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« On sent le besoin d’une guidance parentale »

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Pour la magistrate Stéphanie Hébrard, les travailleurs sociaux et les juges manquent d’outils pour endiguer la radicalisation des conflits parentaux.
Comment la justice a-t-elle évolué face aux conflits parentaux ?

Ces conflits ont connu une augmentation en nombre et en gravité, avec l’augmentation des séparations, bien sûr, mais aussi avec l’émergence de la notion de « coparentalité », susceptible de dégénérer en rivalité parentale. Face à la montée des contentieux, le législateur a introduit la médiation familiale dans le dispositif légal. L’expérimentation de la tentative de médiation familiale préalable obligatoire (TMFPO), qui signe une volonté de généraliser cet outil de pacifi­cation, est une bonne mesure pour sensibiliser à l’idée que la saisine d’un juge ne doit pas être automatique et que la recherche du consensus entre dans les devoirs de l’autorité parentale et de la coparentalité. Elle produit des effets statistiques intéressants. Au début 2019, localement, sur l’ensemble des saisines TMFPO, 43,2 % ont donné lieu à la poursuite d’une médiation et, sur celles-ci, 61 % à des accords complets ou partiels.

Depuis quand parle-t-on de « conflit de loyauté » ?

Dans les années 1990-2000, il était question de « haut conflit » ou de « conflit parental sévère » pour désigner l’hostilité perdurant au-delà de la crise inhérente à la séparation, laquelle épuise les institutions (tribunaux, éducateurs, services médico-sociaux, Education nationale…) sans résultat et porte atteinte à l’intégrité des enfants. La rivalité – voire la haine – des parents l’un pour l’autre empêche toute coparentalité. Nous sommes aussi confrontés à un phénomène qui prend de l’ampleur, celui des couples qui se séparent à la naissance de l’enfant, voire avant. Ce phénomène peut présenter un risque élevé pour son développement neuroaffectif et pour le maintien des liens. On parle aujourd’hui de conflit et d’abus de loyauté. Mais, dans les situations les plus graves, le débat scientifique et idéologique sur la notion d’aliénation parentale a freiné considérablement l’approche : ce qui ne peut être nommé ne peut être correctement pensé. Et force est de constater qu’il existe peu de littérature permettant d’en appréhender les complexités. L’Ecole nationale de la magistrature ne propose pas de formation spécifique sur le sujet, et seul un cycle d’études sur la justice des mineurs l’évoque.

Comment le juge des affaires familiales (JAF) aborde-t-il le problème ?

Face à la radicalisation des conflits, les juges aux affaires familiales restent assez démunis et mal « outillés ». La médiation ne suffit pas. L’expertise psychologique est, elle aussi, inefficace à traiter ces situations. Elle vient même parfois les aggraver en prenant partie pour un parent en déport avec les réalités factuelles du dossier, lequel n’est souvent pas consulté par l’expert. L’enquête sociale vient renseigner sur les éléments objectifs du conflit, mais ne permet pas son apaisement. Dès lors que l’équilibre de l’enfant est affecté, le juge pour enfants peut intervenir par l’inter­médiaire des saisines « périphériques ». Les travailleurs sociaux ne sont pas suffisamment préparés pour la gestion de ces problèmes. Leur mission traditionnelle n’est pas celle-là, et le risque, observé par mes collègues, est que l’assistance éducative soit le moyen pour les parents de poursuivre leur conflit et de le faire perdurer en trouvant d’autres interlocuteurs à rallier à leur cause.

Que faudrait-il mettre en place pour améliorer le système ?

Il faudrait des équipes spécialement formées à l’approche systémique des conflits familiaux qui puissent intervenir dès le début du conflit sur mission du JAF. On sent bien aujourd’hui le besoin d’une mesure intermédiaire, d’une guidance parentale centrée sur les besoins de l’enfant, comme cela existe dans certains pays. Cette mesure, ayant vocation à ne durer que quelques mois, consisterait à mandater une équipe pluridisciplinaire (psychologue, médiateur, pédopsychiatre) pour informer les parents sur les besoins des enfants et les aider à améliorer leur coparentalité à partir d’objectifs concrets, assignés par le juge et/ou élaborés d’un commun accord. Pour les nourrissons, en particulier, l’équipe comprendrait un pédopsychiatre formé à l’attachement et une puéricultrice de la protection maternelle et infantile. J’observe tous les jours dans ma pratique que les conflits se nourrissent de peurs, de craintes et d’ignorances. Au Québec, une information est proposée aux parents sur les aspects psychosociaux de la séparation, la coparentalité et l’établissement d’un véritable plan parental qui prenne des engagements sur une série d’aspects concrets. Les magistrats peuvent également décider d’une ordonnance de coaching parental. C’est ce type d’intervention qui manque aujourd’hui en France.

Y a-t-il des difficultés pour auditionner les enfants ?

D’abord très réticente quant au bien-fondé de l’audition de l’enfant, je dois reconnaître maintenant que chaque audition est un moment très riche, tant les enfants, pour peu qu’on les laisse parler, ont généralement une intelligence vive et une vision juste des choses. Cela peut être utilisé comme un outil de responsabilisation des parents, pour peu qu’ils veuillent bien entendre. La question du discernement est essentielle. Il n’est pas convenable d’entendre un enfant qui n’a pas la maturité suffisante pour comprendre les raisons et les implications de son audition. A Montpellier, les juges ont fixé l’âge minimal à 8 ans, mais un groupe de travail national propose de l’établir à 10 ans. Quoi qu’il en soit, les enfants finissent généralement par dire à quel point ils sont attachés à leurs deux parents et souhaiteraient qu’ils cessent de se disputer. Une enfant de 12 ans m’a dit un jour : « Moi, je savais qu’ils m’aimaient tous les deux, mais j’avais jamais imaginé qu’ils pourraient être contrariés que je les aime tous les deux ! »

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