouvelle procédure et à l’organisation des formations, les inquiétudes des professionnels de terrain sont ailleurs, et concernent le cœur même de leur métier.

Le travail éducatif bouleversé

A commencer par la suppression de la phase de mise en examen et du travail éducatif précédant le jugement de culpabilité : « Il n’est pas rare qu’un jeune dise au début : “C’est pas moi” ou “c’est moi mais c’est pas grave”, explique Alexia Peyre, psychologue clinicienne à la PJJ. Une partie très importante et symbolique de notre travail, que l’on ne fera plus, était de préparer un jeune à son jugement. Car reconnaître les conséquences de son acte sur sa victime, c’est ce qui permet à un jeune de ne pas récidiver, cette responsabilisation progressive. De plus, s’il est bien préparé quand il arrive devant le juge, il va être jugé moins sévèrement. »

La réduction des délais entre le jugement sur la culpabilité (voir page ??) et celui sur la sanction est aussi source de malaise : « C’est une réforme qui va venir bouleverser et pressuriser le travail éducatif, s’inquiète Elodie Gotszorg. Le temps adolescent n’est pas le temps judiciaire. La relation éducative, ça se construit, ce n’est pas une injonction. »

Pour les jeunes les plus problématiques, ces délais réduits ainsi que la volonté de donner une réponse judiciaire à chaque acte ne semblent pas adaptés : « Pour eux, explique Sonia Ollivier, éducatrice en milieu ouvert à Paris et co-secrétaire nationale du SNPES-PJJ/FSU, le temps va se rétrécir avec une surenchère de réponses, qui aboutira très rapidement au contrôle judiciaire et donc à l’enfermement. Les jeunes qui récidivent ont perdu confiance dans les adultes. Quelque chose a été cassé qu’il faut réparer. Plus on leur donne des interdits, plus ils vont être dans le défi. Avec ces jeunes-là, un pas de côté s’impose. Ne pas réagir en miroir en répondant à l’urgence par l’urgence est également nécessaire. Nous devons chercher à régler le problème à la racine en prenant du temps, en cherchant avec sa famille pourquoi, à un moment donné, il est entré en situation de délinquance, et construire une relation éducative qui lui fait comprendre qu’on n’est pas là pour le punir mais pour le protéger. »

Pour la psychologue Alexia Peyre, même le vocabulaire utilisé dans le nouveau code témoigne d’un recentrage sur l’acte commis, au détriment d’une approche globale du jeune, et d’une confusion entre l’éducatif et le probatoire, qui dénature le travail des professionnels : « Le CJPM nous demande d’“évaluer le relèvement éducatif et moral du mineur”, au cours d’une phase de “mise à l’épreuve éducative”. C’est très comportementaliste, comme approche, et ça mélange tout. L’éducateur est mis en situation de contrôler et de surveiller, alors que son métier c’est d’établir une relation de confiance et d’accompagner. Cette confusion apparaît aussi dans le contenu de la “mesure éducative judiciaire unique”, et le nouveau “bloc peine”, qui introduit le bracelet électronique, augmente la durée du travail d’intérêt général à 400 heures, comme pour les adultes. »

Grégoire Meurin n’est pas de cet avis : « Je ne pense pas que ça va modifier la nature du travail des éducateurs, car il y avait déjà des jeunes sous contrôle judiciaire ou en liberté surveillée, et nous devions travailler en transparence et remonter les faits importants au juge. »

Dans le CJPM, la « mesure éducative judiciaire unique » vient remplacer les multiples mesures auxquelles les magistrats pouvaient avoir recours, avant et après le jugement. Elle se décline, selon le profil de l’adolescent, en modules « insertion », « placement », « réparation » et « santé », auxquels s’ajoutent des interdictions et obligations dont l’éducateur devra rendre compte.

Charlotte Caubel se veut rassurante : « On a créé cette mesure éducative unique avec quatre modules sur la base de la pratique des professionnels de terrain. On ne va pas changer fondamentalement les métiers d’éducateur et de juge des enfants. On prend en compte les mineurs et le parcours qu’ils connaissent avec des objectifs identiques et renforcés dans le cadre de cette réforme. »

Obligation de résultat

Quelles que soient la vision de leur métier et leurs inquiétudes sur son évolution, les professionnels de la PJJ se posent cette question, à l’instar de Grégoire Meurin : « Tout le monde va être soumis à une obligation plus importante de résultat. Ce sera plus dur pour les jeunes, pour les services judiciaires, et pour nous, éducateurs, qui devrons fournir des évaluations plus rapidement. Pour moi, ça vaut le coup d’essayer. Mais les juridictions auront-elles vraiment les moyens de mener cette justice plus rapide ? »

Enfin, pour Elodie Gotszorg, la réforme aurait dû répondre à d’autres problèmes qu’à celui des délais, en particulier à la difficulté de trouver des lieux de placement réellement adaptés aux besoins de chacun : « Depuis quelques années, on a de moins en moins de choix et de places dans des structures qui fonctionnent et dans lesquelles on a confiance. On en vient à placer des enfants dans des lieux qui ne leur correspondent pas. Il faudrait développer des initiatives plus audacieuses que des hébergements collectifs où des jeunes qui ont les mêmes problématiques se retrouvent. C’est ça qui marche : une famille d’accueil ou un petit collectif, une rencontre humaine forte, centrée sur une thématique, comme le propose l’association L’Escale autour du cirque en Essonne, par exemple. Cela leur permet de se remobiliser et de sortir d’un cycle de transgressions répétées. »

Autre orientation discutable depuis quelques années, le recrutement de personnels moins qualifiés, en contrats précaires, pour s’occuper d’adolescents aux problématiques complexes : « C’est un métier difficile qui demande à être formé, reprend l’éducatrice, sinon ça peut donner des situations catastrophiques sur le terrain, ou à tout le moins un turn-over important dans les différentes structures et une prise en charge dégradée. »

A toutes ces questions des professionnels, le code de la justice pénale des mineurs n’apporte pas de réponses, si ce n’est l’obligation de respecter de nouveaux délais, et la concentration des moyens vers les centres éducatifs fermés.

Sonia Ollivier résume ainsi la réforme, et sa profonde déception : « Il s’agira pour nous de travailler plus vite sans moyens supplémentaires, et de contrôler davantage. Ça n’est pas pour cela que je fais ce métier qui demande un profond engagement, avec des jeunes qui nous apprennent énormément. Quel gâchis ! »

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