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Le délaissement parental : un échec de la protection de l’enfance

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Pendant trop longtemps, protéger les enfants a consisté à les séparer de leur famille. Pour être efficace, il convient que l’aide sociale à l’enfance prévienne les situations de délaissement parental. Aussi les professionnels doivent-ils aider les parents à exercer pleinement leur rôle, et ne pas se cantonner à une approche technique teintée de méfiance à l’égard des familles.

« On parle de plus en plus des effets délétères du délaissement parental. La loi du 14 mars 2016 relative à la protection de l’enfance tente d’ailleurs de pallier ses conséquences en préconisant le réexamen systématique des situations. Les arguments sont toujours identiques : il y aurait “une culture française familialiste” qui pousserait au “maintien à tout prix des liens d’autorité parentale”, lesquels demeurent “quasi intouchables”. Et cela au détriment de “l’intérêt supérieur de l’enfant”.

Mais la question pourrait bien être posée à l’envers. Davantage que repérer le plus tôt possible les situations de délaissement parental, la mission de l’aide sociale à l’enfance (ASE) n’est-elle pas de les prévenir ? Les avocats que nous sommes rencontrent beaucoup de parents qui se battent pour garder leur place et qui en sont écartés par l’administration. Or le délaissement est l’échec de la protection de l’enfance.

Le droit de vivre en famille et, pour les enfants, celui de vivre avec ses parents, est un droit fondamental prévu dès le préambule de la Constitution et inscrit dans de nombreux textes internationaux. Toutefois, nous n’ignorons pas que certains parents puissent être absents ou défaillants, voire maltraitants et nocifs. Le dispositif de protection de l’enfance a pour but d’empêcher que cela arrive (prévenir), de soutenir les parents dans leur mission (accompagner) et éventuellement de prendre en charge partiellement ou totalement les enfants. Ce sont les trois objectifs fixés par la loi, avec cette progressivité(2).

La prise en compte des besoins affectifs n’est pas le résultat d’aprioris théoriques ou idéologiques. C’est l’analyse des pratiques anciennes de séparation : l’histoire d’un échec mille fois renouvelé(3). C’est pourquoi de nouvelles pratiques ont été initiées, puis officialisées dans la loi.

Pendant longtemps, la protection de l’enfance s’est organisée sous le mode de la séparation. Il fallait “rompre la chaîne de la reproduction des gueux”(4). En Angleterre, à la fin du XIXe siècle, les “Quarrers Homes” avaient même essayé d’interdire tout contact entre enfants placés et parents d’origine(5). En France, c’était plus nuancé, mais avec les mêmes résultats, comme on le constate en accompagnant des anciens qui viennent consulter leur dossier : placements lointains, pas d’informations sur la famille, ignorance des motifs du placement, de l’existence de frères et sœurs…

Vers un rapprochement professionnels-familles

Depuis quelques années, des “innovations socio-éducatives”(6) ont introduit un nouveau regard vers ceux qu’on a appelés les “usagers”. Le travail avec les familles de la Fondation la Vie au Grand Air(7), la mise en œuvre du SAPMN (service d’accompagnement personnalisé en milieu naturel) dans le Gard, mesure de placement avec hébergement au quotidien chez les parents ou chez un tiers, celle du placement hors les murs dans la Marne, comme celle du Sapsad (service d’accueil, de protection, de soutien et d’accompagnement à domicile) dans le Vaucluse… ont fait évoluer les choses, vers un rapprochement professionnels-familles. On parle de plus en plus de “partenariat” (8), de “co-éducation”, d’“alliance”. Pour qu’il y ait partenariat, il faut qu’il y ait volonté de faire ensemble, de reconnaissance des compétences de chaque partie, de complémentarité d’approches, de projets et d’objectifs communs. Les lois de 1984, 2002 et 2007 y incitent.

Voilà pour le cadre théorique. Mais en pratique ? Si je me réfère à mon expérience d’avocat et de militant associatif, notamment avec Le Fil d’Ariane(9), je relève bien souvent – je ne dis pas toujours – une méfiance globale à l’égard de la famille. Des avancées ont eu lieu dans la loi, mais il faut sans cesse se battre pour les faire entrer dans les pratiques. Les solidarités spontanées (grands-parents, oncles et tantes, voisins…) sont toujours suspectes. Et le délaissement souvent provoqué.

Il est facile et rapide d’entrer à l’ASE et très difficile d’en sortir. Les juristes Laurence Maudfroid et Flore Capelier notaient en 2011 : “Quand il y a placement, les exigences pour récupérer l’enfant paraissent plus élevées que celles qui ont justifié la mesure. Alors qu’on souhaitait initialement protéger l’enfant de manière temporaire […], le contrôle social induit par la prise en charge de la famille amène à une augmentation des garanties que les parents doivent apporter pour reprendre l’enfant. Pourtant, une interprétation stricte de la loi permet de déclarer qu’à partir du moment où le danger a disparu, l’enfant doit être remis dans le milieu familial, même s’il reste d’importantes difficultés parentales. Celles-ci doivent alors faire l’objet d’une prise en charge moins contraignante que le placement”(10).

