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Des professionnels au secours des étudiants

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Dans l’agglomération lyonnaise, l’actualité récente a révélé de façon brutale les problématiques de fragilité et de précarité extrême dans lesquelles se trouvent de nombreux étudiants depuis le début de la crise sanitaire. Associations et professionnels se mobilisent pour leur venir en aide.

Dans le VIIe arrondissement de Lyon, une dizaine de jeunes font la queue devant un vaste hangar couvert de graffitis, un sac Lidl à la main. Les uns après les autres, ils pénètrent dans le bâtiment et en ressortent quelques minutes plus tard, le sac rempli et du papier toilette dans les bras. A l’intérieur, les bénévoles de l’association étudiante Gaelis (Groupement des associations et des élus étudiants de Lyon indépendants et solidaires) accueillent leurs camarades de fac avec un sourire las, campés derrière six stands chargés de produits de première nécessité. En échangeant quelques nouvelles, ils remplissent les cabas de briques de lait, de jus de fruits, de légumes, mais aussi d’éponges ou de lait maternel. Derrière eux, la silhouette d’imposants tas de pommes de terre et de carottes se découpe dans la pénombre. L’ensemble a des allures de soupe populaire.

Avec la fermeture des universités au printemps, l’association Gaelis a décidé d’organiser de manière hebdomadaire des distributions alimentaires pour les étudiants en situation de précarité. Lors du premier confinement, les bénévoles ont ainsi rempli 8 000 paniers. Depuis novembre, ils accueillent près d’un millier d’étudiants chaque semaine. La présidente de l’association, Laura Lehmann, détaille : « Il y a deux profils d’étudiants. Ceux pour qui les distributions ne sont pas vitales mais leur permettent de diversifier leur alimentation, et ceux qui nous disent que, sans elles, ils ne pourraient pas se nourrir. Plus de la moitié des étudiants que nous voyons sont des étudiants étrangers qui n’ont donc pas droit aux bourses. »

La ville de Lyon n’est pas un cas isolé. Selon une enquête menée entre les deux confinements par l’Observatoire de la vie étudiante (OVE), à l’échelle nationale, un tiers des étudiants déclarent avoir rencontré des difficultés financières. Les dépenses d’ordre alimentaire sont celles ayant posé le plus de problèmes aux étudiants précarisés, suivies par les frais de loyer.

L’effet boule de neige

Au-delà des difficultés financières, les confinements successifs ont engendré ou aggravé des fragilités d’ordre psychologique. Toujours selon l’enquête menée par l’OVE, plus d’un étudiant sur trois a présenté les signes d’une détresse psychique pendant la période de confinement (contre 20 % dans l’enquête « santé » de 2016), « notamment de la nervosité, de la tristesse et de l’abattement, ou du découragement ». Trois catégories d’étudiants apparaissent particulièrement vulnérables : ceux en difficulté financière, les étrangers et les femmes.

L’expérience d’Emilie Tardieu, médecin directrice du service de santé de l’université Lumière-Lyon 2, confirme ces chiffres : « Nous avons actuellement des étudiants présentant déjà des fragilités psychologiques qui cumulent un stress supplémentaire lié aux études à distance, à l’isolement social et à la précarité due à la perte de leur job étudiant. Les difficultés financières couplées à l’isolement viennent aggraver une santé mentale déjà fragile. » Laura Lehmann complète : « Il y a un effet boule de neige, Un étudiant perd son petit boulot, et il ne peut plus se nourrir ni payer son loyer. Il décroche, a des insomnies, voire des pensées suicidaires… Plus rien qui va. »

