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Justice des mineurs : une réforme en trompe-l’œil

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Le 30 septembre prochain, entrera en vigueur le nouveau code de la justice pénale des mineurs, adopté définitivement le 16 février par le Parlement. Une réforme attendue de longue date, mais qui déçoit et inquiète de nombreux professionnels, des éducateurs spécialisés aux juges des enfants. Ils dénoncent une nouvelle procédure qui, sous couvert de réduction des délais, favoriserait les réponses répressives au détriment de l’éducatif.

« Je suis très heureux du succès de la commission mixte paritaire réunie sur le code de la justice pénale des mineurs », se réjouissait le garde des Sceaux, le 4 février dernier, sur Twitter. « Plus de 75 ans après l’ordonnance du général de Gaulle, la France va enfin se doter d’un nouveau texte clair, consacrant l’équilibre entre l’éducatif et le répressif. »

C’est justement ce point qui concentre les critiques et suscite les manifestations contre le code de la justice pénale des mineurs (CJPM), depuis sa présentation sous forme d’ordonnance par Nicole Belloubet, alors ministre de la Justice, en septembre 2019. Dans une tribune publiée le 1er décembre dernier sur le site de francetvinfo.fr, juste avant le vote du projet de loi par l’Assemblée, 200 personnalités – professionnels de l’enfance, membres d’organisations syndicales de magistrats, travailleurs sociaux et avocats – appelaient encore les parlementaires à s’y opposer : « Ce projet ne fait que conforter un progressif abandon de la spécificité de la réponse devant être apportée aux enfants, par rapport aux adultes, vers toujours plus de répression et moins d’éducation. »

Comment expliquer une telle levée de boucliers ? A l’origine de cette réforme, plusieurs constats. Le texte fondateur de la justice des mineurs est l’ordonnance de 1945. Son principe est de considérer l’enfant délinquant comme étant à protéger et dont les passages à l’acte délictueux sont révélateurs de la situation de détresse et de danger dans laquelle il se trouve. Il est aussi d’affirmer la nécessité de confier le traitement de cette jeunesse délinquante à des magistrats spécialisés. Or, depuis l’après-guerre, cette ordonnance a subi de si nombreuses modifications qu’elle serait devenue incohérente et ses principes de base altérés.

Mesures coercitives

Autres préoccupations : des délais de jugement trop longs (17 mois en moyenne) ; des mesures éducatives qui, faute de moyens, mettent parfois trois mois à se mettre en place, alors que les enfants ont besoin de mesures immédiates ; un trop grand nombre de mineurs en détention (845 enfants incarcérés, dont 84 % en détention provisoire), et une tendance accrue, depuis vingt ans, à des procédures rapides – déferrement, présentation immédiate – et à des mesures plus coercitives : mise sous contrôle judiciaire, création et développement des centres éducatifs fermés (CEF), diminution des moyens attribués au travail en milieu ouvert et aux foyers classiques (unités éducatives d’hébergement collectif [UEHC])…

Pour répondre à ces défis, le gouvernement a remplacé l’ordonnance de 1945 par un CJPM qui modifie profondément la procédure.

« Nous devons juger plus vite les mineurs pour qu’ils prennent conscience, lorsqu’il y a lieu, de la gravité de leurs actes. Nous devons apporter une réponse plus prompte aux victimes [et] prendre des mesures adaptées à chaque profil de jeune délinquant, sans angélisme ni démagogie », résumait Nicole Belloubet, alors garde des Sceaux, en 2018.

Sur le papier, le CJPM se présente comme « une justice plus réactive, pour une réponse éducative plus efficace » : la culpabilité reconnue plus tôt, une victime mieux prise en compte, et un jugement enserré dans des délais de 9 à 12 mois au maximum, comportant une première audience de jugement sur la culpabilité – et donc l’indemnisation de la victime –, et une seonde, 6 à 9 mois plus tard, annonçant la sanction, après une période de « mise à l’épreuve éducative ». De plus, si entre-temps de nouvelles infractions sont commises, les procédures sont regroupées et le mineur jugé en une seule fois sur ces différentes affaires, l’idée étant de « passer d’une logique de dossier à une logique de parcours ».

