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Les lanceurs d’alerte

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Toute personne physique agissant de manière désintéressée et de bonne foi peut dénoncer des dysfonctionnements ou des faits de maltraitance au sein d’une structure. Comment lancer une alerte ? Vers qui se tourner ? Quelle protection offre la loi ? Eléments de réponses.

La question des lanceurs d’alerte et de leur reconnaissance comme de leur protection est un phénomène récent en droit français. En effet, ce n’est qu’en décembre 2016 que la loi dite loi « Sapin 2 » reconnaît et protège les lanceurs d’alerte en droit français. Ainsi, la loi du 9 décembre 2016 qualifie de lanceur d’alerte : « toute personne physique qui révèle ou signale, de manière désintéressée et de bonne foi, un crime ou un délit, une violation grave et manifeste d’un engagement international régulièrement ratifié ou approuvé par la France, d’un acte unilatéral d’une organisation internationale pris sur le fondement d’un tel engagement, de la loi ou du règlement, ou une menace ou un préjudice graves pour l’intérêt général, dont elle a eu personnellement connaissance »(1).

Si la loi française ne s’est intéressée que très récemment aux lanceurs d’alerte, il est intéressant de relever que tant les dispositions législatives que la circulaire qui en a découlé ont rayonné sur l’ensemble des branches du droit, ne se limitant pas à certains aspects ou domaines spécifiques. C’est en effet la création d’un statut général de protection des lanceurs d’alerte qui émane du dispositif juridique. Mais en pratique, la définition du lanceur d’alerte, comme sa protection, laisse demeurer des problématiques épineuses. Il est en effet nécessaire de déterminer dans quelle mesure la dénonciation des faits doit être considérée comme une alerte et à quel moment doit entrer en jeu le dispositif légal tant vis-à-vis de la personne qui devra être protégée que vis-à-vis de la situation relevant de ce dispositif spécifique.

Dans le domaine social et médico-social, les dispositifs de signalement et de protection des lanceurs d’alerte connaissent une résonnance particulière et très développée au regard de l’impact humain et de la nécessité de protection des bénéficiaires ou publics visés, intégrant des personnes âgées ou handicapées. Le cadre juridique repose sur la combinaison de la loi « Sapin 2 » et d’autres normes juridiques très variées.

Ce dossier s’intéressera aux dispositifs de signalements spécifiques au secteur social et médico-social et reviendra également plus précisément sur le régime protecteur issu de la loi « Sapin 2 ». Il abordera enfin la nouvelle directive européenne relative à la protection des lanceurs d’alerte.

I. Les dispositifs de signalement spécifiques au secteur social et médico-social

Les professionnels du secteur social et médico-social sont soumis à de nombreuses obligations de signalement qui leur confèrent des protections et des garanties particulières.

A. Panorama des différents signalements

1. Signalements de crimes et d’actes constitutifs de privations, de mauvais traitements ou d’agressions

Conformément aux articles 434-1 et 434-3 du code pénal, toute personne qui a connaissance d’un crime ou encore de privations, de mauvais traitements ou d’agressions ou d’atteintes sexuelles infligés à un mineur ou une personne vulnérable est soumise à une obligation de signalement auprès des autorités judiciaires ou administratives compétentes.

A noter : L’absence de signalement est sanctionnée d’une peine de 3 ans d’emprisonnement et de 45 000 € d’amende.

Néanmoins, cette obligation de signalement est atténuée pour les personnes astreintes au secret professionnel. Ces dernières ont ainsi la possibilité de ne pas signaler des faits de maltraitance en vue de préserver leur secret professionnel.

Les professionnels participant aux missions du service de l’aide sociale à l’enfance (ASE) sont tenus de transmettre au président du conseil départemental ou au responsable désigné par lui toutes les informations préoccupantes dont ils ont connaissance sur la situation de mineurs. Ils ne peuvent se prévaloir de leur secret professionnel pour s’exempter de leur obligation de signalement (code de l’action sociale et des familles [CASF], art. L. 221-6).

