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Centres éducatifs fermés, un choix politique contestable

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Alors que la protection judiciaire de la jeunesse se prépare à construire vingt nouveaux centres éducatifs fermés, les problèmes dans les établissements existants persistent, particulièrement en matière de ressources humaines. Une stratégie qui pose d’autant plus question que le déploiement de ces centres pourrait s’opérer au détriment d’autres types d’hébergement.

« Antichambres de la prison », « alter­native à l’incarcération »… Depuis leur création par la loi « Perben I » en 2002, les centres éducatifs fermés (CEF), à mi-chemin entre idéologie sécuritaire et dimension éducative, se sont largement invités dans le débat public. Emmanuel Macron en promettait une centaine sur le territoire lors de sa campagne présidentielle en 2017. Finalement, 20 centres devraient voir le jour et s’ajouter aux 51 existants, accueillant chacun, pour une durée prévue de six mois, 8 à 12 mineurs. Une orientation politique qui mobilise la justice : la hausse des crédits de la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ) est aujourd’hui étroitement liée à la création de ces centres, très onéreux par rapport au nombre de jeunes accueillis.

Pourtant, aucune étude récente ne permet encore à ce jour de connaître les bénéfices des CEF par rapport à d’autres types de suivi. Un rapport d’information sur la « réinsertion des mineurs enfermés » du Sénat, rendu public en 2018, préconisait ainsi d’en créer 60 au total, au lieu des 71 prévus, et de « veiller à ce que les CEF ne deviennent pas la solution unique en matière de placement en développant une palette diversifiée de solutions de prise en charge ». Patrick Chollier, expert de la PJJ à la CFDT, partage cette inquiétude : « Au niveau du budget, c’est un gouffre qui nous attend. »

Au moment de la discussion du projet de loi de finances pour 2021, la PJJ s’est voulue rassurante. La diversification des modes d’accueil doit rester un axe essentiel, et l’achèvement des 20 centres doit permettre de flécher davantage de crédits vers d’autres types de structures dès 2022. Un discours qui laisse l’ex-éducateur Patrick Chollier circonspect : « Je pense très sincèrement que faire du “tout CEF” est une erreur. Ce ne sont pas les éducateurs qui les ont demandé. C’est une commande politique avec un schéma de prise en charge qui, à la base, n’est pas éducatif mais sécuritaire. La grande difficulté, c’est qu’il n’a pas été pensé structurellement par rapport au jeune en délicatesse avec la loi. On l’a considéré comme un danger qu’on devait extraire de la société sans le mettre en prison. »

Manque de professionnels qualifiés

Si le développement de ces nouveaux centres semble à ce jour inéluctable, ces établissements, réputés difficiles, peinent toujours à attirer des candidats et souffrent encore aujourd’hui d’une gestion très hétérogène. Révélateurs, les divers rapports de visites effectuées entre 2018 et 2019 par le contrôleur général des lieux de privation de liberté (CGLPL) notent souvent des progrès, mais aussi, presque systématiquement, des problèmes liés à la formation et à la stabilisation des équipes. Alors que certains centres recrutent des personnels qualifiés et expérimentés, d’autres autorisent la candidature de « débutants » ou proposent des remplacements d’une durée d’un mois.

Damien Gicart, éducateur spécialisé dans un CEF en région parisienne, a vu l’accompagnement des mineurs radicalement transformé en 2019 grâce à une nouvelle politique de recrutement : « Aujourd’hui, nous avons plus de la moitié des jeunes placés en insertion dans des projets qui leur correspondent. Il est arrivé auparavant que nous ayons des profils d’éducateurs trop jeunes, qui n’avaient pas d’expérience dans le social. C’était vraiment très compliqué. Les équipes qui sont avec nous depuis deux ans ont tous travaillé avec des publics adolescents et cela se ressent. Il faut vraiment garder les bons professionnels pour qu’il y ait un socle qui permette la continuité. »

Pour Patrice Chollier, le manque de formation est patent au sein des CEF privés mais aussi de ceux gérés par la PJJ, qui emploient de nombreux contractuels. « Etre précaire ne permet pas de garantir une bonne formation initiale et continue. J’ai vu des CEF fonctionner correctement, mais leur équilibre est extrêmement délicat. En regroupant des jeunes qui ont les problèmes les plus costauds en un même endroit, la prise en charge doit être solide au sens éducatif du terme », explique-t-il.

Quels mineurs accueillir ?

