Dans le cadre de leur activité professionnelle, les salariés peuvent subir des critiques injustifiées, des insinuations à connotation sexuelle, ou encore des commentaires dégradants. Ces situations ont des effets importants sur la santé des salariés, qui peuvent développer des formes d’anxiété ou de fatigue, mais également sur leur travail, puisqu’ils ont parfois des difficultés de concentration, peuvent commettre des erreurs ou encore, pire, décider de démissionner.
En pratique, on constate que le harcèlement connaît une résonnance particulière dans le monde du travail. En effet, le milieu professionnel est un domaine de prédilection du harcèlement.
Selon une étude menée par l’institut Ifop en 2018, 22 % des femmes estiment qu’elles ont été confrontées à une situation de harcèlement sexuel au travail au cours de leur carrière. En réalité, il apparaît que les victimes auraient tendance à minimiser les agissements qu’elles subissent et qu’elles seraient 32 % à faire ce constat. Cet écart de près de 10 % proviendrait de la méconnaissance de la définition de la notion de harcèlement sexuel par les victimes.
Quelques rappels historiques
La législation nationale sur le harcèlement a progressivement évolué. Elle a finalement consacré deux dispositifs distincts : le harcèlement sexuel et le harcèlement moral. Le délit de harcèlement sexuel a été introduit pour la première fois dans l’arsenal législatif par la loi du 2 novembre 1992 relative à l’abus d’autorité en matière sexuelle dans les relations de travail et modifiant le code du travail (C. trav.) et le code de procédure pénale (CPP). Ce délit a ensuite été modifié à plusieurs reprises en vue notamment d’en étendre le champ d’application. Par la suite, la notion de harcèlement moral a été instaurée par la loi de modernisation sociale du 17 janvier 2002.
En 2012, le dispositif pénal de harcèlement sexuel a été entièrement remanié par le législateur après avoir été déclaré inconstitutionnel par le Conseil constitutionnel (C. const.). En effet, par une décision du 4 mai 2012 rendue à la suite d’une question prioritaire de constitutionnalité (QPC), les Sages de la rue de Montpensier ont estimé que la définition du délit de harcèlement sexuel n’était pas suffisamment claire et précise (C. const., 4 mai 2012, n° 2012-240 QPC). Cette décision prenait effet immédiatement ; toutefois, elle ne concernait que le délit de harcèlement sexuel prévu par le code pénal (CP) et non par le code du travail qui restait en vigueur. Pour pallier ce vide juridique dans le code pénal, la loi n° 2012-954 du 6 août 2012 est venue modifier le délit de harcèlement sexuel. Depuis 2012, la définition du harcèlement sexuel a été modifiée par la loi n° 2018-703 du 3 août 2018 renforçant la lutte contre les violences sexuelles et sexistes. Cette dernière a également introduit la notion d’outrage sexiste dans le droit français.
Face au harcèlement au travail, l’employeur est tenu de protéger la santé et la sécurité de ses salariés. Conformément au code du travail, il est soumis à une obligation de sécurité (C. trav., art. L. 4121-1). Par conséquent, il doit prendre toutes les mesures permettant de prévenir l’existence de faits de harcèlement et réagir immédiatement s’il a connaissance de tels agissements.
Notre dossier s’attache à définir précisément le harcèlement sexuel et le harcèlement moral et établit les critères de distinction. Il aborde également les différentes obligations de l’employeur et le rôle du comité social et économique en la matière. Enfin, le dossier revient plus largement sur les conséquences du harcèlement vis-à-vis de la victime et de l’auteur.
Chaque infraction pénale se caractérise par la réunion de deux éléments : un élément matériel et un élément moral. L’élément matériel correspond à un comportement qui produit un résultat. L’élément moral s’entend comme l’attitude psychologique de l’auteur de l’infraction (ex. : imprudence, intention, négligence…). Il renvoie à la notion de culpabilité. Les deux types de harcèlement, ainsi constitutifs d’un délit, n’échappent pas à la réunion de ces éléments.