2. Signalements de crimes et de délits par les agents du service public

L’article 40 alinéa 2 du code de procédure pénale pose une obligation générale de signalement de crimes et de délits pour tous les officiers publics et tous les fonctionnaires et ne prévoit aucune exception en raison du secret professionnel.

Dans ces conditions, un médecin ayant le statut de fonctionnaire au sein d’un établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes est contraint de dénoncer tout acte de maltraitance et ne peut invoquer le secret professionnel contrairement à un médecin n’ayant pas le statut de fonctionnaire et exerçant par exemple ses fonctions dans une maison de retraite privée.

3. Signalements de dysfonctionnements dans les structures sociales et médico-sociales

Dans les structures sociales et médico-sociales, le directeur de l’établissement, du service, du lieu de vie ou du lieu d’accueil ou, à défaut, le responsable de la structure est tenu de signaler aux autorités administratives « tout dysfonctionnement grave dans leur gestion ou leur organisation susceptible d’affecter la prise en charge des usagers, leur accompagnement ou le respect de leurs droits et de tout événement ayant pour effet de menacer ou de compromettre la santé, la sécurité ou le bien-être physique ou moral des personnes prises en charge ou accompagnées » (CASF, art. L. 331-8-1 et R. 331-8).

Cette obligation de signalement concerne uniquement les dirigeants et elle n’est assortie d’aucune sanction pénale.

B. Les garanties et protections accordées aux professionnels

1. L’immunité pénale

Conformément à l’article 226-13 du code pénal, la violation du secret professionnel est punie d’une peine de 1 an d’emprisonnement et de 15 000 € d’amende mais également de sanctions disciplinaires. Toutefois, le législateur a prévu des exceptions et permet, dans certaines hypothèses limitativement énumérées, la révélation du secret professionnel sans risque d’engagement de la responsabilité civile, pénale ou disciplinaire de son auteur (code pénal [CP], art. 226-14).

Ainsi, toute personne qui a connaissance de faits de privations ou de sévices, y compris en cas d’atteintes ou de mutilations sexuelles infligées à un mineur ou à une personne vulnérable en raison de son âge ou de son incapacité physique ou psychique, peut en informer les autorités judiciaires, médicales ou administratives.

De plus, un médecin ou tout autre professionnel de santé peut fournir au procureur de la République ou à la cellule départementale de recueil, de traitement et d’évaluation des informations préoccupantes tout fait alarmant relatif aux mineurs en danger ou qui risquent de l’être qu’il a pu constater au cours de l’exercice de sa profession et qui laisse supposer qu’ils sont ou ont été victimes de violences physiques, sexuelles ou psychiques. Le professionnel de santé doit recueillir l’accord de la victime sauf si cette dernière, du fait de son âge ou de son incapacité physique ou psychique, n’est pas en mesure de se protéger.

En outre, un médecin ou tout autre professionnel de santé peut fournir au procureur de la République une information sur des violences exercées au sein d’un couple à condition qu’il « estime en conscience » que les violences subies mettent la victime majeure en danger immédiat et qu’elle ne peut se protéger en raison de l’emprise exercée par l’auteur des violences. Le professionnel de santé doit « s’efforcer » de recueillir l’accord de la victime. S’il n’y parvient pas, il peut effectuer le signalement mais doit en informer la victime. Cette dernière hypothèse est issue de la loi du 30 juillet 2020 visant à protéger les victimes de violences conjugales.

Enfin, l’exception s’étend également aux professionnels de santé ou de l’action sociale qui ont connaissance du caractère dangereux d’un individu pour lui-même ou pour les tiers et dont ils savent qu’il possède une arme ou qu’il souhaite en acquérir une. Dans cette hypothèse, le professionnel peut informer le préfet de la situation.

2. La protection contre les représailles

Les agents et les salariés des établissements sociaux et médico-sociaux ayant signalé des mauvais traitements ou des privations sont protégés contre toute mesures défavorables « en matière d’embauche, de rémunération, de formation, d’affectation, de qualification, de classification, de promotion professionnelle, de mutation ou de renouvellement du contrat de travail, ou pour décider la résiliation du contrat de travail ou une sanction disciplinaire » (CASF, art. L. 313-24).

