C’est un véritable appel au secours que lancent les ONG et associations déployées sur le sol libanais. Au bord du gouffre, le pays du Cèdre n’en a pour autant pas terminé sa descente aux enfers, depuis la crise financière débutée en 2019 à laquelle s’est ajoutée l’explosion du port de Beyrouth, survenue le 4 août dernier. Dans un rapport rendu public au début du mois de février, l’organisation non gouvernementale (ONG) Care livre des statistiques édifiantes : « Seulement 18 % des personnes interrogées travaillent à temps plein. 94 % gagnent désormais moins que le salaire minimum (450 dollars par mois). Le panier alimentaire minimum a augmenté de plus de 250 %, alors qu’à cause de l’inflation le salaire minimum a baissé à 80 dollars par mois. 72 % des personnes vivent endettées, principalement en raison des dépenses alimentaires, et il n’y a aucun filet de sécurité social au Liban (…). 42 % des familles ont déclaré que le coût des soins de santé ne leur permettait pas d’y avoir accès. »
Dirigé par une classe politique sclérosée et qui se partage les prébendes nationales en fonction de quotas communautaires hérités du mandat français, le Liban n’est plus en état de faillite, il « est » failli. La dépression économique a entraîné un Libanais sur deux sous le seuil de pauvreté, contre 28 % en 2018 (un chiffre qui grimpe à 91 % pour les réfugiés syriens qui ont fui la guerre, selon les Nations unies).
Le 9 août 2020, quelques jours à peine après la déflagration qui a détruit le port de Beyrouth, le quartier chrétien attenant et endommagé des dizaines de milliers de logements aux alentours, la communauté internationale s’était engagée à fournir une aide d’urgence de 253 millions d’euros, à la suite d’une conférence pilotée par la France. Le 2 décembre, c’était au tour des Nations unies, de l’Union européenne et de la Banque mondiale d’annoncer environ 335 millions d’euros d’aide dans un délai de dix-huit mois. Des promesses non tenues, selon les ONG locales, bien qu’il soit difficile de savoir si l’argent est bien arrivé (comme l’assurent les principaux donateurs) ou s’il a été détourné par la corruption des forces politiques locales. Même si l’effondrement de la livre libanaise face au dollar et la difficulté d’effectuer des retraits bancaires compliquent considérablement le travail de collecte des associations.
Autre facteur aggravant, les autorités ont décrété l’un des confinements les plus stricts observés à l’échelle du globe. Et ce, autant pour freiner la progression du coronavirus (selon l’Organisation mondiale de la santé, le taux d’occupation en réanimation frôle les 90 % dans quasiment tout le pays et atteint 100 % à Beyrouth) que pour décourager une population excédée de crier sa colère dans la rue. Toujours selon Care, à Beyrouth, « des malades sont soignés dans les couloirs ou les parkings des urgences. De nombreux hôpitaux sont obligés de transformer des conteneurs installés dans leurs parkings en chambres de soins ».
Seules les boulangeries et pharmacies sont autorisées à ouvrir leurs portes, et les associations doivent bénéficier d’une autorisation spéciale du gouvernement pour procéder à des distributions de nourriture et de kits d’hygiène. Pour leur part, les pharmacies manquent de tout – dans un pays où plus de 80 % des médicaments sont importés – ou feignent de l’être pour revendre leurs produits plus chers au marché noir. « Le nombre de nos bénéficiaires a doublé », explique Malak Khiami, pharmacienne à l’ONG Amel, spécialisée dans le secteur de la santé (cf. Le Monde du 15-02-21) : « Parmi eux, certains viennent dans nos centres faute de trouver des médicaments ailleurs. Nous avons sécurisé des stocks jusqu’à l’été, en mettant l’accent sur les maladies chroniques et la pédiatrie », ajoute-t-elle, confirmant que les travailleurs sociaux ont durablement pris le relais, dans le sillage de la désintégration de l’Etat libanais.