Quelles que soient les lois locales en Europe, clients et prostituées n’ont pas cessé de se rencontrer pendant les périodes de confinement, comme en témoignent les innombrables annonces publiées sur les sites spécialisés. Même si les « travailleuses du sexe », en particulier celles contraintes de vendre leurs charmes dans la rue, ont vu leurs revenus s’effondrer. A l’échelle du continent, la Suisse représente malgré tout un cas à part : le pays dispose d’une législation unique, la prostitution étant légalisée depuis la révision du code pénal suisse de 1992. Considérée comme licite, donc, la profession demeure assimilée à une activité lucrative privée relevant d’un principe de liberté économique. Mais la pandémie de Covid-19 a agi comme un révélateur dans l’ensemble de la Suisse fédérale, où « les bordels ont pu rouvrir dès le 6 juin 2020, sous la pression des patrons, proxénètes adoubés par l’Etat et les régions », relève la journaliste spécialisée Claudine Legardinier pour le Mouvement du Nid, association qui agit en soutien aux personnes prostituées.
Dans un pays relativement épargné par la première vague du coronavirus, les médias helvètes ont récemment fait leurs gros titres sur des cas de contamination décelés dans le quartier rouge de Zurich. A l’instar du quotidien Neue Zürcher Zeitung, qui a semblé s’étonner d’« incroyables découvertes », comme celle de prostituées testées positives partageant un « espace exigu avec 47 autres femmes nigérianes ».
Le 5 janvier, c’était au tour du journal La Liberté, édité à Fribourg, de souligner la soudaine « précarité » des prostituées, pour mieux défendre les intérêts des proxénètes et patrons de bordels. « Si les sites de rencontres n’ont pas été interdits, il n’y a pas de raison que les rencontres tarifées le soient », s’indigne ainsi Loïc Duc, tenancier du Centre Relax Bulle, qui se dit très « déçu de ne pas pouvoir rouvrir en même temps que les bars » : « Ceux qui n’ont pas fait de rencontre pendant la soirée rentraient seuls alors qu’ils auraient eu envie de venir passer un bon moment chez nous », regrette-il.
Après la réautorisation du travail du sexe le 18 décembre, « sera-t-il à nouveau interdit sous peu ? Les tenanciers de centres, qui embauchent souvent des travailleuses étrangères munies d’un permis de 90 jours, sont à la merci (sic) d’une nouvelle décision contraignante et des quarantaines imposées », ose même La Liberté, dans un vibrant appel à la sauvegarde des intérêts des « chefs d’entreprise » du secteur.
En réalité, la situation sanitaire en Suisse « a poussé les travailleuses du sexe en Suisse à travailler dans la clandestinité, comme c’est le cas dans les pays prohibitionnistes ou abolitionnistes », constate Isabelle Boillat, coordinatrice d’Aspasie, association historique de défense des droits des prostituées en Suisse, fondée en 1982.
Avec SOS Femmes, structure créée en 1940 pour offrir « un accueil et un accompagnement social et pédagogique aux femmes ayant exercé la prostitution » et « celles qui vivent une exclusion sur le plan social et professionnel », Aspasie tente de défendre les droits des prostituées ayant perdu leur salaire et parfois leur logement au gré de la crise sanitaire. L’association assure n’avoir jamais été autant sollicitée que durant ces derniers mois. En effet, les travailleuses du sexe ont dû faire face à la précarité, à l’exposition au virus et au harcèlement d’une police davantage encline à verbaliser, voire à incarcérer, celles d’entre elles contraintes de travailler dans l’illégalité plutôt qu’à s’intéresser à leur exploitation par les « respectables » proxénètes helvètes.