De surcroît, l’administration comme les employeurs de droit privé ne peuvent prendre aucune mesure concernant « le recrutement, la titularisation, la rémunération, la formation, l’appréciation de la valeur professionnelle, la discipline, la promotion, l’affectation et la mutation » à l’encontre de fonctionnaires ou de salariés qui relateraient de bonne foi des faits constitutifs d’un délit ou d’un crime dont ils auraient pu avoir connaissance dans l’exercice de leurs fonctions (C. trav., art. L. 1132-3-3 ; loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires, dite loi « Le Pors », art. 6 ter A).

Par ailleurs, le code du travail et la loi « Le Pors » prévoient également un aménagement de la charge de la preuve en cas de litige (C. trav., art. L. 1132-3-3 ; loi « Le Pors », art. 6 ter A). En effet, il incombe au salarié ou à l’agent de présenter des éléments laissant supposer qu’il a signalé une alerte. Ensuite, l’administration ou l’employeur est tenu de prouver que sa décision contestée est justifiée par des éléments objectifs étrangers au signalement.

II. Le dispositif de protection des lanceurs d’alerte

La loi « Sapin 2 » a mis en place un statut protecteur pour tous les lanceurs d’alerte. Le dossier reviendra ainsi sur les conditions d’application du dispositif, la procédure de signalement ainsi que les garanties et protections offertes aux lanceurs d’alerte.

A. Le lanceur d’alerte : éléments de définition

La loi de 2016 a certes créé un statut de lanceur d’alerte, mais n’a pas mis en place de définition réellement précise de celui-ci et d’une autorité ayant le pouvoir ou la capacité de déterminer qui entre dans cette catégorie. Ainsi, une circulaire du 31 janvier 2018 précise que la loi du 9 décembre 2016 a répondu à un objectif de clarification et d’unification du dispositif des lanceurs d’alerte et a introduit des dispositions d’ordre général permettant de créer un socle protecteur unique. Est évoqué un encadrement global de l’alerte, mais la tentative de définition posée par la loi puis reprise dans la circulaire ne permet pas aisément de définir qui peut obtenir le statut de lanceur d’alerte.

On doit alors se référer à différents points qui permettent, de manière cumulée, de définir quelle personne peut bénéficier du statut de lanceur d’alerte ou doit en être exclue. Il s’agira ainsi, en premier lieu, de bien vérifier de quelle manière est révélé ou signalé le fait. Ainsi, il est indispensable que la personne effectue la révélation ou le signalement d’une manière totalement désintéressée et de bonne foi. A ce titre, la circulaire rappelle que l’on exclut expressément toute personne qui n’agirait pas dans l’intérêt général mais pour son propre compte ou chercherait à nuire.

A noter : Les journalistes ne sont pas concernés par le dispositif de lanceur d’alerte puisqu’ils exercent une activité qui contribue au débat public d’intérêt général. Ils disposent par ailleurs de règles protectrices spécifiques à leur activité professionnelle.

Autre élément intéressant, la personne pouvant bénéficier du statut de lanceur d’alerte et de la protection y afférente doit nécessairement être une personne physique et le texte ne pouvant protéger une personne morale. A ce titre, les associations et les organismes de type organisation non gouvernementale (ONG) n’ont pas la possibilité de bénéficier de la protection spécifique des lanceurs d’alerte.

Afin d’entrer dans le cadre de la loi « Sapin 2 », une attention particulière doit également être portée aux faits qui sont dénoncés et qui doivent apparaître, aux yeux de la personne concernée, comme relevant de catégories spécifiquement énoncées par la loi et relevant :

• d’un crime ou d’un délit ;

• d’une violation grave et manifeste de la loi ou du règlement ;

• d’une violation grave et manifeste d’un engagement international régulièrement ratifié ou approuvé par la France ;

• d’une violation grave et manifeste d’un acte unilatéral d’une organisation internationale pris sur le fondement d’un engagement international régulièrement ratifié ou approuvé par la France ;

• d’une menace ou d’un préjudice grave pour l’intérêt général.