Charlotte Caubel, directrice de la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ) explique : « En posant la culpabilité du mineur plus tôt, on reconnaît les victimes plus tôt. La responsabilité civile des parents sera aussi posée plus rapidement, au moment du jugement de culpabilité. On rend ce temps judiciaire entre le jugement sur la culpabilité et celui sur la sanction plus réactif, mais le temps éducatif garde toute sa place et peut être prolongé après le jugement sur la sanction, jusqu’aux 21 ans du jeune. Toutefois, pour les actes les plus graves, commis pas un mineur réitérant [qui a commis plusieurs infractions, ndlr] le magistrat pourra décider de ne pas appliquer le “principe de césure”, et juger immédiatement l’enfant en une “audience unique”, à la fois sur la culpabilité et sur la sanction. »

Pour Sophie Legrand, juge des enfants et secrétaire nationale du Syndicat de la magistrature, « cette nouvelle procédure ne fait pas qu’accélérer le rythme de la justice, elle bouleverse complètement le droit des mineurs ».

Auparavant, le système se rapprochait de l’instruction : lors de la première audience – qui se tenait en général 4 à 6 mois après les faits –, le juge examinait les charges, décidait de la mise en examen de l’enfant et des mesures éducatives, mais ne se prononçait pas sur la culpabilité. Il revoyait ensuite l’enfant ou l’adolescent plusieurs mois plus tard, pour rendre à la fois le jugement sur la culpabilité et sur la sanction, au regard du dossier de l’enquête sociale et du comportement du jeune pendant les mesures éducatives.

« Cela laissait le temps aux équipes de préparer le jeune à la première audience, à la rencontre avec le juge, de travailler avec lui sur la reconnaissance des faits », explique la magistrate. Avec la réforme, « l’adolescent présenté ne sera pas prêt, alors que ce qui sera ordonné au moment de la culpabilité figurera dans son casier judiciaire. Il est également possible qu’il ne sache pas bien se comporter avec la victime, désormais présente à cette première audience et qui en attend souvent beaucoup », souligne-t-elle.

Des mineurs bien moins préparés

Une analyse partagée par la défenseure des droits : « On peut craindre qu’un audiencement trop rapide, a fortiori si le mineur ne bénéficie pas d’un suivi éducatif, ne lui permette pas de préparer sa comparution dans les meilleures conditions et, le cas échéant, de faire valoir sa réflexion sur les faits commis. »

Autre problème, la durée de la mesure éducative, entre les deux audiences. « Actuellement, explique Sophie Legrand, il faut parfois attendre trois mois pour débuter une mesure éducative. S’il n’y a pas plus de moyens alloués à ces services, soit les délais prévus par le code seront impossibles à tenir, soit l’enfant n’aura pas terminé son travail éducatif lors de la seconde audience, ou bien encore il devra suivre une mesure éducative commencée dans les temps mais dégradée, car faute d’éducateurs supplémentaires, il faudra encore augmenter le nombre d’enfants par éducateur. »

De son côté, la défenseure des droits recommande de « rallonger le temps de la mesure éducative ou, à tout le moins, de prévoir la possibilité pour le juge des enfants de le proroger, afin d’adapter le traitement judiciaire aux besoins de chaque mineur, et de garantir que son intérêt supérieur prime sur toute autre considération d’organisation notamment ».

Dans leur tribune du 1er décembre dernier, les 200 professionnels de la justice des mineurs s’interrogeaient sur « la faisabilité matérielle d’une telle réforme, en l’état des services de la protection de l’enfance, de la protection judiciaire de la jeunesse, des barreaux et des tribunaux pour enfants ». La lenteur de la justice des mineurs étant due principalement au « manque de travailleurs sociaux pour assurer les mesures éducatives ordonnées dans les délais adaptés, ainsi qu’au manque de greffiers et de magistrats pour juger dans des délais raisonnables. »

D’après la directrice de la PJJ, « la réforme de la justice pénale des mineurs bénéficie de moyens dédiés avec 72 magistrats affectés depuis le 1er septembre 2020, 100 greffiers et une centaine d’éducateurs supplémentaires ».

Mais à y regarder de plus près, s’agissant des magistrats, une grande partie des 72 postes de juges des enfants de 2020 n’ont pas été réellement créés mais uniquement prévus en surnombre ou bien par le biais d’octroi de magistrats placés, soit autant de mesures qui ne sont que provisoires et ne garantissent pas dans la durée l’amélioration des délais de traitement des tribunaux pour enfants.

Sur le budget 2021, près de la moitié des 318 postes créés pour les services judiciaires ne concerneront ni des magistrats, ni des fonctionnaires de greffe, mais des contractuels destinés à enrichir « l’équipe autour du magistrat », alors qu’en parallèle seuls 180 emplois pérennes, magistrats et fonctionnaires de greffe confondus, sont créés en 2021.