Le harcèlement moral se caractérise par la répétition de comportements ou de propos (CP, art. 222-33-2 ; C. trav., art. L. 1152-1). Par conséquent, le harcèlement est une infraction d’habitude c’est-à-dire qu’elle nécessite aux moins deux comportements ou propos fautifs pour être caractérisée.
A noter : Il n’est pas nécessaire d’invoquer des faits de nature différente (voir notamment Cass. crim., 26 janvier 2016, n° 14-80.455) ni de prouver que l’auteur avait l’intention de nuire à la victime (voir notamment Cass. soc., 7 juin 2011, n° 09-69903). En revanche, il ne peut exister de harcèlement moral si l’acte invoqué par le salarié est isolé et n’a pas été répété (voir notamment Cass. soc., 9 décembre 2009, n° 07-45521).
Le législateur précise quelles sont les répercussions que doit avoir le harcèlement moral sur la victime.
Dans un premier temps, la victime doit démontrer que le harcèlement entraîne une dégradation, un changement néfaste de ses conditions de travail (ex. : difficultés de concentration, stress). Cette dégradation peut s’apprécier de manière objective (ex. : l’employeur empêche un salarié de se rendre à son travail en changeant les serrures des locaux ou ne lui donne pas le nouveau mot de passe des ordinateurs) ou subjective (ex. : l’employeur manque de respect régulièrement à un salarié de sa structure).
Dans un second temps, il incombe à la victime de rapporter des éléments laissant supposer que la dégradation de ses conditions de travail est susceptible :
• soit de porter atteinte à ses droits et à sa dignité (ex. : l’employeur impose à la victime des actes humiliants) ;
• soit d’altérer sa santé physique ou mentale (ex. : en raison de la dégradation de ses conditions de travail, la victime est tombée dans un état dépressif) ;
• soit de compromettre son avenir professionnel (ex. : frein à l’évolution d’une carrière).
A noter : Le législateur précise que la dégradation doit être « susceptible » de causer de telles conséquences. En d’autres termes, les conséquences de la dégradation des conditions de travail ne sont que potentielles.
Le harcèlement moral est une infraction dite « intentionnelle ». De cette façon, la victime doit apporter des éléments permettant de laisser supposer que l’auteur avait la conscience et la volonté de contrevenir à la loi et de porter atteinte à la victime.
Le harcèlement sexuel revêt une particularité puisque le législateur a institué deux formes distinctes de harcèlement sexuel.
La première forme de harcèlement sexuel se définit comme « le fait d’imposer à une personne, de façon répétée, des propos ou comportements à connotation sexuelle ou sexiste qui soit portent atteinte à sa dignité en raison de leur caractère dégradant ou humiliant, soit créent à son encontre une situation intimidante, hostile ou offensante » (CP, art. 222-33 ; C. trav., art. L. 1153-1). Elle constitue une infraction d’habitude, c’est-à-dire qu’il est nécessaire que le fait fautif soit répété.
La seconde forme de harcèlement sexuel a été instituée par le législateur suite à la réforme de 2012. Il s’agit du harcèlement sexuel assimilé qui se caractérise par « le fait, même non répété, d’user de toute forme de pression grave dans le but réel ou apparent d’obtenir un acte de nature sexuelle » (CP, art. 222-33 ; C. trav., art. L. 1153-1). Cette forme de harcèlement ne nécessite pas de répétition du fait fautif. Elle constitue ainsi une infraction dite « simple ».
En conséquence, le législateur a donné au harcèlement sexuel une forme hybride dans la mesure où il peut se caractériser par une infraction simple ou d’habitude.
De surcroît, on note que le code du travail comme le code pénal ne précisent pas la qualité de l’auteur des faits fautifs. Il n’est donc pas nécessaire qu’il existe une hiérarchie entre la victime et l’auteur de l’infraction. On observe ainsi des situations de harcèlement « vertical », c’est-à-dire, par exemple, entre un responsable et un employé par exemple, ou « horizontal », c’est-à-dire entre deux personnes possédant le même niveau hiérarchique.