La difficulté majeure est que les faits dénoncés doivent apparaître comme constitutifs de l’une des catégories précitées. Or la frontière peut paraître mince entre la croyance légitime de l’existence du fait et la dénonciation calomnieuse qui pourrait avoir des conséquences dramatiques, notamment en matière d’image si les faits dénoncés ne s’avèrent pas réels. Dans cette seconde hypothèse, la responsabilité pénale de la personne physique à l’origine de la dénonciation serait légitimement engagée et exclurait toute protection de la loi « Sapin 2 ». En effet, ce type de comportement peut être puni des peines sanctionnant la dénonciation calomnieuse (code pénal [CP], art. 226-10). Il existe donc une part importante d’appréciation quant à la bonne foi du lanceur d’alerte et au fait qu’il soit totalement désintéressé. C’est ici toute la problématique de vérifier que le lanceur d’alerte a bien eu personnellement connaissance des faits qu’il entend dénoncer mais également qu’il avait des motifs raisonnables de croire à la véracité des dysfonctionnements qu’il entend signaler.

A noter : La loi du 9 décembre 2016 exclut du régime de l’alerte trois domaines spécifiques intégrant le secret de la défense nationale, le secret médical et le secret des relations entre un avocat et son client. A ce titre, les faits, informations ou documents, quels que soient leur forme ou leur support, couverts par ces secrets font l’objet d’une exclusion de la protection des lanceurs d’alerte visée par les articles 6 à 16 de la loi « Sapin 2 ».

B. Une procédure stricte pour encadrer le lancement des alertes

Au regard de la gravité de la procédure et des faits qui entrent dans le dispositif de la loi « Sapin 2 », une procédure stricte a été mise en place afin d’éviter, d’une part, l’engagement de la responsabilité pénale du lanceur d’alerte mais également, d’autre part, la mise en cause injustifiée d’un organisme et l’impact pour ce dernier. Ce dossier présentera la procédure de signalement et s’intéressera au rôle du défenseur des droits.

1. La procédure de signalement

La procédure de signalement se scinde en plusieurs étapes distinctes.

a) Déclenchement de la procédure de signalement

Conformément à la loi « Sapin 2 », le signalement d’une alerte doit en premier lieu être porté à la connaissance du supérieur hiérarchique du salarié ou de l’agent, de l’employeur ou d’un référent désigné par ce dernier. Pour des questions de preuve, il est conseillé d’effectuer ce signalement par lettre recommandée avec accusé de réception.

Spécificités des structures de droit privé et public de moins 50 salariés

Dans les structures de droit privé et public employant au moins 50 salariés ainsi que dans les administrations de l’Etat, des départements, des régions, des communes et des établissements de coopération intercommunale à fiscalité propre de communes de plus de 10 000 habitants, un décret du 19 avril 2017(1) impose aux employeurs de mettre en place, depuis le 1er janvier 2018, une procédure de recueil des signalements émis par les lanceurs d’alerte au sein de différents types de structures.

Ainsi, toute structure personne morale de droit privé ou de droit public, employant au moins 50 salariés, ainsi que ses agents, est soumise à cette obligation. Il en va de même des administrations de l’Etat, des départements, des régions, des communes et des établissements de coopération intercommunale à fiscalité propre de communes de plus de 10 000 habitants.

Le décret impose la création d’une procédure de recueil des signalements et fixe un cadre général tant pour le référent qui doit être nommé que pour la procédure à mettre en œuvre. Le décret se limite cependant à fixer un cadre général et ne prévoit pas de procédure stricte identique pour tous les types de structures. Si cela doit permettre une meilleure adaptabilité à chaque type d’organisme de droit public ou de droit privé, cela est relativement dommageable pour sa mise en pratique. En effet, cela signifie que chaque structure aura une procédure reposant sur un socle commun mais dont les modalités pratiques pourront être très différentes.

