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Familles d’accueil : tenir, mais jusqu’à quand ?

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Les restrictions imposées par la crise liée à la Covid-19 ont laissé les familles d’accueil de l’aide sociale à l’enfance exsangues. Une fatigue qui, cumulée à un manque de considération structurel, fait craindre un délitement encore plus important de l’offre en placement familial. A la veille d’une réforme de leur statut, les enjeux en termes de reconnaissance et d’amélioration des conditions d’exercice n’ont jamais été aussi cruciaux.

Tristesse, désarroi, mal-être, épuisement, parfois burn-out les témoignages qui affluent à l’appel du collectif finistérien AF 29, créé en octobre 2020, mettent la lumière sur un profond mal-être des assistants familiaux. « S’ils se sont donnés à fond ces derniers mois, lorsque certains ont appris qu’ils ne toucheraient pas de prime, c’en était trop. On manque de considération, et ça, c’est loin d’être nouveau », fulmine l’un des membres du collectif qui a souhaité conserver l’anonymat. Lassitude, c’est aussi l’état dans lequel Rachel N’Doli, 47 ans, assistante familiale dans le Tarn, se trouve actuellement. « On n’en peut plus de devoir batailler pour notre reconnaissance. La seule chose qui nous fait tenir c’est de savoir qu’on peut venir en aide aux enfants. » Tenir, certes, mais jusqu’à quand ?

À bout de souffle

La protection de l’enfance peut-elle risquer de perdre ses 37 100 assistants familiaux, alors qu’ils représentent le premier mode d’hébergement des quelque 78 000 mineurs et jeunes majeurs confiés à l’aide sociale à l’enfance (ASE)(1) ? Telle ne semble pas être l’intention du gouvernement, qui, par la voix du secrétaire d’Etat chargé de l’enfance et de la famille, Adrien Taquet, s’est fixé comme priorité de « rénover le métier » d’assistant familial dans le cadre de la « stratégie nationale de prévention et de protection de l’enfance 2020-2022 ». Si les conclusions de la négociation nationale ne seront connues qu’à la fin du mois, l’exécutif est attendu au tournant. « Cela fait trois mandatures qu’on essaie de faire progresser notre statut, mais cette fois, il faut qu’on soit écoutés parce que toute la profession est à bout de souffle », prévient Evelyne Arnaud, porte-parole du SAF Solidaires (syndicat professionnel des assistants familiaux).

Malgré les apports de la loi du 27 juin 2005 qui a contribué à professionnaliser les assistants familiaux, dont l’âge moyen tourne autour de 55 ans(2), le métier fait face à une pénurie de candidats inédite. Sans plan d’action, il pourraît disparaître d’ici à dix ans. « C’est effectivement un métier qui peut faire peur parce qu’il faut être costaud, mais c’est aussi un métier noble qui, si les conditions d’emploi et d’exercice étaient réunies, pourrait attirer de nouvelles vocations. Il y a donc vraiment urgence si on veut que la courbe s’inverse », insiste Marie-Noëlle Petitgas, présidente de l’Anamaaf (Association nationale des assistants maternels, assistants et accueillants familiaux). Outre le statut, la reconnaissance passe par une meilleure connaissance du profil des familles d’accueil. « Il est fini le temps où les assistants familiaux étaient des femmes au foyer, avec pour seul bagage un CAP ou un certificat d’études. Aujourd’hui, 28 % d’entre eux ont un niveau bac + 3 et ont eu une vie professionnelle riche auparavant », analyse Nathalie Chapon, sociologue et chercheuse à Aix-Marseille Université et auteure d’un rapport récent sur le confinement(3).

Autre mutation notable : la masculinisation. Historiquement féminin, le métier séduit désormais de plus en plus d’hommes. Les effectifs de ces derniers représentaient ainsi 9 % de la profession en 2020, contre 2 % dix ans plus tôt(4). Parmi eux, il y a ceux qui « officialisent », souvent au moment de la retraite, leur investissement auprès de leurs épouses dans l’accueil des enfants, et ceux qui choisissent d’exercer le métier, indépendamment de la profession de leurs conjoints. De quoi faire voler en éclats l’image poussiéreuse véhiculée par le discours familialiste de certains acteurs ! « Même si l’héritage ne doit pas être gommé, c’est une vraie révolution, estime la sociologue. Cela présuppose une transformation sociale de la profession que les institutions ne peuvent ignorer si elles veulent redonner de l’élan à ce métier. »

