C’est une armée qui prend l’assaut, pervers pépères et jeunes puceaux, vieux beaux ou gentils damoiseaux qui se tortillent en soubresauts. Ils défilent tous au garde-à-vous puis se répandent au fond du trou, dans mon lit pas un ne bande mou, faut croire que je suis un bon coup !
Il y a ce type à particule avec son prénom ridicule qui va et vient sans préambule et bégaie quand il éjacule. Il y a ce vieux plein de principes remis tout juste d’une vilaine grippe et qui sort du fond de son slip quelques pétales de tulipe. Il y a ce jeune sentimental au sourire timide et bancal qui fait tout un cérémonial pour un missionnaire très banal. Il y a le cocu malheureux, humilié mais si amoureux qui pleure de ses yeux globuleux et se mouche dans mes cheveux.
Il y a toutes sortes de baiseurs, celui qui vient en amateur et qui se croit fin connaisseur, ou le fidèle adorateur. Ils sont tellement fiers de leur trique qu’ils se la jouent baise héroïque, mais moi je reste pragmatique, fais ton affaire et file le fric ! Ils ont toujours une bonne excuse, quelques paroles un peu confuses, il paraît que je suis leur muse et qu’avec moi Popol s’amuse.
« C’est la première fois, je le jure, c’est un peu comme une aventure, c’est pour réparer mes blessures », dit-il en ôtant sa ceinture.
« J’ai pas vraiment besoin de ça, mais en ce moment ça va pas, je veux la douceur de tes bras », susurre-t-il en froissant mes draps.
« Ma femme a toujours la migraine, Flora fait ça comme une reine, je vais pas rater cette aubaine », pense-t-il en grattant sa bedaine.
Ils m’appellent « travailleuse du sexe », pas de quoi en faire un complexe, chez eux c’est une pensée réflexe mais ça me rend un peu perplexe.
Ils aiment à dire que c’est un choix, d’ailleurs ils savent mieux que moi, ils ont lu un truc dans Biba, et puis y a même un syndicat !
Je les écoute se mentir, tout est bon pour se divertir, où y a d’la gêne y a pas d’plaisir, moi je vais pas les contredire.
Enfant violée, ado placée, les statistiques m’ont pas aidée, après la sortie du foyer mon chemin semblait tout tracé. J’avais pourtant de beaux projets, désir d’une vie bien rangée, comme si je pouvais réparer la vie qui m’a été volée.
Mon truc à moi, c’était les fleurs, j’aimais m’enivrer des odeurs, je travaillais avec ardeur, pensant y trouver mon bonheur. Je m’accrochais à cet espoir, il suffisait de le vouloir, et quand tout me semblait trop noir je me surprenais à y croire.
Eperdue de délicatesse, un type a compris ma détresse, ses mots doux comme des caresses, j’ai succombé à ses promesses. « Essaie une fois, tu verras bien, ce client-là est chirurgien, cet autre-là est pharmacien, promis ce sont des gens très bien. »
J’ai cru qu’il me serait facile de jouer la carte érectile, j’ai simulé la femme docile pour ne pas avoir l’air fragile. Et puis c’est comme un engrenage, une plongée dans le racolage, plus de limites aucun barrage, je ne vois même plus leurs visages.
Je suis devenue une putain, on me respecte moins qu’un chien, à leurs yeux je ne suis plus rien qu’un corps péripatéticien. Pourtant des rêves, j’en ai encore, l’espoir d’une nouvelle aurore, d’un avenir multicolore, une vie nouvelle prête à éclore.