Spécificités dans les autres structures

Dans les structures employant moins de 50 salariés, il n’existe pas d’obligation de mettre en place une procédure spécifique. Il convient seulement de prévoir un registre spécifique pour consigner les différentes alertes.

b) Absence de traitement de l’alerte dans un délai raisonnable

Si la personne destinataire de l’alerte n’a effectué aucune diligence dans un délai raisonnable, le signalement peut être adressé à l’autorité judiciaire, à l’autorité administrative (par ex. préfet, recteur, inspection) ou aux ordres professionnels concernés.

c) Absence de traitement par les autorités dans un délai de 3 mois

A défaut de traitement par les différentes autorités dans un délai de 3 mois et en dernier ressort, le signalement peut être rendu public par le salarié ou l’agent. C’est une simple faculté laissée au lanceur d’alerte et non une obligation.

d) Procédure d’urgence

Lorsqu’il existe un danger grave et imminent ou en cas de risque de dommages irréversibles, l’alerte peut être effectuée directement auprès de l’autorité judiciaire, de l’autorité administrative ou des ordres professionnels concernés sans passer par l’employeur ou le supérieur hiérarchique. De surcroît, l’alerte peut être rendue publique.

Avant de recourir à la procédure d’urgence, on conseillera de bien vérifier l’existence de la situation d’urgence. En effet, si l’urgence n’est pas établie, la protection de la loi « Sapin 2 » n’est pas applicable.

2. Le rôle du défenseur des droits

Toute personne qui souhaite réaliser un signalement peut se rapprocher du défenseur des droits(2).

Ce dernier a pour rôle(3) :

• d’orienter le lanceur d’alerte dans ses démarches. Il peut ainsi l’accompagner dans la détermination de l’organisme compétent pour recueillir son alerte ;

• de veiller au respect de ses droits et libertés. Il peut par exemple intervenir pour faire cesser toutes représailles subies par le lanceur d’alerte.

En revanche, le défenseur des droits n’est pas compétent en vue de faire cesser les dysfonctionnements ayant donné lieu à l’alerte.

C. Une protection étendue du lanceur d’alerte

Un individu qui effectue un signalement selon les conditions précitées et obtient le statut de lanceur d’alerte est protégé par la loi contre les conséquences liées à son signalement. Il bénéficie ainsi d’une immunité pénale et d’une protection contre les représailles.

1. L’immunité pénale

Conformément à l’article 122-9 du code pénal, « n’est pas pénalement responsable la personne qui porte atteinte à un secret protégé par la loi, dès lors que cette divulgation est nécessaire et proportionnée à la sauvegarde des intérêts en cause, qu’elle intervient dans le respect des procédures de signalement définies par la loi et que la personne répond aux critères de définition du lanceur d’alerte prévus à l’article 6 de la loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique ».

Par conséquent, lorsque le lanceur d’alerte remplit les conditions légales précitées (voir page 19), il bénéficie d’une immunité pénale et ne peut être poursuivi notamment pour violation du secret professionnel.

2. La protection contre les représailles

Les lanceurs d’alerte peuvent faire l’objet de représailles (ex. : sanction telle que le licenciement). En vue de les protéger, l’article L. 1132-3-3 du code du travail dispose que les candidats à l’embauche, les stagiaires et les salariés ne peuvent faire l’objet d’une sanction, d’un licenciement ou d’une mesure discriminatoire pour avoir effectué un signalement dans le respect des conditions posées par la loi « Sapin 2 ».

En outre, le code du travail prévoit également un renversement de la charge de la preuve en faveur du lanceur d’alerte en cas de litige. En effet, dans cette hypothèse, il incombe au salarié de présenter des éléments laissant supposer qu’il a signalé une alerte. De son côté, l’employeur est tenu de prouver que sa décision contestée est justifiée par des éléments objectifs étrangers au signalement.

Par ailleurs, la protection contre les représailles est également effective pour les alertes réalisées en dehors du cadre professionnel. A titre d’illustration, un lanceur d’alerte ne peut se voir retirer un droit comme l’inscription dans un centre aéré du fait du signalement qu’il a réalisé préalablement.

III. Vers une évolution de la législation ?

A. La nouvelle directive européenne

Le Parlement européen et le Conseil de l’Union européenne ont adopté la directive n° 2019/1937/UE du 23 octobre 2019 sur la protection des personnes qui signalent des violations du droit de l’Union européenne (UE).

