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Pour qui sonne le gras

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C’est la petite phrase de trop. Quelques mots jetés nonchalamment, comme ça, l’air de rien, entre la poire et le fromage, ou plutôt, cette fois, entre la quiche et la tarte. La quiche, c’est elle ; la tarte, c’est moi.

La quiche, c’est ma mère, mais ça pourrait être n’importe qui : un.e collègue, le voisin du troisième, une bonne copine ou un.e illustre inconnu.e au bataillon.

La tarte, c’est moi. Mais ça pourrait aussi être Daria, Astrid, Marion, ou plein d’autres.

La petite phrase, c’est une parmi tant d’autres, qui ressemble à toutes les autres.

« Tu es sûre que tu as encore faim ? »(1). Sous-entendu : « Tu es sûre que tu n’es pas assez grosse comme ça ? »

C’est la petite humiliation sous une grosse tartine de bienveillance, le regard réprobateur, le conseil non sollicité, le sourire moqueusement complice.

C’est ce client, derrière moi, qui regarde d’un air circonspect ce qu’il y a dans mon caddie. Qu’est-ce qu’elle a acheté ? Des trucs qui font maigrir ou des trucs qui font grossir ? Ce paquet de chips… pas bien. Le plat minceur, oui, c’est mieux, mais ça ne compense pas les gâteaux planqués dessous.

C’est la petite phrase assassine de cette vendeuse qui me toise avec mépris avant de m’asséner un « on ne fait pas votre taille » lapidaire.

C’est ce médecin des urgences. J’ai mal, vraiment très mal, et je pleure de douleur et de peur, et je vomis tellement j’ai mal, et lui, il recule, il juge, il condamne. « Encore une boulimique qui se fait vomir », pense-t-il tout haut. Raté. Juste une appendicite.

Et puis, ce sont toutes ces circonvolutions, ces mots qui me contournent, qui ne veulent pas dire la chose, ces mots qui glissent autour de moi en autant de descriptions plus ou moins hasardeuses des gens « comme moi ».

Elle est pulpeuse. Ronde. Bien en chair. Plantureuse. Corpulente. Tout pour ne pas dire le mot, le vilain mot, le gros mot. Tout plutôt que « grosse ».

Mais moi, je le dis ce mot. « Grosse ». Ça ne me fait pas peur de le dire, j’ai eu tout le temps de m’y habituer.

J’ai toujours été grosse. Sur les photos de classe, nul besoin de chercher mon visage. On cherche la grosse, et c’est moi. Immanquablement. Impitoyablement. En bout de banc, en bout de rang, pour ne pas casser l’harmonie, ce n’est pas ma tête qui dépasse, c’est mon corps qui déborde.

Je suis grosse et c’est ainsi. Grosse malgré les conseils des un.e.s et des autres, malgré les magazines qui me vantent moins dix kilos en deux jours, le noir qui amincit et le sport qui raffermit, je suis et reste grosse.

Je suis grosse et ça n’est pas votre problème. Mon corps, mes seins, mes fesses, mon ventre, mon gras, c’est à moi. Et vos petites phrases en mode « c’est pour toi que je dis ça », « tu pourrais être jolie si tu voulais », « pense à ta santé », gardez-les pour vous.

Parce qu’au fond, au tréfonds de mon corps, ce qui me fait le plus de mal n’est ni le gras qui m’enveloppe ni les trois chiffres de la balance.

Ce n’est pas mon poids qui me pèse, c’est vous. Vous et vos petits regards, vous et votre siruposité qui se mêle de mon adiposité.

Notes

(1) Lire à ce propos : « La question qui tue. Perfidies ordinaires, maladresses et autres micro-agressions », par Sophia Aram, Ed. Denoël, 2021, 14,00 € – https://graspolitique.wordpress.com/ – https://obeseinvisible.blogspot.com/

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