En outre, le législateur n’impose pas que l’auteur du harcèlement soit salarié de la structure dans laquelle travaille la victime. En d’autres termes, l’auteur pourrait par exemple être un client ou un salarié d’une autre structure.
Concernant la première forme de harcèlement sexuel, la finalité peut être double puisqu’il s’agit :
• soit de porter atteinte à la dignité de la victime en raison du caractère dégradant ou humiliant des propos ou comportements à connotation sexuelle ou sexiste ;
• soit d’avoir créé à l’encontre de la victime une situation intimidante, hostile ou offensante.
Concernant la seconde forme de harcèlement sexuel, la finalité est différente puisqu’elle consiste à « obtenir un acte de nature sexuelle, que celui-ci soit recherché au profit de l’auteur des faits ou au profit d’un tiers ».
Le harcèlement sexuel est une infraction dite « intentionnelle ». En effet, pour caractériser cette infraction, il est nécessaire d’apporter des éléments permettant de laisser supposer que l’auteur poursuivait la finalité constitutive du harcèlement sexuel, c’est-à-dire l’atteinte à la dignité de la victime, la création d’une situation intimidante, hostile ou offensante, ou encore l’obtention d’un acte de nature sexuelle.
L’employeur est tenu de protéger la santé et la sécurité des salariés. Il lui incombe ainsi, d’une part, de mettre en place des mesures de prévention et d’information au sein de sa structure et, d’autre part, de réagir immédiatement lorsqu’il a connaissance de ce type d’agissements.
Conformément à l’article L. 4121-1 du code du travail, l’employeur est tenu vis-à-vis de ses salariés à une obligation de sécurité.
Que l’obligation soit de résultat ou de moyens renforcée, l’employeur doit prendre toutes les précautions pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale du salarié. Ces mesures comprennent (C. trav., art. L. 4121-1) :
• « des actions de prévention des risques professionnels, y compris ceux mentionnés à l’article L. 4161-1 ;
• des actions d’information et de formation ;
• la mise en place d’une organisation et de moyens adaptés.
L’employeur veille à l’adaptation de ces mesures pour tenir compte du changement des circonstances et tendre à l’amélioration des situations existantes. »
Conformément à l’article L. 1311-2 du code du travail, les structures employant au moins 50 salariés doivent mettre en place un règlement intérieur. L’obligation incombe à l’employeur au terme d’un délai de 12 mois à compter de la date à laquelle le seuil de 50 salariés a été atteint.
A noter : Le seuil de 50 salariés est entré en vigueur à compter du 1er janvier 2020. Auparavant le seuil était de 20 salariés.
Le législateur fixe expressément le contenu du règlement intérieur (C. trav., art. L. 1321-1 et s.). Parmi les mentions obligatoires, on retrouve notamment :
• la réglementation en matière de santé et de sécurité dans l’entreprise ou dans l’association ;
• les modalités selon lesquelles le salarié peut être appelé à participer, à la demande de l’employeur, au rétablissement de conditions de travail protectrices de la santé et de la sécurité des salariés, dès lors qu’elles apparaîtraient compromises ;
• la réglementation en matière de discipline et notamment la nature et l’échelle des sanctions que peut prendre l’employeur ;
• les dispositions relatives aux harcèlements moral et sexuel et aux agissements sexistes prévues par le code du travail […].
Pour mémoire, le projet de règlement est rédigé par l’employeur et soumis au comité social et économique (CSE) pour avis (C. trav., art. L. 1321-4). Il est ensuite transmis à l’inspecteur du travail en deux exemplaires avec l’avis du CSE (C. trav., art. R. 1321-4). Ce dernier peut à tout moment exiger le retrait ou la modification de certaines dispositions (C. trav., art. L. 1322-1). Parallèlement, le règlement intérieur est déposé au greffe du conseil de prud’hommes du ressort de la structure (C. trav., art. R. 1321-2). La date d’entrée en vigueur est fixée par le règlement. L’article L. 1321-4 précise en ce sens qu’elle doit être « postérieure de 1 mois à l’accomplissement des formalités de dépôt et de publicité ».