A noter : Les Etats membres de l’UE doivent transposer cette directive au plus tard le 17 décembre 2021(1).

Au sein du droit français, la notion de lanceur d’alerte est encadrée et il existe une protection commune à tous les lanceurs d’alerte. Ce dispositif issu de la loi « Sapin 2 » n’existe pas dans l’ensemble des pays de l’UE ou du moins pas de façon aussi étendue. Dès lors, le Parlement et le Conseil de l’UE ont adopté une directive en vue d’harmoniser la législation des différents Etats membres et d’offrir une plus grande protection aux lanceurs d’alerte sur le territoire européen. L’ancien défenseur des droits, Jacques Toubon a qualifié cette directive de « texte novateur qui place l’Union européenne à la pointe de la protection des lanceurs d’alerte sur le plan mondial »(2).

Si la directive s’inspire sur de nombreux points de la loi « Sapin 2 », elle comporte toutefois certaines différences.

La directive de 2019 fixe un champ d’application matériel étendue (ex. : marchés publics, sécurité des transports, protection de l’environnement, radioprotection et sûreté nucléaire ou encore santé publique) mais pas absolue dans la mesure où elle ne s’appliquera pas aux domaines de la sécurité ou de la défense nationale (directive du 23 octobre 2019, art. 2).

En outre, le champ d’application personnel de la directive est large puisqu’il concerne les salariés et les fonctionnaires mais également (directive du 23 octobre 2019, art. 4) :

• « les personnes ayant le statut de travailleur indépendant ;

• les actionnaires et les membres de l’organe d’administration, de direction ou de surveillance d’une entreprise, y compris les membres non exécutifs, ainsi que les bénévoles et les stagiaires rémunérés ou non rémunérés ;

• toute personne travaillant sous la supervision et la direction de contractants, de sous-traitants et de fournisseurs ».

Pour bénéficier du statut de lanceur d’alerte, il convient de remplir plusieurs conditions (directive du 23 octobre 2019, art. 6) :

• avoir eu des motifs raisonnables de croire que les informations signalées étaient véridiques lors du signalement et s’assurer que les informations entrent dans le champ d’application matériel de la directive ;

• avoir effectué un signalement interne, externe ou une divulgation publique.

A noter : La directive ne prévoit pas expressément le caractère désintéressé du signalement contrairement au droit français.

De surcroît, le bénéfice de la protection s’appliquera non seulement au lanceur d’alerte mais également aux facilitateurs, aux « tiers qui sont en lien avec les auteurs de signalement et qui risquent de faire l’objet de représailles dans un contexte professionnel, tels que des collègues ou des proches des auteurs de signalement » ou encore aux « entités juridiques appartenant aux auteurs de signalement ou pour lesquelles ils travaillent, ou encore avec lesquelles ils sont en lien dans un contexte professionnel » (directive précitée, art. 4).

A noter : Le champ d’application des personnes protégées est donc actuellement plus étendu dans le cadre de la directive qu’en droit interne français.

Par ailleurs, la directive précise que les Etats membres doivent veiller à ce que les lanceurs d’alerte bénéficient d’une assistance juridique (directive du 23 octobre 2019, art. 20). Ils peuvent prévoir une assistance financière ainsi que des mesures de soutien psychologique pour les lanceurs d’alerte ce qui n’existe pas pour l’instant en France (directive du 23 octobre 2019, art. 20).

A noter : Le droit interne actuellement en vigueur n’impose pas d’assistance juridique.

Enfin, la directive prévoit l’existence de « sanctions effectives, proportionnées et dissuasives » notamment pour les personnes qui entraveraient ou tenteraient d’entraver l’alerte, celles qui effectueraient des représailles ou encore celles qui signaleraient sciemment de fausses informations (directive du 23 octobre 2019, art. 23).

B. L’Avis de la CNCDH sur la transposition de la Directive européenne…

La Commission nationale consultative des droits de l’Homme (CNCDH) est très favorable à l’évolution du statut du lanceur d’alerte. En effet, elle estime que le régime actuel ne protège pas suffisamment le lanceur d’alerte contre les menaces et les tentatives d’intimidations ou de représailles.