Une autre crainte porte sur la population placée dans ces centres. Conçus initialement pour un public très spécifique de jeunes multirécidivistes, quels mineurs y seront accueillis à l’avenir alors que la situation de la délinquance en France ne semble pas avoir évolué de manière significative ? Faute de disponibilité dans des hébergements diversifiés, les jeunes seront-ils plus facilement placés en CEF par les juges, même si le suivi dans ces structures n’est pas toujours adapté à leurs besoins ? Ces questions se posent déjà actuellement pour les mineurs non accompagnés, placés en CEF sans qu’un accompagnement spécifique soit prévu. En février 2020, le rapport de visite d’un établissement en Ille-et-Vilaine illustre cette problématique en alertant sur l’accueil de mineurs avec des problèmes psychiques. « La prise en charge psychiatrique n’étant pas adaptée, l’association doit s’interroger sur sa capacité à accueillir des mineurs présentant une pathologie psychiatrique nécessitant des soins spécifiques », soulignent les contrôleurs.

A ce jour, la majorité des centres éducatifs fermés sont gérés par des associations habilitées, seuls certains d’entre eux sont pilotés directement par la PJJ. Cette tendance va se répéter avec les nouveaux établissements. Cinq seulement seront placés sous la houlette de la PJJ. Côté associatif, plusieurs centres seront gérés par des associations départementales, notamment les associations Sauvegarde. Le Groupe SOS, présidé par Jean-Marc Borello, un proche d’Emmanuel Macron, tire lui aussi son épingle du jeu. Son groupe, qui gère actuellement plusieurs CEF à travers la France, doit déjà en piloter trois sur les sept centres associatifs officialisés.

Dans ce contexte, le choix d’une gestion publique ou privée n’est pas sans conséquence, comme l’explique le sociologue Léo Farcy-Callon : « Les établissements publics sont gérés par une administration nationale, assez centralisée, avec des rapports beaucoup plus courants entre la direction et la PJJ. Les structures associatives, souvent locales, sont soumises au même cahier des charges, avec un projet associatif propre et beaucoup moins de liens avec la PJJ. Les équipes aussi sont très différentes. En associatif, il va y avoir surtout des éducateurs spécialisés formés par des écoles de travail social associatives, qui délivrent des diplômes d’Etat d’éducateurs techniques ou de moniteurs-éducateurs. La PJJ a sa propre formation à laquelle on accède par concours national. »

L’adhésion des mineurs reste le principal enjeu des éducateurs. Certains centres éducatifs fermés choisissent de s’appuyer pour les accompagner sur des profils peu formés, mais plus proches des jeunes accueillis. Cependant l’emploi de ces « grands frères », tels qu’ils sont parfois dénommés dans les centres, pose question. Pour Léo Farcy-Callon, ce type de recrutement tend à remettre en question la « juste distance », notion au cœur de l’enseignement dispensé aux travailleurs sociaux. Plus globalement, cette notion peut s’avérer aussi complexe pour l’ensemble des éducateurs, même les plus compétents, en contact permanent avec les mineurs. « Il y a souvent un double discours. Il va y avoir collectivement cette injonction au professionnalisme, cette règle tacite à ne pas être trop engagé, à ne pas trop se lier d’amitié avec les jeunes. Mais de manière plus subtile dans le quotidien, il va y avoir une tendance à vouloir casser cette distance, explique le sociologue. Je pense que les éducateurs sont systématiquement dans des postures paradoxales. »

Entre fermeture et ouverture

Longtemps pointé du doigt, l’enfermement lié aux centres éducatifs fermés (CEF) semble avoir sensiblement évolué. Face à des structures souvent en crise, la PJJ s’est attelée ces dernières années à en desserrer l’accompagnement, pour rentrer davantage dans une logique d’insertion. Le sociologue Léo Farcy-Callon, qui a comparé pendant trois ans un CEF et un établissement pénitentiaire pour mineurs, relativise : « La différence notable réside dans la qualification juridique. En CEF, les mineurs sont placés. Il y a aussi une disparité symbolique. On ne parle pas de “cellules”, il n’y a pas de barbelés. Les mineurs arrivent dans un lieu où ils ont leur chambre, un jardin, où ils peuvent sortir assez régulièrement. Il y a beaucoup plus de liberté de circulation et un rapport avec l’extérieur simplifié. » Pour sa part, Damien Gicart évoque plutôt l’image du « pensionnat » : « Pour moi, le CEF est un bel outil. Nous sommes sur un accompagnement renforcé. Nous travaillons avec les jeunes sur tous les champs de leur vie quotidienne : la santé, la formation, le projet professionnel, les loisirs, la famille… Cela a du sens. » Selon l’éducateur, la clé est de donner des perspectives aux mineurs, via des stages à l’extérieur par exemple. « Les projets professionnels sont très importants. Avec des propositions concrètes, le jeune peut vraiment investir le parcours », précise l’éducateur qui déplore toutefois le manque d’outils autour de projets professionnels et d’orientation pour les 13-17 ans.

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