A noter : La modification du règlement intérieur est soumise aux mêmes obligations que celles relatives à l’adoption du règlement intérieur (consultation du CSE, publication dans les locaux et information de l’administration).
Dès lors que l’employeur est averti de faits de harcèlement moral ou sexuel, il doit immédiatement diligenter une enquête en vue de prendre les mesures nécessaires si les faits sont avérés (voir notamment Cass. soc., 27 novembre 2019, n° 18-10551).
On conseillera donc à l’employeur de convoquer le présumé auteur, la présumée victime, les éventuels témoins ainsi que le comité social et économique. Il conviendra ensuite de réaliser un rapport d’enquête avant de prendre, le cas échéant, les mesures nécessaires.
La violation de l’obligation de sécurité peut entraîner l’engagement de la responsabilité civile de l’employeur et sa condamnation au versement de dommages et intérêts au regard du préjudice moral subi par le salarié. Il en sera ainsi par exemple si l’employeur n’a pas procédé à une enquête alors que plusieurs salariés l’avaient averti de l’existence de faits de harcèlement.
A noter : La responsabilité pénale de la personne morale peut également être engagée lorsque le harcèlement a pour origine les méthodes de gestion et de management de la structure ou lorsque l’auteur du harcèlement a la qualité d’organe ou de représentant de la personne morale et qu’il a commis l’infraction pour le compte de la personne morale.
Les faits de harcèlement peuvent rendre impossible la poursuite du contrat de travail de la victime. Cette situation est accentuée si l’employeur ne réagit pas, pas assez rapidement ou s’il ne prend pas les mesures nécessaires pour faire cesser les manquements. Les salariés victimes de harcèlement peuvent ainsi être fondés à prendre acte de la rupture de leur contrat de travail ou à demander la résiliation judiciaire de celui-ci (voir notamment Cass. soc., 3 février 2016, n° 14-25843).
Dans ces deux hypothèses, la rupture du contrat de travail produit les effets d’un licenciement nul (voir notamment Cass. soc., 28 mars 2018, n° 16-20020), c’est-à-dire que le salarié peut solliciter sa réintégration ou se voir octroyer au minimum 6 mois de salaire (C. trav., art. L. 1235-3-1).
Le comité social et économique joue un rôle important en matière de santé et de sécurité au travail, et dispose de différentes prérogatives pour lutter contre le harcèlement.
Le CSE est un interlocuteur essentiel en matière de prévention des risques professionnels. En vue d’accomplir correctement sa mission, tous les membres de la délégation du personnel au comité social et économique doivent pouvoir bénéficier d’une formation « santé, sécurité et conditions de travail », quel que soit l’effectif de l’entreprise, prise en charge par l’employeur (C. trav., art. L. 2315-18). De plus, la durée de la formation est de 3 jours pour les entreprises ou associations de moins de 300 salariés et de 5 jours pour les entreprises ou associations d’au moins 300 salariés (C. trav., art. L. 2315-40). On notera sur ce point que la durée de formation n’est fixée que pour les membres de la commission « santé, sécurité et conditions de travail » – il n’y a pas de dispositions précises pour les autres élus. Toutefois, dans ce dernier cas, le ministère du Travail a précisé : « Une durée de formation similaire des autres élus du CSE doit être encouragée, notamment en l’absence d’une telle commission » (ministère du Travail, « Questions-réponses sur le CSE », Question 83, mise à jour en janvier 2020)(1).
Dans toutes les structures (plus ou moins de 50 salariés), les membres du CSE peuvent réaliser des enquêtes en matière d’accidents du travail ou de maladies professionnelles ou à caractère professionnel (C. trav., art. L. 2312-5 et L. 2312-13).
