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“La violence est l’expression des rapports de domination”

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Vingt ans après l’enquête nationale sur les violences faites aux femmes (Enveff), une étude intitulée « Violences et rapports de genre » (Virage) dresse ce qui est considéré comme le premier bilan en France des violences subies à l’enfance et à l’adolescence. Si la sensibilité sociale à l’inceste, au viol, à la maltraitance évolue, les chiffres ne sont pas vraiment à la baisse.
Quel enseignement tirez-vous de cette nouvelle enquête ?

Un des apports majeurs a consisté à rendre possible la comparaison entre les expériences des femmes et des hommes et à analyser l’effet des normes sociales sur les violences auxquelles ils sont confrontés. Leurs réponses illustrent un continuum d’agressions verbales, physiques, psychiques, sexuelles pour les femmes tout au long de leur vie, et ce, aussi bien dans l’espace privé que dans ceux public et professionnel. A contrario, les hommes ont une expérience plus discontinue, voire ponctuelle : ils sont exposés à beaucoup moins de violences dans l’enfance, et pas aux mêmes. Dans le couple, ils vont plutôt déclarer du conflit. En revanche, le point commun aux deux sexes est que les violences commencent très jeunes, même si les garçons mineurs sont six fois moins exposés à des abus sexuels tôt. Entre 2000, année de la première enquête, et aujourd’hui, les situations de violences conjugales n’ont pas reculé : les actes de contrôle ou de jalousie des hommes à l’encontre de leurs conjointes ont baissé sans doute en raison de leur plus grande indépendance financière et professionnelle. Les violences les plus graves n’ont pas diminué, mais les femmes se séparent plus souvent d’un compagnon violent que par le passé.

Mais les violences continuent après la séparation…

Les femmes décrivent un fort sentiment de peur et d’insécurité qui les poussent à quitter leur agresseur. Mais les violences sexuelles se prolongent même après la séparation. La prévalence se révèle quasi similaire entre les violences par un conjoint et celles par un ex-conjoint. C’est un des défis des politiques publiques à mettre en place pour protéger les femmes en renforçant les mesures existantes comme l’ordonnance de protection, le bracelet antirapprochement, les espaces sécurisés quand les enfants doivent voir leur père… Les droits de visite et d’hébergement réexposent les mères et leurs enfants à de la maltraitance.

Quelles sont les actes les plus fréquents et les périodes d’exposition les plus critiques ?

Les enfants sont soumis à des niveaux élevés de violences sexuelles, physiques et psychologiques. Une femme sur quatre (une sur deux pour les plus jeunes) subit des agressions sexistes et sexuelles dans la rue, les transports, les lieux de sociabilité… Ces endroits sont encore considérés comme des espaces masculins. D’ailleurs, les adolescentes adoptent des stratégies d’évitement de certains lieux, se déplacent à plusieurs, font attention à leur tenue vestimentaire… Les violences ayant le plus de répercussions psychiques sont d’ordre sexuel dans la sphère privée. L’enfance représente donc une période particulièrement sensible. Pour les violences conjugales, l’installation sous le même toit, la maternité, le chômage, le divorce ou la retraite agissent comme des facteurs révélateurs ou amplificateurs. L’arrivée d’un enfant modifie les rôles, ce qui peut exacerber la violence d’un partenaire possessif. On en parle peu, mais le nombre d’hommes âgés tuant leur femme chaque année n’est pas négligeable. Les contextes de retrait de la vie sociale obligent à vivre en continu ensemble, comme pendant le premier confinement où il y a eu une hausse des mises en danger des femmes et des enfants.

Faut-il intégrer cette temporalité dans les dispositifs de prévention ?

C’est déjà le cas dans certaines structures. Les services de PMI [protection maternelle et infantile] et les équipes médicales et sociales sont assez vigilants à ces temporalités. Mais on a besoin de pluridisciplinarité, et de former en masse les différents acteurs spécifiques (professionnels de santé, assistantes sociales, juges, avocats, enseignants…) qui peuvent repérer les violences et activer la prise en charge ainsi que la prévention. Or les structures de terrain manquent cruellement de moyens et pâtissent d’inégalités territoriales. Comme en milieu rural, où l’entre-soi reste tenace, où l’accès aux services publics est dégradé… Il faut pérenniser les savoir-faire et les dispositifs. Le numéro d’urgence 39 19 a été menacé dernièrement, alors que les associations de lutte contre les violences faites aux femmes ont mis des dizaines années à l’organiser et à le faire connaître auprès du grand public.

Y compris sur l’inceste ?

Une politique de l’urgence ne suffit pas. C’est sur le long terme qu’il faut agir en proposant une éducation à la sexualité permettant de signifier aux enfants que leur corps leur appartient, qu’un adulte n’a pas à le toucher. La prévention passe également par une politique d’éducation à l’égalité dès le plus jeune âge qui fasse comprendre aux garçons qu’ils doivent respecter les filles. Des expériences locales à l’égalité de genre existent dès la maternelle, mais, de manière globale, le sexisme domine toujours au plan national et international tout comme la norme hétérosexuelle, qui surexpose des minorités sexuelles aux violences. Notre société est traversée par des rapports de pouvoir très ancrés. La question de l’égalité de salaire entre les hommes et les femmes reste cruciale. Les enjeux sont très asymétriques selon la place des individus dans la hiérarchie sociale. La violence est l’expression visible des rapports de domination au sein de la société.

Les violences sexuelles au travail touchent-elles tout le monde ?

Elles atteignent particulièrement les personnes en situation de précarité qui craignent de se retrouver au chômage et celles ayant le statut de fonctionnaire qui sont en contact avec le public et ne peuvent pas facilement changer de poste. C’est un résultat marquant de l’enquête. Excepté les atteintes sexuelles, les violences au travail concernent les femmes et les hommes dans des proportions comparables, mais leurs conséquences en termes de santé conduisent plus fréquemment les premières à quitter leur emploi. On en revient toujours au même : c’est aux victimes de fuir, alors que ce sont les agresseurs qui devraient être sanctionnés. Globalement, les effets des violences, quelles qu’elles soient, s’avèrent plus délétères chez les filles car elles se cumulent d’une sphère à l’autre et aux différents âges. Des corrélations sont établies entre les violences avant 18 ans et des tentatives de suicide, des troubles du comportement alimentaire, des épisodes dépressifs majeurs et des problèmes ostéo-articulaires. Ces répercussions sont moins sévères quand les victimes ont reçu du soutien. Ce n’est pas le cas quand elles ont parlé sans recevoir d’aide. Les violences sont dénoncées, la parole est de plus en plus relayée, mais celle-ci reste discréditée, voire mise sous silence.

Chercheuse à l’Ined

(Institut national des études démographiques) et au Centre Max-Weber (laboratoire de sociologie généraliste), Magali Mazuy a coordonné le livre Violences et rapports de genre (éd. Ined) avec Elizabeth Brown, Alice Debauche et Christelle Hamel.

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