A ce titre, la CNCDH a émis plusieurs recommandations(1) :

• l’élargissement du statut de facilitateur à toute personne morale afin d’englober notamment les syndicats ;

• l’obligation de négociation avec le comité social et économique lors de la mise en place de la procédure d’alerte et de son suivi ;

• l’instauration d’une assistance financière et psychologique telle que le préconise également la directive européenne ;

• la création d’une autorité publique indépendance unique et spécialisée pour la protection des lanceurs d’alerte ;

• la mise en place d’une procédure spécifique pour les alertes dans le domaine du secret de la défense nationale ;

• la possibilité pour les lanceurs d’alerte étrangers de bénéficier du droit d’asile.

C…. et velui de la défenseure des droits

Le 16 décembre dernier, la défenseure des droits, Claire Hédon a publié l’avis 20-12 relatif à la transposition en France de la directive européenne. Dans la continuité des positions retenues par la CNCDH, l’autorité administrative indépendante appelle les autorités, d’une part, à rendre le dispositif de protection du lanceur d’alerte plus lisible et, d’autre part, à renforcer ses droits. Elle estime qu’ils « ne sont pas aujourd’hui pleinement garantis compte tenu de l’absence de mécanisme complet et cohérent d’accompagnement et de suivi des lanceurs d’alerte comme des alertes elles-mêmes »(2).

En vue d’améliorer le dispositif, la défenseure des droits recommande aux pouvoirs publics d’élargir les compétences de cette institution indépendante afin de lui conférer « un véritable rôle de pivot ». A ce titre,elle souhaite notamment que l’institution soit compétente pour adresser les alertes dont elle est saisie mais également pour réaliser leur suivi (ex. : vérification des délais de traitement).

Par ailleurs, l’avis préconise la création d’un fonds de soutien spécifique et l’attribution de l’aide juridictionnelle sans condition de ressources en vue d’aider les lanceurs d’alerte à rompre leur isolement.

Enfin, il est également recommandé aux autorités en charge de la transposition de la directive de suivre quatre lignes directrices :

• maintenir un champ d’application large ;

• donner la possibilité aux personnes morales de bénéficier de la protection en leur reconnaissant la qualité de facilitateur ;

• sensibiliser la population à ce dispositif ;

• prévoir des moyens à la fois humains et budgétaires suffisants pour que le dispositif soit effectif.

La législation avant la loi « Sapin 2 »

La notion de lanceur d’alerte est apparue avant la loi « Sapin 2 » de 2016. Toutefois, le dispositif ne prévoyait pas de statut protecteur applicable à tous les lanceurs d’alerte et concernait seulement certains domaines particuliers.

A titre d’illustration, la loi du 13 novembre 2007 relative à la lutte contre la corruption prévoyait, en son article 9, une protection contre les représailles pour les candidats à l’embauche, les stagiaires et les salariés relatant ou témoignant de bonne foi de faits de corruption dont ils auraient eu connaissance dans l’exercice de leurs fonctions.

Quelques années plus tard, le législateur a étendu la protection aux personnes relatant ou témoignant de bonne foi de faits relatifs à la sécurité sanitaire des produits de santé dont ils auraient pu avoir connaissance dans l’exercice de leurs fonctions (loi du 29 décembre 2011 relative au renforcement de la sécurité sanitaire du médicament et des produits de santé, art. 43).

Enfin, en 2013, la loi a élargi le droit d’alerte aux faits laissant supposer l’existence d’un risque grave pour la santé publique et l’environnement (loi du 16 avril 2013 relative à l’indépendance de l’expertise en matière de santé et d’environnement et à la protection des lanceurs d’alerte, art. 1). De surcroît, elle a créé de nouveaux articles dans le code du travail spécifiques au droit d’alerte en matière de santé publique et d’environnement (C. trav., art. L. 4133-1 et s.).