Dans les structures de plus de 50 salariés, les représentants du personnel peuvent susciter toute initiative qu’ils estiment utile. Ils peuvent par exemple proposer des actions de prévention du harcèlement moral, du harcèlement sexuel et des agissements sexistes. L’employeur est en droit de refuser les actions proposées ; toutefois, il est obligé de motiver sa décision (C. trav., art. L. 2312-9).
Dans les structures de plus de 50 salariés, les membres du CSE peuvent saisir immédiatement l’employeur s’ils constatent, au sein de la structure, l’existence d’une atteinte aux droits des personnes, à leur santé physique et mentale ou aux libertés individuelles qui ne serait pas justifiée par la nature de la tâche à accomplir, ni proportionnée au but recherché. On parle alors du « droit d’alerte du comité » (C. trav., art. L. 2312-59). A titre d’illustration, si un ou plusieurs membres du CSE apprennent l’existence de faits de harcèlement moral ou sexuel, ils peuvent avertir immédiatement l’employeur.
Face à cette situation, l’employeur doit agir rapidement en procédant à une enquête en collaboration avec les représentants du personnel et en prenant toutes les mesures nécessaires pour faire cesser l’atteinte. S’ils ne parviennent pas à trouver de solution, par exemple en raison de divergence ou de carence de l’employeur, le salarié ou un membre du comité social et économique peut saisir le bureau de jugement du conseil de prud’hommes. Ce dernier est alors en droit de prendre toutes les mesures utiles pour faire cesser l’atteinte.
Le comité social et économique doit désigner parmi ses membres un référent en matière de lutte contre le harcèlement sexuel et les agissements sexistes. Le référent est désigné par une résolution prise à la majorité des membres présents (C. trav., art. L. 2314-1). Son mandat de référent prend fin avec celui de membre du CSE. En vue d’exercer correctement sa mission, le référent bénéficie d’une formation prise en charge par l’employeur (C. trav., art. L. 2315-18).
A noter : Dans les structures d’au moins 250 salariés, il convient de nommer un référent chargé d’orienter, d’informer et d’accompagner les salariés en matière de lutte contre le harcèlement sexuel et les agissements sexistes (C. trav., art. L. 1153-5-1).
La constatation de faits de harcèlement moral ou sexuel a des répercussions sur la victime et les témoins mais également sur l’auteur des agissements fautifs.
Le législateur protège, d’une part, les salariés, les candidats à un emploi, à un stage ou à une formation qui ont subi ou refusé de subir des actes de harcèlement moral et sexuel contre toute sanction, licenciement ou discrimination (C. trav., art. L. 1152-2 et L. 1153-2). D’autre part, il protège les personnes qui témoignent de faits de harcèlement moral et sexuel dont elles ont connaissance (C. trav., art. L. 1152-2 et L. 1153-3). Afin que la protection s’applique, il convient toutefois que ces personnes qualifient de harcèlement les faits qu’elles dénoncent (voir notamment Cass. soc., 13 septembre 2017, n° 15-23045). En revanche, un salarié qui relate des faits de harcèlement peut être sanctionné s’il est de mauvaise foi. Cette dernière ne peut toutefois résulter de la seule circonstance que les faits invoqués n’étaient pas établis (voir notamment Cass. soc., 10 mars 2009, n° 07-44092).
Toutes les sanctions prises par l’employeur en méconnaissance de ces principes sont nulles (C. trav., art. L. 1152-3 et L. 1153-4). A titre d’illustration, si un salarié est licencié suite à la révélation de faits de harcèlement moral, son licenciement sera nul et il pourra demander sa réintégration dans la structure ou, en cas de refus ou d’impossibilité, se voir octroyer une indemnité d’au moins 6 mois de salaire (C. trav., art. L. 1235-3-1).
