Depuis la fin des années 1980, on observe, d’un côté, le développement d’une étatisation – passant par exemple par la réforme de la sécurité sociale menée sous Alain Juppé en 1995, qui marque la reprise en main de la sécu par l’Etat – et, de l’autre, le développement d’acteurs marchands qui prennent une place de plus en plus importante dans le social. Globalement, on constate que les politiques publiques instituent des marchés et importent des manières de faire qui viennent du secteur privé : on parle donc de « marchandisation des services publics ». Par exemple, avec les modes de financement à la tarification importés du sanitaire, l’Etat crée des quasi-marchés. C’est-à-dire que, dans un cadre de financement qui reste public, les autorités mettent en concurrence les prestataires publics ou privés, lucratifs ou non, autour d’un « prix » afin d’assurer une allocation maximale à l’opérateur qui attire le plus d’usagers.
La marchandisation, cela signifie que l’on crée un prix même fictif pour un service et que les opérateurs sont en concurrence, comme avec les réformes de financement. Au-delà, on parle de « managérialisation » pour expliquer qu’il y a maintenant dans le public tout un vocabulaire du monde de l’entreprise : « prime au rendement », « benchmarking »… Tout cela formate les acteurs à se comporter comme des opérateurs privés et conduit à une transformation des structures hiérarchiques. Par exemple, le concept de New Public Management – ou « nouvelle gestion publique » – s’est développé partout dans le monde en s’adaptant à la configuration de chaque pays et de chaque administration. En France, cela a été très utilisé par les administrations centrales pour réduire les marges à la fois de leurs services déconcentrés et de leurs opérateurs, afin de renforcer l’autorité de l’Etat en utilisant les mêmes outils qu’un actionnaire dans une société privée. Ainsi, le directeur d’un établissement public se retrouve avec une marge de manœuvre à l’égard de l’Etat aussi réduite que celle d’un chef d’entreprise face à ses actionnaires.
Dans toutes les réformes de l’administration, on utilise les mêmes mots-clés : simplification, rationalisation, rapprochement de l’usager… Mais en réalité il y a une centralisation croissante. La marchandisation des services publics peut entraîner une discrimination des publics : certains iront vers des structures publiques, d’autres vers des structures privées. Par exemple, dans le cas des maisons de retraite, toute une offre privée lucrative se développe, qui fait craindre un clivage entre, d’un côté, les personnes âgées qui peuvent payer pour un hébergement haut de gamme et, de l’autre, ceux qui n’ont pas les moyens d’aller voir ailleurs que dans le public. C’est en partie ce qui s’est passé dans le sanitaire, quand les cliniques privées se sont positionnées sur les opérations programmables donc rentables.
Les mutations rapides comme la numérisation des démarches est loin d’être une simplification pour tous les usagers, notamment ceux du secteur médico-social. De nombreux guichets physiques disparaissent en lien avec l’objectif de réduction des dépenses. Il y a un autre effet paradoxal : dans le médico-social, les institutions et les procédures changent sans cesse, toujours sous prétexte de raccourcir les procédures et d’aller vers le « guichet unique ». Mais les usagers finissent par être perdus devant cette transformation permanente, et risquent de ne plus savoir à quel interlocuteur s’adresser pour faire valoir leurs droits. Tout cela rend difficile la compréhension du système social.