La victoire de Céline Boussié

Céline Boussié est une lanceuse d’alerte. Aide médico psychologique à l’IME de Moussaron (Gers), elle s’aperçoit au fil du temps que les enfants polyhandicapés vivant dans cet établissement sont maltraités : certains sont brûlés par de l’eau trop chaude, d’autres attachés aux barreaux de leur lit, d’autres doivent faire leurs besoins dans des seaux, d’autres encore sont enfermés plusieurs jours dans le noir quand ils reçoivent une punition ou ne sont pas soignés quand ils sont malades…

En 2013, après avoir prévenu l’agence régionale de santé qui fera état dans son rapport de « maltraitance institutionnelle », une plainte sera déposée puis classée sans suite. C’est le début des ennuis et des brimades pour Céline Boussié qui sera licenciée pour inaptitude en 2014. Une décision qu’elle contestera en justice. S’en suivra une longue traversée du désert pour cette maman qui élève seule ses deux enfants et qui se retrouve vite précarisée. Mais pas question pour elle de subir la loi du silence. Quelques parents la soutiennent et ont eux-mêmes porté plainte pour maltraitance sur leurs enfants dont une petite fille, décédée faute de soins.

En 2017, elle gagne son procès en appel contre sa direction qui l’avait poursuivie pour diffamation. En 2020, la cour d’appel d’Agen a reconnu que son licenciement ne présentait pas de « cause réelle et sérieuse ». La même année, sept ex-membres de l’IME dont la direction a changé sont mis en examen pour harcèlement moral de la lanceuse d’alerte. Elle a raconté son histoire dans un livre Les enfants du silence(1).

B. B.

L’impact de la loi « Sapin 2 » sur le secteur social et médico-social

Le dispositif de la loi « Sapin 2 » étend le champ d’application de la protection dans la mesure où il s’applique à toute personne physique et non uniquement aux salariés et aux agents des établissements sociaux et médico-sociaux. De cette façon, les personnes externes à ce type d’établissement peuvent signaler des faits de maltraitance et bénéficier du dispositif de protection. De surcroît, le régime protège la confidentialité de l’identité du lanceur d’alerte et prévoit également la mise en place d’une procédure de recueil interne aux structures.

En revanche, sur certains points spécifiques, la loi « Sapin 2 » crée de nouvelles conditions. Par exemple, contrairement aux signalements spécifiques au secteur social et médico-social, la loi « Sapin 2 » précise que le lanceur d’alerte doit avoir eu « personnellement connaissance des faits ». Par conséquent, un agent qui viendrait signaler des faits dont ils auraient eu connaissance par un de ses collègues ne pourrait être protégé au titre de la loi « Sapin 2 ». En outre, le signalement du lanceur d’alerte est réglementé par une procédure contraignante (ex. : respect d’un délai raisonnable ou encore signalement interne préalable).

Confidentialité des informations communiquées

L’article 13 de la loi « Sapin 2 » sanctionne toute personne qui ferait obstacle, de quelque façon que ce soit, à la transmission d’un signalement d’une peine de 1 an d’emprisonnement et de 15 000 € d’amende.

De surcroît, elle précise que les procédures de recueil des signalements garantissent une stricte confidentialité de l’identité des auteurs du signalement, des personnes visées et de l’ensemble des informations communiquées. Ainsi le fait de divulguer des éléments confidentiels est puni de 2 ans d’emprisonnement et de 30 000 € d’amende (art. 9).

Notes

(1) Loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique, art. 6.

(1) Décret n° 2017-564 du 19 avril 2017 relatif aux procédures de recueil des signalements émis par les lanceurs d’alerte au sein des personnes morales de droit public et de droit privé ou des administrations de l’Etat.

(2) Il peut être saisi directement en ligne sur https://www.defenseurdesdroits.fr/

(3) Loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique, art. 8.

(1) Le ministère de la Justice organise une consultation publique dans le cadre de la transposition de la directive, ouverte jusqu’au 21 mars 2021 – Disponible sur https://bit.ly/3bVVVJZ

(2) « Protéger les lanceurs d’alerte : un défi européen » – https://bit.ly/38Vfbp0.

(1) Avis sur la transposition de la directive européenne relative aux lanceurs d’alerte – 24 septembre 2020.

(2) Avis du défenseur des droits n° 20-12 du 16 décembre 2020.

(1) Voir ASH n° 3102 du 15-03-19, p. 36.

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