Comme en matière de discrimination, les victimes de harcèlement moral ou sexuel bénéficient d’un aménagement de la charge de la preuve (C. trav., art. L. 1154-1). En cas de litige, les victimes doivent présenter des éléments de fait laissant supposer l’existence d’un harcèlement. Ensuite, une fois que suffisamment d’éléments de fait permettent de laisser supposer l’existence de ces agissements, l’employeur est tenu de se justifier et de rapporter la preuve qu’il a eu recours à des éléments objectifs dans sa prise de décision.
En conséquence, il appartient au juge d’examiner tous les éléments apportés par le salarié et d’apprécier si les faits matériellement établis « pris dans leur ensemble » permettent ou non de présumer l’existence d’un harcèlement (voir notamment Cass. soc., 8 juin 2016, n° 14-13418).
A titre d’illustration, la matérialité des faits a été reconnue pour une salariée qui avait déposé une plainte pénale contre deux collègues en raison de la dégradation de son véhicule. Elle avait également bénéficié d’un nombre de nuits travaillées inférieur à celui de ses collègues et elle avait fait l’objet d’une rétrogradation unilatérale de ses fonctions. En outre, deux témoins précisaient qu’elle faisait l’objet de dénigrement et des certificats médicaux attestaient des répercussions de la situation sur son état de santé (Cass. soc., 16 mai 2012, n° 10-10623).
Les syndicats représentatifs dans l’entreprise ou dans l’association sont en droit d’engager une action en justice en faveur du salarié qui serait victime de harcèlement. Il convient toutefois que le syndicat recueille l’accord écrit du salarié (C. trav., art. L. 1154-2).
Par ailleurs, les associations déclarées depuis au moins 5 ans et dont l’objet statutaire comporte notamment le harcèlement sexuel ou encore les discriminations fondées sur le sexe peuvent exercer les droits de la victime devant le juge pénal à condition de recevoir l’accord de la victime (code de procédure pénale, art. 2-2 et 2-6).
Lorsque l’employeur constate des faits de harcèlement moral ou sexuel dans sa structure, il peut prononcer à l’égard de l’auteur des faits une sanction disciplinaire pouvant aller jusqu’au licenciement (C. trav., art. L. 1152-5 et L. 1153-6).
Par exemple, la Cour de cassation estime que lorsque des faits de harcèlement sexuel sont avérés, ils constituent nécessairement une faute grave et peuvent ainsi fonder un licenciement (voir notamment Cass. soc., 18 février 2014, n° 12-17557).
La responsabilité peut aussi s’étendre au-delà de l’auteur des faits. A titre d’illustration, la Cour de cassation a admis le licenciement d’une responsable des ressources humaines qui avait connaissance des méthodes managériales inacceptables du directeur d’un magasin et qui avait laissé perdurer les agissements. Or, en sa qualité de responsable des ressources humaines, elle avait une mission de management et devait veiller au bon climat social et à l’existence de conditions de travail optimales. En conséquence, la salariée avait manqué à ses obligations contractuelles et avait mis en danger la santé physique et mentale des salariés (Cass. soc., 8 mars 2017, n° 15-24406).
Conformément aux articles 222-33 et 222-33-2 du code pénal, les faits de harcèlement moral et sexuel sont punis de 2 ans d’emprisonnement et de 30 000 € d’amende.
De surcroît, en matière de harcèlement sexuel, les peines peuvent être portées à trois ans d’emprisonnement et 45 000 € d’amende lorsque les faits sont commis (CP, art. 222-33) :
• par une personne qui abuse de l’autorité que lui confèrent ses fonctions ;
• sur un mineur de 15 ans ;
• sur une personne dont la particulière vulnérabilité, due à son âge, à une maladie, à une infirmité, à une déficience physique ou psychique ou à un état de grossesse, est apparente ou connue de leur auteur ;
• sur une personne dont la particulière vulnérabilité ou dépendance résultant de la précarité de sa situation économique ou sociale est apparente ou connue de leur auteur ;
• par plusieurs personnes agissant en qualité d’auteur ou de complice ;
• par l’utilisation d’un service de communication au public en ligne ou par le biais d’un support numérique ou électronique ;
• alors qu’un mineur était présent et y a assisté ;
• par un ascendant ou par toute autre personne ayant sur la victime une autorité de droit ou de fait.