L’actualité récente a jeté une lumière crue sur cette réalité. Début décembre, un étudiant lyonnais a mis fin à ses jours. Un mois plus tard, deux autres ont tenté de l’imiter en sautant par la fenêtre. Romain, 19 ans, est en deuxième année de droit à Lyon. Sa chambre universitaire donne sur le bâtiment depuis lequel l’un de ses camarades a tenté de se suicider, début janvier. « Je reçois chaque jour des appels d’étudiants qui me disent y avoir déjà pensé. A 20 ans, ce n’est pas normal d’en arriver là. » Dans sa résidence, tout est fermé depuis le premier confinement : la salle de jeux, le foyer collectif, et même la cuisine, autorisée à deux étudiants à la fois. « On récupère son menu et on va manger dans sa chambre, tout seul. On peut supporter de vivre dans 10 m2 si on n’est pas isolé toute la journée. » Pour ces prestations, il débourse 271 € par mois, soit « la grande majorité » de sa bourse. En troisième année de langues, Emma a elle aussi été choquée par ces tentatives de suicide. Mais pas réellement surprise. « C’est logique, lâche-t-elle tristement. Beaucoup de mes amis ont décroché parce que, psychologiquement, c’est trop dur. Je me mets à pleurer pour rien. Parfois, je n’arrive même pas à me lever le matin. » Cette jeune pense arrêter ses études si les universités restent fermées.

Avec ses fauteuils de couleurs vives et sa décoration moderne, le pôle jeunes adultes (PJA) de Villeurbanne est une possibilité d’accès aux soins psychiques pour des jeunes de 16 à 25 ans en difficulté, à mi-chemin entre un suivi plus lourd en centre médico-psychologique (CMP) et des offres en libéral. Chaque jeune est reçu par un binôme constitué d’un infirmier et d’un éducateur spécialisé, et voit si besoin un psychiatre. Ainsi, Julia Bouvier, infirmière, et Coralie Bachy, psychiatre, travaillent au PJA depuis plusieurs années. Si, d’ordinaire, les étudiants représentent la grande majorité de leurs patients, la structure est littéralement prise d’assaut depuis le début de la crise sanitaire. « Les secrétaires sont harcelées de coups de fil, explique l’infirmière. On sent une intensification de la souffrance psychologique chez des étudiants qu’on suit depuis plusieurs mois ou années. » Chez des jeunes légèrement anxieux, la crise sanitaire a parfois été un puissant catalyseur, à l’origine de décompensations psychiques. « L’entrée dans la vie adulte est un grand moment de vulnérabilité. Pendant le confinement, on a tous un peu souffert de troubles du sommeil, d’anxiété, poursuit Coralie Bachy. Pour certains, ça peut prendre une place telle qu’on a des idées noires, qu’on n’arrive plus à manger, à dormir, ni à être en lien avec les autres… On parle de décompensation quand le symptôme devient handicapant. »

Tout près, sur le campus universitaire de Villeurbanne, Bettina Reymond est assistante de service social au sein de l’école d’ingénieurs de l’Insa (Institut national des sciences appliquées). « En début d’année, je passe d’habitude dans les amphis pour présenter le service social. Les enseignants peuvent aussi signaler des étudiants en cas d’absences ou de notes qui chutent. Pendant le confinement, avec les infirmières de l’école, on a fait du porte-à-porte dans les résidences pour s’assurer que tout le monde allait bien. » Comme beaucoup, l’assistante sociale bricole avec les moyens du bord. « Tous les mardis matin, avec mes collègues du Crous [centre régional des œuvres universitaires et scolaires], on organise une commission d’aide financière. En règle générale, on présente 20 à 30 dossiers, contre plus de 50 en ce moment. » Sur le plan financier, pas de budget supplémentaire, mais l’accès aux fonds et aides d’urgence a été facilité pour accélérer les versements. « Ces aides du Crous permettent de soutenir les étudiants qui ont perdu temporairement leur travail. C’est beaucoup plus compliqué pour ceux dont les dettes de loyer s’accumulent pendant plusieurs mois, et atteignent parfois plus de 1 500 € », souffle-t-elle.

Malgré la gravité de la situation, au niveau institutionnel, les réponses sont lacunaires. A la suite des dernières tentatives de suicide, le directeur du Crous de Lyon a promis la mise en place d’une cellule psychologique et le doublement, « voire le triplement », des cellules d’écoute hebdomadaires dans les résidences universitaires. Le système des élèves référents, chargés de faire le lien avec l’administration, a lui aussi été renforcé. C’est le cas au sein de la résidence où vit Romain. « Trois étudiants vont à la rencontre, plusieurs heures par jour, d’autres camarades pour repérer leur détresse éventuelle. C’est très utile, mais ce n’est pas leur boulot ! », soupire le jeune homme.