En ce qui concerne les éducateurs, parmi la centaine annoncée, 86 seront des contractuels dédiés à la justice de proximité, pour le « déstockage » des mesures en cours – c’est-à-dire en ce qui concerne la nécessité de traiter rapidement l’accumulation de dossiers en retard, notamment suite à la crise sanitaire. Et parmi les 40 postes pérennes inscrits dans la loi de finances pour 2021, 19 seront attribués aux nouveaux centres éducatifs fermés, 20 emplois seront dédiés aux cellules de recueil, de traitement et d’évaluation des informations préoccupantes (Crip) au niveau départemental et un seul poste sera créé pour le suivi des mineurs en milieu ouvert. Enfin, 83 emplois seront par ailleurs redéployés vers le milieu ouvert, c’est-à-dire qu’on déplacera des postes d’un service à un autre.

Rendre la justice plus rapidement, pour qu’elle ait un sens éducatif pour le mineur est un objectif pertinent, mais ces moyens permettront-ils de respecter les délais imposés ?

Juge unique

Si la primauté de l’éducatif, qui est l’essence même du droit pénal des mineurs, est déjà menacée par ces évolutions, le principe de l’audience unique lui assène le coup de grâce : dans la procédure actuelle, il y a déjà des cas prévus pour juger un mineur plus rapidement, mais les critères sont assez stricts : il doit avoir plus de 16 ans, avoir commis une infraction majeure, et le juge des enfants doit posséder un dossier très complet à son sujet. Dans le nouveau code, l’audience unique est possible dès 13 ans, et un simple rapport éducatif de moins d’un an, sans éléments précis sur sa situation familiale, peut suffire à s’en saisir.

« Même si les juges des enfants peuvent se restreindre au nom de l’intérêt de l’enfant, dans la logique de “déstockage” actuelle, ils pourront, pour tenir les délais, en faire passer davantage en audience unique, explique Sophie Legrand. De plus, contrairement à ce qu’on pourrait penser, ce sont justement les jeunes les plus réitérants qui demandent le plus de temps pour évoluer. Et ce sont eux qui subiront le plus de procédures uniques, et donc un engrenage de mesures répressives. Le rôle du parquet est renforcé, comme si on jugeait des adultes. »

A noter également la possibilité pour le juge des enfants de prononcer certaines peines dans un cabinet à juge unique, alors qu’auparavant il ne pouvait prononcer seul que des mesures éducatives.

Pour la secrétaire nationale du Syndicat de la magistrature, la déception est à la mesure des attentes : « Nous espérions une réforme en rupture avec l’accélération des procédures. Revenir en arrière sur la détention provisoire, sur le trop grand nombre de mises en examen, réorienter les moyens : ne plus les concentrer sur les centres éducatifs fermés mais sur le développement d’hébergements alternatifs. Des structures qui proposent des innovations, des solutions à la carte. Là, on restreint le panel de solutions car on mise tout sur les CEF. Et on en crée même 20 de plus. »

Loin de garantir la primauté de l’éducatif pourtant rappelée dans son préambule, la nouvelle procédure du code de la justice pénale des mineurs, alliée au manque de moyens alloués à la réforme, semble ainsi conforter le rapprochement de la justice des enfants de celle des adultes, au lieu de renforcer la spécificité de la réponse qui doit leur être apportée.

La délinquance des mineurs en chiffres

13 % des actes de délinquance sont commis par des mineurs, un chiffre stable selon le ministère de la Justice. Entre 2010 et 2017, 17 % des faits commis sont des vols, 12,8 % des affaires liées aux stupéfiants, 9,7 % sont des délits et des crimes contre les personnes. Actuellement, 45 % des affaires sont jugées après que le mineur a atteint ses 18 ans. 845 mineurs sont détenus en prison, dont près de 84 % en détention provisoire. Environ 600 jeunes sont en centre éducatif fermé.

Source : Chiffres clés de la justice 2020.

Le discernement fixé à 13 ans

Le code de la justice pénale des mineurs dans l’article L. 11-1 fixe un âge de responsabilité pénale à 13 ans : « Lorsqu’ils sont capables de discernement, les mineurs, au sens de l’article 388 du code civil, sont pénalement responsables des crimes, délits ou contraventions dont ils sont reconnus coupables. Les mineurs de moins de 13 ans sont présumés ne pas être capables de discernement. Les mineurs âgés d’au moins 13 ans sont présumés être capables de discernement. »

Toutefois, le code ne définit pas la notion de « discernement », il ne pose qu’une présomption simple. Ainsi, des enfants de moins de 13 ans pourront toujours faire l’objet d’une procédure pénale, comme cela peut arriver actuellement. Il n’y aura donc pas de réel changement par rapport au régime applicable aujourd’hui.

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