Le code pénal prévoit également un délit général de harcèlement (CP, art. 222-33-2-2). La peine encourue est de 3 ans d’emprisonnement et de 45 000 € d’amende lorsque les faits fautifs sont commis dans deux des circonstances suivantes :
• lorsqu’ils ont causé une incapacité totale de travail supérieure à 8 jours ;
• lorsqu’ils ont été commis sur un mineur de 15 ans ;
• lorsqu’ils ont été commis sur une personne dont la particulière vulnérabilité, due à son âge, à une maladie, à une infirmité, à une déficience physique ou psychique ou à un état de grossesse, est apparente ou connue de leur auteur ;
• lorsqu’ils ont été commis par l’utilisation d’un service de communication au public en ligne ou par le biais d’un support numérique ou électronique ;
• lorsqu’un mineur était présent et y a assisté.
Au cours des années 2007-2008, l’entreprise France Télécom a été marquée par le suicide de nombreux salariés. Des accusations de harcèlement ont alors été portées contre la direction de l’entreprise.
En décembre 2019, et pour la première fois, le tribunal correctionnel de Paris a condamné l’entreprise France Télécom et ses ex-dirigeants pour harcèlement moral et complicité. La juridiction a reconnu l’existence de faits de harcèlement moral institutionnel.
Le harcèlement moral est dit « institutionnel » lorsqu’il ne concerne pas uniquement le comportement de certains individus mais s’analyse en réalité comme une stratégie d’entreprise dont le but est de créer à l’égard des salariés un « climat anxiogène ».
Les juges ont reconnu que les dirigeants étaient « initiateurs d’une politique de déflation des effectifs à marche forcée, jusqu’au-boutiste, ayant pour objet la dégradation des conditions de travail de la collectivité des agents de France Télécom pour les forcer à quitter définitivement l’entreprise ou à être mobiles » (tribunal correctionnel Paris, 20 décembre 2019).
La notion d’agissement sexiste a été introduite dans le code du travail par la loi du 17 août 2015 relative au dialogue social et à l’emploi.
Elle est définie par le législateur comme « tout agissement lié au sexe d’une personne, ayant pour objet ou pour effet de porter atteinte à sa dignité ou de créer un environnement intimidant, hostile, dégradant, humiliant ou offensant » (C. trav., art. L. 1142-2-1). Cette notion est donc à distinguer de celle de discrimination ou de harcèlement.
Par exemple, le fait de critiquer un homme parce qu’il n’est pas assez « viril » ou une femme parce qu’elle n’est pas assez « féminine » constitue un agissement sexiste. De même, tenir des commentaires humiliants ou désobligeants à l’égard d’une personne en raison de son sexe constitue un agissement sexiste (pour plus d’informations sur ce point, voir Conseil supérieur de l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes, « Kit pour agir contre le sexisme », 2016).
La Cour de cassation s’est prononcée pour la première fois sur la nature juridique de l’obligation de sécurité en 2002, à l’occasion des conséquences dramatiques liées à l’utilisation de l’amiante. Elle a rendu une série d’arrêts établissant un lien entre l’obligation de l’employeur de prendre soin de la sécurité des salariés et sa faute inexcusable dès lors que ce dernier avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel était exposé la victime et qu’il n’avait pas pris toutes les mesures nécessaires pour l’en préserver (Cass. soc., 11 avril 2002, nos 00-16535 et s.). Par conséquent, à cette date, le Cour de cassation a considéré que l’employeur était tenu d’une obligation de sécurité de résultat.
Passant d’une logique d’indemnisation à une logique de prévention, la chambre sociale de la Cour de cassation a fait évoluer la définition de l’obligation de sécurité pour parvenir à une obligation de moyens renforcée dans l’arrêt « Air France » (Cass. soc. 25 novembre 2015, n° 14-24244). En d’autres termes, la Cour de cassation a estimé que l’employeur ne méconnaissait pas son obligation de sécurité lorsqu’il justifiait avoir pris toutes les mesures nécessaires.
