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« La mort est d’abord un fait social »

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Longtemps à l’œuvre, le silence autour de la mort en institution commence à se briser. Spécialiste du sujet, la sociologue Laurence Hardy rappelle que la fin de vie n’est pas seulement médicale.
La mort est-elle encore taboue dans les établissements ?

J’interviens auprès des équipes pour les préparer aux décès des personnes en Ehpad ou soignées à domicile et je constate une évolution depuis trois ou quatre ans. Nous sommes aujourd’hui en pleine période de changement, il y a une réelle prise de conscience des professionnels, que cela peine beaucoup de cacher la mort de quelqu’un. Les résidents eux-mêmes sont en souffrance car, même si on ne leur dit rien, d’une manière ou d’une autre, ils le savent, le sentent, le ressentent. Cela se traduit par de l’agressivité ou, au contraire, par de l’apathie. De plus en plus souvent, la nécessité d’accompagner les personnes jusqu’au bout de la vie est inscrite noir sur blanc dans le projet d’établissement. Au départ, ce parti pris relevait de l’exception, de la volonté d’un jeune directeur ou d’équipes qui n’en pouvaient plus. Il y a deux ans, j’étais dans une structure où l’architecture obligeait à traverser l’espace de vie commun pour transporter un défunt à l’extérieur. Le personnel devait tourner le fauteuil roulant des résidents présents dans la pièce vers le mur. Cette situation, considérée comme « normale » pendant des années, ne l’est plus actuellement. Les professionnels veulent que les choses bougent et font preuve de créativité. Les résidents aussi s’interrogent : ils se disent que si on leur dissimule le décès d’un résident, on dissimulera le leur. Comme s’ils n’existaient pas, c’est insupportable.

Les familles ont-elles joué un rôle dans cette transformation ?

Au début, les proches aidants ont été ambivalents. Ils ne voulaient pas que leur père ou leur mère participe au moindre cérémonial pour éviter que cela les projette dans leur propre mort. Il a donc fallu les accompagner eux aussi. Et maintenant il y a de nombreux témoignages de familles qui considèrent que cela a été un joli moment de recueillement, que leur défunt n’est pas parti par la petite porte, que les autres résidents ont pu faire une haie de sortie, que les professionnels ont pu dire un petit texte… Avant, le proche décédé quittait l’établissement, c’était un point final pour les aidants. Actuellement, certaines structures les invitent à un partage d’activités une fois dans l’année. Il y a une continuité. Ce n’est pas fréquent, mais la dynamique est lancée. Une des particularités très forte est de parler de la fin de vie et de la mort à travers les directives anticipées et la personne de confiance dès l’arrivée à l’Ehpad. Cela peut être vécu comme une violence, mais il faut aborder ces sujets afin de tracer les souhaits du résident à l’avance, et non brutalement du jour au lendemain. Je rencontre des professionnels pour préparer ces nouveaux rituels. L’objectif n’est pas de proposer un accompagnement clé en main, mais personnalisé. Le tabou de la mort commence vraiment à se briser.

Pourtant, la mort a été quasiment confisquée pendant le premier confinement. Qu’est-ce que cela révèle de la société ?

Malgré les lois, comme celle de 2015 sur l’adaptation de la société au vieillissement, on est dans l’« âgisme ». Il ne fait pas bon être vieux et en perte d’autonomie là où l’exigence est d’être jeune, beau, dynamique, en bonne santé. C’est un révélateur très piuissant, qui se trouve renforcé dans cette période de Covid avec le deuil interdit. Les familles n’ont pas pu embrasser leurs proches, regarder leurs visages… Cela a été épouvantable. Je milite pour que, lorsque la pandémie sera terminée, une journée ou un temps de recueillement soit institué pour toutes les personnes décédées pendant le confinement absolu. La non-reconnaissance de la personne vivante jusqu’au bout et la privation des rites sont des nids à deuils pathologiques. La crise du corona­virus nous fait croire que la mort est seulement médicale. Or la mort est d’abord un fait social, elle fait partie de la vie. On a besoin de rituels, de se retrouver pour dire au revoir et de prendre soin des endeuillés, notamment lors de décès massifs tels qu’il y en a en ce moment. Le problème, dans cette société de la performance, est que la mort sociale précède la mort biologique. Même si, aujourd’hui, les professionnels se retroussent les manches pour inverser cette réalité.

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