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Mélopée

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Ils me fatiguent. Ils m’épuisent. Ils me saoulent avec leurs histoires à dormir debout, leurs histoires sans queue ni tête. Leurs histoires sans fin, ils en font toute une histoire.

J’en peux plus de leurs malheurs, de leurs douleurs, de leurs pleurs, de leurs yeux mouillés, de leurs nez qui coulent, de leurs mains qui tremblent. Pardon Madame, c’est l’émotion. Pardon Madame, c’est difficile… Pardon Madame, j’en peux plus. Si vous saviez.

J’en ai assez de les écouter me parler des enfants, des maris, des voisins, des collègues, des patrons, des inconnus de la terre entière et eux, toujours eux au milieu, eux si seuls, tellement seuls au milieu de tous.

J’ai envie de les secouer, de crier, de les gifler. Réveille-toi, rebelle-toi, quitte ton mec, déménage, trouve un autre boulot, fais quelque chose, bon sang ! Bouge-toi un peu, sors-toi les doigts… mais non, je peux pas parler ainsi, c’est pas poli, c’est pas pro et c’est pas mon boulot. Alors j’écoute, je rassure, j’écris, je téléphone, j’agis, j’ajuste, je constitue des dossiers, j’essuie des refus. Il manque toujours un papier, un justificatif, un formulaire, une quittance. Et quand le dossier est enfin complet, vite, il faut se dépêcher avant la date limite, avant la commission, vite, vite, le temps presse.

Je ferme un dossier, je raccroche le téléphone, j’envoie un mail, et déjà le suivant m’attend là, dans le couloir, devant ma porte, au standard. Il veut un rendez-vous, juste une question, juste une minute, juste un papier, y en a pas pour longtemps, c’est promis, je ferai vite, s’il vous plaît. Pas le temps de souffler, trop tard pour un café, même pas pu aller pisser, j’enchaîne, je me démène, je me surmène, mais ils ne voient donc pas que j’en peux plus, que je veux plus travailler comme ça, à la chaîne ? Et ça continue de défiler. Ils entrent, s’assoient et déposent à mes pieds leurs plaintes, leurs suppliques et tout le désespoir. Et j’écoute, je souris, j’écris et souris toujours.

Et soudain le vertige, les pensées mélangées, je sais plus où j’ai rangé ce dossier. Et ce rendez-vous ? Je l’avais reporté, alors qu’est-ce qu’elle fait là, cette femme ? Qu’est-ce qu’elle me raconte ? C’est quoi cette paperasse que j’aurais oubliée ? Elle attend et je cherche. Elle me fixe et je regarde ailleurs. Elle attend une réponse mais je sais pas ce qu’elle me veut, je comprends pas ce qu’elle attend, pourquoi elle reste là, à me regarder, elle voit pas que je suis débordée ?

Ses lèvres bougent. Elle doit être en train de parler mais je n’entends rien, je suis perdue dans mes pensées, et puis elle dit ce mot qui traverse mon brouillard, elle dit que c’est « important ». Mais c’est toujours important, oui, je sais, mais je peux plus, j’y arrive plus, s’ils vous plaît, laissez-moi, revenez plus tard ou demain. Ou jamais.

La femme se lève. Elle s’en va, elle reviendra demain, me dit-elle, et je reste là, toute seule au milieu de ce bureau, de ces dossiers, et je comprends pas pourquoi je suis si fatiguée, pourquoi ça m’arrive à moi d’être comme ça. Je regarde ma montre. Il faut tout ranger. Les dossiers, les papiers, il est l’heure de rentrer et demain il faudra revenir et recommencer. Je pourrai pas, j’y arriverai pas, c’est trop pour moi.

Alors, toute seule au milieu de ce bureau, je me mets à pleurer parce que je peux plus, j’y arrive plus. J’ai donné tout ce que j’ai pu.

La minute de Flo

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