Très récemment, l’assemblée plénière (Cass. ass. plén., 5 avril 2019, n° 18-17442) et la deuxième chambre civile (Cass. civ. 2e, 8 octobre 2020, nos 18-25021 et 18-26677) se sont également alignées sur la position de la chambre sociale de la Cour de cassation.
L’employeur et le salarié peuvent convenir d’un commun accord de la rupture du contrat de travail qui les lie par le biais d’une rupture conventionnelle (C. trav., art. L. 1237-11 et s.).
La jurisprudence a eu l’occasion de préciser, au fil du temps, que la possibilité de recourir à la rupture conventionnelle est ouverte à tous les salariés et peut notamment être acceptée dans un cadre conflictuel. Dès lors que le consentement des parties n’est pas vicié, une rupture conventionnelle peut être conclue alors même que l’employeur et le salarié ont un différend (Cass. soc. 13 mai 2015, n° 14-10048).
De surcroît, la Haute Juridiction a reconnu que l’existence de faits de harcèlement n’affecte pas en elle-même la validité de la rupture conventionnelle en l’absence de vice du consentement établi (Cass. soc., 23 janvier 2019, n° 17-21550).
En revanche, si le salarié parvient à prouver que son consentement a été vicié, sous la contrainte, la pression ou la menace de son employeur, les juges pourront invalider la rupture conventionnelle. Tel est le cas, par exemple, si à la date de la signature de la convention de rupture, le salarié est « dans une situation de violence morale en raison du harcèlement moral et des troubles psychologiques qui en sont écoulés » (Cass. soc., 29 janvier 2020, n° 18-24296).
Mediapart et StreetPress ont mené des enquêtes pendant plusieurs mois au sein du groupe McDonald’s et de son management sur le territoire français. Au terme de ce travail d’investigation, en octobre dernier, les deux médias ont recueilli 78 témoignages de salariés. Parmi eux, 37 auraient subi des faits de harcèlement sexuel et 32 auraient été victimes de harcèlement moral. De surcroît, certains salariés témoignent de phrases embarrassantes et de gestes déplacés. D’autres précisent qu’ils sont régulièrement victimes d’insultes racistes ou sexistes. Des phénomènes qualifiés de « systémiques » par Mediapart.
Par ailleurs, au milieu mondial, depuis mai 2020, le groupe McDonald’s est également poursuivi par une coalition de syndicats devant l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), chargée, entre autres, de promouvoir des politiques visant à améliorer le bien-être économique et social des populations, pour des faits de harcèlement sexuel systématique.
Depuis l’entrée en vigueur de la loi du 3 août 2018 renforçant la lutte contre les violences sexuelles et sexistes, le fait d’imposer à une personne tout propos ou comportement à connotation sexuelle ou sexiste qui soit porte atteinte à sa dignité en raison de son caractère dégradant ou humiliant, soit crée à son encontre une situation intimidante, hostile ou offensante constitue un outrage sexiste (CP, art. 621-1).
Peuvent être considérés comme un outrage sexiste :
• les sifflements, gestes et bruits obscènes ;
• les commentaires dégradants sur le physique ou la tenue vestimentaire.
Cet acte est puni d’une amende pouvant aller jusqu’à 750 €. La peine peut être aggravée et passer à 1 500 € d’amende lorsque, par exemple, la victime est un mineur de moins de 15 ans ou une personne particulière vulnérable. A titre complémentaire, les auteurs peuvent également être contraints de réaliser des stages de lutte contre le sexisme et des stages de sensibilisation.
A noter : Le site du gouvernement permet un signalement des violences sexistes et sexuelles directement en ligne (plus d’informations sur https://bit.ly/3oECTdL).
(1) Disponible sur https://travail-emploi. gouv.fr/IMG/pdf/qr_cse_16_01_2020_ok.pdf