A côté de leurs consultations – en présentiel et en visioconférence –, les services de santé universitaires s’appuient sur les lignes d’écoute et les relais étudiants. « A Lyon 2, le SCUIO-IP (service commun universitaire d’information, d’orientation et d’insertion professionnelle) se charge, par le biais d’étudiants vacataires, de contacter l’ensemble des élèves de première année pour savoir comment se passe leur année », détaille Carole Fournel, responsable du service de vie étudiante de la faculté. A l’échelle nationale, les étudiants de l’association Nightline passent la nuit à répondre à des appels d’étudiants en détresse. La liste des initiatives n’est pas exhaustive. Etudiants bénévoles, syndicats, associations, tous se mobilisent à leur niveau. « Les associations étudiantes ont de plus en plus de mal à offrir des espaces d’interaction à distance. La question du lien social est essentielle. Or, avec la fermeture des universités, on a un impact limité sur la manière de les sortir de cet isolement », déplore Carole Fournel.

Les limites du système

Maison des adolescents, services de santé universitaires, pôle jeunes adultes, CMP, psychologues libéraux… A Lyon, les structures sont nombreuses. Alors, qu’est-ce qui manque ? « Les moyens ! réagit Coralie Bachy. On nous demande tout le temps ce qu’il faudrait de nouveau, mais c’est pas du nouveau dont on a besoin, c’est des moyens. Même dans les grosses villes étudiantes comme Lyon, on est en carence. » Le constat est partagé par l’ensemble des professionnels, et notamment par les jeunes psychologues. Il y a onze ans, deux d’entre eux ont fondé Apsytudes, une structure de prévention de la souffrance psychologique chez les étudiants. « En sortie d’études, on constate le décalage entre l’image de la vie étudiante insouciante et la réalité vécue par nos pairs, détaille Fanny Sauvade, psychologue et cofondatrice d’Apsytudes. L’objectif est de recevoir et d’accompagner les étudiants et, si besoin, de les renvoyer vers des services partenaires adaptés. Malheureusement, aujourd’hui, tout le monde est saturé. L’offre n’est pas dimensionnée par rapport au nombre d’étudiants, et ça peut devenir contre-productif : quand vous faites une demande et qu’on vous répond qu’il y a plusieurs semaines ou mois d’attente, c’est décourageant. On est sur les limites de notre système et de notre action. »

Car si la crise a exacerbé la précarité et l’isolement de nombreux étudiants, la situation est loin d’être nouvelle. D’après une enquête réalisée par le syndicat étudiant Unef, le coût de la vie étudiante a augmenté de 3,69 % à la rentrée 2020, bien au-delà des 0,2 % d’inflation pour le reste de la population. Des chiffres en grande partie dus à l’augmentation des loyers en province. « Nous affirmons depuis des années que c’est de plus en plus compliqué », explose Laura Lehmann, de l’association Gaelis. « Au fond, si tous ces projets – de la distribution alimentaire aux lignes d’écoute – se sont mis en place, c’est pour pallier le manque de réponse de la part des institutions », corrobore sa camarade Madeleine Chevauchet. A commencer par le nombre de psychologues : en France, on compte en moyenne un professionnel pour 30 000 étudiants. Quant aux 80 psychologues que le gouvernement a promis d’embaucher sur l’ensemble du territoire, ils se font toujours attendre.

« Plus on reçoit les gens tôt, que ce soit dans leur symptomatologie ou en âge, plus on a de chances d’éviter un mal-être qui s’installe en intensité et dans la durée et qui se transforme en handicap », confirme la psychiatre Coralie Bachy. A Lyon, ces dernières semaines, les appels à mobilisations contre la précarité étudiante se sont multipliés. Associations et syndicats étudiants réclament auprès de la ministre de l’Enseignement supérieur, Frédérique Vidal, et des pouvoirs publics « une concertation rapide et une réaction à la mesure de la souffrance » des étudiants. Le 21 janvier, Emmanuel Macron a annoncé que les étudiants pourront avoir accès à deux repas par jour à un euro chacun dans les Resto U ainsi qu’à un « chèque psy » leur permettant de consulter un psychologue.

Reportage

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