Un accompagnement insuffisant

Evolution de la fonction oblige, la reconnaissance des compétences professionnelles des assistants familiaux n’en est que plus inéluctable. Il s’agit ainsi de répondre au sentiment d’isolement exprimé par nombre d’entre eux, notamment à travers des espaces de paroles avec l’équipe pluridisciplinaire autour de l’enfant (éducateurs, psychologues, cadres…). Mais cette mission se révèle complexe sur le terrain. « Qui fait quoi ? Avec quel cadre ? Quel est le rôle des uns par rapport aux autres ? La question de la formalisation de l’organisation autour du placement familial est un véritable enjeu. C’est la condition pour éviter que chacun ne fasse à sa manière. Or, en réalité, les institutions qui n’accompagnent pas suffisamment les familles d’accueil sont nombreuses, alors qu’il s’agit d’une obligation légale », constate Anne Oui, chargée de mission à l’ONPE (Observatoire national de la protection de l’enfance) et auteure d’une étude en 2015 sur le travail en équipe(5). Parmi les bons élèves : le département des Hauts-de-Seine, qui a mis en place des groupes de travail thématiques déclinés sur l’ensemble des services territoriaux, réunissant assistants familiaux, psychologues et parfois chefs de service, ou le conseil départemental du Pas-de-Calais, qui organise notamment une permanence téléphonique et des groupes de parole pour aider les familles d’accueil à prendre du recul. « C’est précieux de pouvoir compter sur une équipe solide, appuie Marie-Noëlle Petitgas. Mais c’est loin d’être le cas dans tous les services. La plupart du temps, il n’y a personne au bout du fil pour leur répondre. »

L’emprise du département

S’il existe un cadre législatif commun, chaque département a en effet son fonctionnement. Un constat particulièrement prégnant au niveau des salaires. C’est ce que révèle un travail en cours, initié par l’Union CGT de l’Aveyron, qui a compilé revenus et primes des assistants familiaux dans une trentaine de territoires. Et les disparités sont édifiantes. Mieux vaut être salarié dans les Côtes d’Armor ou en Lozère (2 890 € net pour l’accueil de trois enfants) que dans le Loir-et-Cher, le Lot-et-Garonne ou l’Aveyron. Il en va de même pour les primes dont le montant peut aller du simple au quadruple (15 € en Seine-et-Marne, contre 66 € en Ardèche). Ce qui n’étonne pas la présidente du SAF Solidaire : « Il existe 101 organisations en France au sein des services de l’ASE, avec de fortes disparités selon le lieu de résidence. Ce n’est vraiment pas juste. Il est grand temps que nous ayons un garde-fou pour garantir l’équité nationale, et c’est à l’Etat de s’en charger », affirme-t-elle.

Salaires, primes, indemnités, vacances, recrutement, agrément, rôle du conjoint… le chemin à parcourir pour parvenir à une harmonisation nationale du placement familial semble encore long. D’autant que les avis divergent sur les modalités pratiques. Faut-il supprimer l’agrément pour le remplacer par une carte professionnelle, comme le proposent conjointement l’Anamaaf, le SAF Solidaires et la Casamaaf (Confédération associative syndicale des assistants maternels, assistants et accueillants familiaux) ? L’accès au chômage partiel doit-il être généralisé pour permettre de compenser la perte des indemnités en cas de rupture d’accueil, ainsi que le suggère l’Ufnafaam (Union fédérative nationale des associations de familles d’accueil et assistants maternels) ? Faut-il ou non rendre le diplôme d’Etat d’assistant familial obligatoire ou proposer des modules de formation communs aux éducateurs et aux assistants familiaux ? « Au-delà des garanties d’exercice, il faudrait aussi créer un organisme régional sous l’autorité de l’Etat, à l’intérieur duquel il y aurait une commission multiprofessionnelle neutre et indépendante chargée d’organiser les visites annuelles de contrôle. L’objectif : sortir de l’emprise du département », poursuit Marie-Noëlle Petitgas.

Reste le droit au répit, si précieux pour les familles d’accueil, mais objet de crispations régulières avec leurs employeurs. En Mayenne, l’un des rares départements à accorder un week-end par mois à ses assistants familiaux, le président du département, Olivier Richefou, a envisagé de le supprimer en janvier 2021, avant de rétropédaler face à la mobilisation des intéressés. Dans le Gard, où la mobilisation a également progressé ces derniers mois, les assistants familiaux n’ont pas eu la même chance. Manuella Pelle, présidente de l’Adaamfag (Association départementale des assistantes, assistants maternels et familles d’accueil du Gard), a même contesté cette absence de répit devant le tribunal administratif. Sans succès. « Je prends un week-end par mois sur mes congés annuels. Parce que j’en ai besoin. Pour ma santé. » La solution, selon Sandra Onyszko, directrice de communication à l’Ufnafaam : inscrire ce droit au répit dans le marbre. « Nous demandons à ce que, dans la réforme, les employeurs s’engagent par écrit à mettre en place des binômes d’assistants familiaux pour que chaque famille d’accueil puisse souffler. C’est à ce prix qu’ils peuvent espérer que de nouveaux profils s’engagent dans la profession. »

Notes

(1) Chiffres de la Drees (direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques) fin 2018.

(2) N. Chapon – « Les assistants familiaux, les enfants confiés, le confinement et ses conséquences » – Aix-Marseille Université-CNRS, janvier 2021.

(3) Ibid.

(4) « De la parentalité à la parentalité en famille d’accueil » – In E. Catarsi et J.-P. Pourtois (dir.) – « Education familiale et services pour l’enfance » – Actes du XIIIe Congrès international de l’AIFREF – Presses de l’Université de Florence, 2010.

(5) ONED – « L’accueil familial : quel travail d’équipe ? », juillet 2015.

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