Entendre le mal

C’est à un voyage profondément sombre et dérangeant que nous invite le documentariste Alexandre Mognol. Les cris, un podcast en 12 épisodes, donne la parole à David, 50 ans. Ce père de trois enfants a commis plusieurs actes incestueux, agressant sa fille lorsque celle-ci n’était âgée que de 10 ans. D’une voix profondément douce, il narre ces passages à l’acte et leurs conséquences, en particulier son incarcération. Ce qui rend ce documentaire si vertigineux, c’est l’ambivalence constante du protagoniste. Lui-même abusé sexuellement durant son enfance, il s’est dénoncé plusieurs années après les faits, pour « sauver » sa fille. Qu’elle ne soit pas, selon lui, la prisonnière inconsciente de cette agression sexuelle. Mais il ne cesse, tout au long de son récit, de minimiser la portée et la gravité de son comportement. C’est ainsi qu’il ne comprend ni la demande de divorce sans consentement mutuel de son épouse, ni le silence obstiné que lui oppose sa famille. Il est particulièrement déstabilisant de l’écouter évoquer presque constamment ses « loulous ». La nausée monte franchement quand il tente de justifier les trois attouchements contre sa benjamine au motif que sa femme se refusait sexuellement à lui. La colère nous prend à chaque fois qu’il se retranche derrière les avis tronqués des psychologues afin de dégager sa responsabilité. Si cette écoute est pénible, souvent insuppor­table, elle reste cruellement nécessaire et d’actualité. Elle nous entraîne dans le sillage des affaires « Kouchner », « Louvin », « Berry »… dans les pas d’Hannah Arendt et de sa « banalité du mal ». Ce mélange d’horreur et de quotidien au sein d’un cocon familial a l’immense mérite d’incarner un cancer sociétal : l’inceste et ses innombrables conséquences dévastatrices. Les Cris, c’est, au fond, l’histoire d’un homme ayant commis l’impardonnable et qui ne vaincra probablement jamais ses démons.