Protéger l’enfant et ses parents

La plupart des services s’appellent “protection de l’enfance”, alors que le code de l’action sociale et de l’enfance mentionne “aide sociale à l’enfance”. Aider et protéger, ce n’est pas la même chose. Protéger contre qui ? Contre les parents considérés a priori comme dangereux ? Cette dérive sémantique est significative de l’image des familles. “Cette loi induit une confusion totale entre l’aide sociale qui est un droit reconnu aux familles en difficulté et leur contrôle”, écrivait justement Claire Neirinck, professeure émérite en sciences criminelles, en 2007(11).

Il convient de ne pas opposer les droits des parents et ceux de l’enfant. Il s’agit, parce que c’est indissociable, de garantir les uns et les autres. La mission des services sociaux est, pour reprendre le titre de l’ouvrage de Brigitte Chatoney, éducatrice spécialisée, de protéger l’enfant avec ses deux parents(12). “Avec la meilleure intention du monde, des générations d’enfants ont été coupées de leurs racines familiales, du droit à un vivant contact affectif avec leurs parents, leur fratrie, leur parenté élargie. C’était oublier que l’être humain est avant tout un être relationnel…”, écrit-elle.

Sophie Marinopoulos, psychologue et psychanalyste, complète : “Il m’apparaît nécessaire de briser l’évidence que signaler et séparer, c’est protéger. Car si l’enfant n’est plus accroché désespérément au corps de sa mère, pour éviter la perte, il s’accrochera à son absence, ne s’autorisant plus aucun lien de pensée. Tout enfant a besoin que son parent soit pris en compte dans une protection réciproque au même titre que lui”(13).

Si on reste dans une approche techniciste faite par des professionnels surplombants (dépister, repérer, évaluer, signaler, séparer, remplacer), l’aide sociale à l’enfance coûtera toujours plus cher pour des résultats toujours plus décevants, voire négatifs, parce que désappropriants, ségrégatifs et stigmatisants. Le but de l’action sociale ne consiste pas à repérer au plus tôt les possibles délaissements mais à aider les personnes à recouvrer une autonomie, une dignité, une liberté. Et ce faisant, à permettre aux parents d’être en capacité d’exercer pleinement leur rôle. »

Notes

(1) A lire de cet auteur : « L’enfant en miettes » – Ed. Dunod, 2004 ; « De la protection de l’enfance à la protection de l’enfant », avec Christophe Daadouch – Ed. Berger-Levrault, 2018 ; « L’enfant en danger et la justice. L’assistance éducative en 100 questions-réponses », avec Jean-Pierre Rosenczveig – Ed. Wolters Kluwer France, coll. « ASH professionnels », 2015.

(2) CASF, art. L. 112-3 ancien. Le nouvel article L. 112-3 recentre sur les besoins de l’enfant.

(3) P. Verdier – « L’enfant en miettes, L’aide sociale à l’enfance : bilan et perspectives » – Ed. Dunod, 2004 (réédité six fois depuis 1979).

(4) M. Sigaut, « La marche rouge, Les enfants perdus de l’Hôpital général », Ed. Jacqueline Chambon, 2008.

(5) J. Ward – « La recherche des origines chez les enfants placés et adoptés » – Enfance majuscule, n° 125, août 2012.

(6) P. Breugnot – « Les innovations socio-éducatives, Dispositifs et pratiques innovants dans le champ de la protection de l’enfance » – Presses de l’EHESP, 2011.

(7) Voir le film « Et si nous les élevions ensemble », réalisé par M. Basdevant, 1992, 26 mn.

(8) M. Léon – « Parents et professionnels partenaires » – Métiers de la petite enfance, n° 161, mai 2010.

(9) Le Fil d’Ariane France : 31, avenue du 14-Juillet – 93600 Aulnay-sous-Bois. Seule association française de parents d’enfants placés, aujourd’hui en sommeil.

(10) L. Maudfroid et F. Capelier – « Le placement du mineur en danger : le droit de vivre en famille et la protection de l’enfant » – Journal du droit des jeunes, n° 308, octobre 2011.

(11) L’enfant, être vulnérable, RDSS mars 2007

(12) B. Chatoney et F. Van der Borght – « Protéger l’enfant avec ses deux parents, Le centre parental, une autre voie pour réussir la prévention précoce » – Editions de L’Atelier, 2010.

(13) S. Marinopoulos – « Signaler pour soutenir la parentalité » – Enfance & Psy, n° 23, 2003/3.

Contact : pverdier57@gmail.com

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