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« L’assistant familial n’est pas responsable de tout »

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Trop souvent, estime Christian Allard, les assistants familiaux se trouvent esseulés face à des services de l’aide sociale à l’enfance incapables de répondre correctement aux besoins de l’enfant.
On constate une fronde générale des assistants familiaux. Pourquoi en est-on arrivé là ?

C’est le résultat d’attaques depuis dix ans contre les sciences sociales et l’humanisme au profit d’une politique de management néolibérale. Il y a des avancées scientifiques : on sait comment favoriser le développement de l’enfant. Pour autant, on ne respecte pas ces conditions. In fine, qui trinque ? Les familles d’accueil. Je n’ai vu aucun assistant familial arrêter ce métier en considérant qu’il n’avait pas de sens. Mais on les amène à craquer en les exposant à une grande solitude. Dans son rapport de novembre 2020, la Cour des comptes insiste sur le fait que les départements ne s’organisent pas à partir des besoins de l’enfant. Et ajoute que ces observations ont été menées il y a dix ans et que rien n’a changé. La situation est tragique. Les départements demeurent une organisation hiérarchique phénoménale, au sein de laquelle sait celui qui est en haut de la pyramide. Quelqu’un m’a dit un jour : « Dans votre service, moins on connaît l’enfant, plus on a de pouvoir sur lui. » C’est vrai : l’inspecteur de l’ASE [aide sociale à l’enfance] a un pouvoir terrible. Les familles d’accueil en ont marre qu’on maltraite les enfants, et elles avec. Toute humanité est attaquée. Quand on voit que les enfants sont retirés sous prétexte de liens d’attachement trop forts (voir ASH n° 3184 du 13-11-20, page 6). Comment peut-on imaginer des choses aussi monstrueuses ?

De quoi ces enfants ont-ils besoin ?

Les études reconnaissent trois fonctions essentielles. La première, la plus corporelle et affective, revient aux familles d’accueil, dont le rôle est de remettre l’enfant sur le chemin de la vie, de lui montrer qu’elle est belle. Mais l’amour ne suffit pas : les enfants ont aussi besoin de supporteurs, de tuteurs de résilience. Pour que cette fonction de relation affective soit respectée, il faut, en proximité, une fonction de référence auprès de l’enfant, censée être remplie par un éducateur spécialisé. Elle vise à intégrer les différentes parties de la vie de l’enfant, à les unifier. Ces jeunes ont des troubles du lien phénoménaux, même les petits. Ils ont besoin de quelqu’un qui les soutient dans la durée, qui fait le lien entre la famille d’accueil, les parents en visite et les institutions comme l’école. Qui les aide à trouver un établissement spécialisé, un relais pour faire souffler les assistants familiaux. Il est une forme de « moi » auxiliaire auprès de l’enfant, qui lui permet d’être complètement dans une relation affective forte quand il est dans sa famille d’accueil. Les enfants ont besoin de cette parole extérieure. Troisième dimension : la fonction d’élaboration, impulsée par le psychologue du placement familial. Celui-ci ne fait pas un travail éducatif strict, contrairement à l’éducateur. Il travaille à partir du réel, et non de la parole de l’enfant, du fantasme. Il écoute au sein de l’équipe et reçoit régulièrement la famille d’accueil, le travailleur social et les parents. Ce qui l’intéresse, c’est le concret, pour aider l’enfant à donner sens à son parcours. Ajoutons une quatrième dimension : la fonction institutionnelle. L’institution doit garantir que cette tresse soit bien nouée, qu’elle puisse s’articuler et soit reconnue de l’extérieur.

N’est-ce pas ce qu’elle fait déjà ?

Depuis la loi de 2005, l’assistant familial fait partie intégrante de l’équipe de l’ASE. Dans tous les départements, il y a des correspondants administratifs. Mais qui connaît l’enfant, à part l’assistant familial ? La plupart des départements s’organisent en favorisant le clivage. Le référent est souvent un éducateur qui ne connaît ni l’enfant, ni l’assistant familial qu’il prétend soutenir. Il s’agit davantage de référents administratifs qui apportent un soutien théorique et n’aident pas beaucoup à résoudre les difficultés. Le référent doit être présent pour éponger une partie des émotions de l’enfant, parce qu’il connaît ses éléments de vie. Arrêtons de penser que l’assistant familial est responsable de tout. Il faut pour tous les départements un cadre légal qui impose un soutien à l’assistant familial. L’Etat pourrait le garantir. Lorsqu’on veut créer un centre de loisirs, il ne suffit pas d’avoir un veilleur de nuit, il faut un nombre réglementaire de moniteurs. Ce n’est pas le cas au placement familial : les familles d’accueil sont seules. C’est une réponse sociale d’une grande légèreté.

Sur le terrain, les assistants familiaux expriment d’abord des revendications salariales…

Quand un assistant familial est réveillé toutes les nuits par un enfant qui pousse des hurlements, c’est qu’il a besoin de ressources autres que celles du portefeuille. Evidemment, le salaire, c’est important. Mais ce n’est pas le cœur du problème, qui est davantage lié à un manque de soutien, à une solitude extrême. Leurs difficultés sont avant tout le résultat d’une fuite en avant au niveau des réponses apportées par l’institution. Il suffit de voir comment les départements tentent de contourner les problèmes de recrutement. La loi de 2005 précise que le nombre de mineurs accueillis ne peut être supérieur à trois. Pour créer davantage de places, les départements ont trouvé la solution : ils agréent le conjoint. Beaucoup d’hommes deviennent des assistants familiaux. Et des foyers se retrouvent avec six enfants accueillis. En contournant l’esprit de la loi, on détruit complètement la notion de familles d’accueil. Comme on gère des places, on ne fait pas attention à l’adéquation entre la capacité des familles d’accueil et les besoins des enfants. Les enfants doivent s’adapter. Et c’est finalement une vision dans l’air du temps. Il faut se conformer au monde moderne, suivre derrière les premiers de cordée. C’est un travers. Comment en sortir ?

Beaucoup demandent aussi un droit au répit…

Ce droit est légitime. Mais il peut être refusé par l’employeur au nom de l’intérêt de l’enfant. Les assistants familiaux sont ainsi très peu libérés. A l’inverse, dans certains départements, on systématise deux jours de congés par mois. Mais dans l’intérêt des enfants et des familles, il n’y a aucune raison de systématiser. Pour l’assistant familial, se reposer, c’est d’abord soigner les troubles des enfants. C’est quoi, des vacances réussies, nous disent les professionnels ? Pouvoir emmener l’enfant et que cela se passe bien. Or les assistants familiaux finissent par être épuisés et par craquer.

D’autant plus avec des enfants qui manifestent des troubles du comportement ?

Oui. Cela peut devenir un cocktail explosif si l’on a, d’un côté, des départements qui cherchent à remplir au maximum les familles et, de l’autre, un ou plusieurs enfants qui manifestent des troubles du comportement et que les soins nécessaires ne sont pas dispensés. Par ailleurs, les lois de 2005 et de 2016 sur la protection de l’enfance rappellent la nécessité d’éviter les ruptures de parcours. Pourtant, les enfants subissent une discontinuité de parcours permanente qui ne favorise en aucun cas leur bon développement.

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