La liberté de pensée, de conscience, d’opinion et de religion dispose d’une place prépondérante dans notre société. La Cour européenne des droits de l’Homme (CEDH) estime en effet que « la liberté de pensée, de conscience et de religion représente l’une des assises d’une “société démocratique” au sens de la Convention. Elle figure, dans sa dimension religieuse, parmi les éléments les plus essentiels de l’identité des croyants et de leur conception de la vie, mais elle est aussi un bien précieux pour les athées, les agnostiques, les sceptiques ou les indifférents. Il y va du pluralisme – chèrement conquis au cours des siècles – consubstantiel à pareille société » (CEDH, 25 mars 1993, n° 14307/88, Kokkinakis c/Grèce).
Les contours de la liberté de pensée
La liberté de pensée peut être considérée comme synonyme de la liberté d’opinion. Elle s’entend ainsi comme la liberté de soutenir des opinions conformes ou contraires à la majorité et de penser sans entrave. La liberté de pensée et d’opinion inclut également le droit pour chaque individu de ne pas révéler ses opinions et de les cacher aux tiers.
On notera que la liberté d’opinion est très proche de la liberté religieuse. Cette dernière est une déclinaison de la liberté d’opinion puisqu’elle se définit comme la faculté d’adhérer ou de ne pas adhérer à des croyances.
La notion de l’effectivité de la liberté d’opinion est indispensable. Celle-ci implique nécessairement le respect d’autres libertés fondamentales. On prendra comme première illustration la liberté d’expression. En effet, cette dernière n’a pas de sens sans la liberté d’opinion puisque l’opinion se forge notamment avec l’expression. En outre, la liberté d’opinion est à rapprocher de la liberté de réunion et de manifestation dans la mesure où elle permet à des individus qui partagent des opinions convergentes de se réunir et de s’exprimer.
Les règles d’encadrement de la liberté
La liberté de pensée et de conscience est consacrée par de nombreux textes juridiques nationaux comme internationaux.
Au niveau national, l’article 1er de la Constitution de 1958 dispose que la France « respecte toutes les croyances ». Ce texte est complété par l’article 10 de la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen de 1789 qui précise que « nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l’ordre public établi par la loi ». En conséquence, le respect de cette liberté inclut une obligation de neutralité et d’égalité pour l’ensemble des individus indépendamment de leurs croyances.
De surcroît, le Conseil constitutionnel a qualifié la liberté de conscience de « principe fondamental reconnu par les lois de la République ». Elle lui a ainsi conféré une valeur constitutionnelle en l’intégrant au sein du bloc de constitutionalité (C. const., 23 novembre 1977, n° 11-87 DC).
Cette liberté est également confortée au niveau européen par l’article 9 de la Convention européenne des droits de l’Homme et des libertés fondamentales qui énonce que « toute personne a droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion ».
Ce dossier s’intéressera aux garanties données par le législateur pour protéger cette liberté fondamentale mais également aux limites posées par la loi.
La loi protège les individus contre les pressions qu’ils peuvent subir en raison de leurs opinions et leur donne également la possibilité dans certaines situations spécifiques de ne pas agir contre leurs propres opinions.
La consécration par différents textes nationaux et internationaux de la liberté de pensée, de conscience et d’opinion implique de la part de l’Etat une protection contre les pressions effectuées en raison des opinions.
L’alinéa 5 du préambule de la Constitution de 1946, qui dispose d’une valeur constitutionnelle, énonce que « nul ne peut être lésé, dans son travail ou son emploi, en raison de ses origines, de ses opinions ou de ses croyances ». En droit du travail, au sein des entreprises et des associations, il est repris par l’article L. 1132-1 du code du travail qui protège les salariés, les stagiaires, les candidats à l’embauche contre toute discrimination en fonction de leurs opinions ou de leurs croyances.
Cette protection s’observe à l’égard des nationaux mais également à l’égard des étrangers. La convention de Genève relative au statut des réfugiés du 28 juillet 1951 instaure une protection au titre de la qualité de réfugié aux individus de nationalité étrangère qui craignent d’être persécutés du fait de leur religion ou de leurs opinions politiques. Cette convention a été ratifiée par la France par une loi du 17 mars 1954 et les conditions d’octroi de la qualité de réfugié figurent désormais aux articles L. 711-1 et suivants du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (Ceseda).
La clause de conscience est un mécanisme juridique qui permet à tout individu de refuser d’effectuer un acte qui serait contraire à ses convictions personnelles. Elle peut s’illustrer dans différentes professions. On s’intéressera notamment aux professionnels de santé, et aux officiers d’état civil.
Le code de la santé publique admet une clause de conscience pour les professionnels de santé dans le cas particulier de l’interruption volontaire de grossesse (IVG). Il précise en ce sens qu’un médecin ou une sage-femme n’est jamais tenu de pratiquer une IVG. En revanche, le législateur protège les femmes qui ont la volonté de recourir à l’IVG puisqu’il oblige le professionnel de santé qui ne souhaite pas pratiquer l’intervention à informer sans délai la patiente de son refus et à lui communiquer immédiatement le nom d’un autre professionnel susceptible d’intervenir (code de la santé publique [CSP], art. L. 2212-8). Cette disposition légale a été déclarée conforme à la Constitution de 1958 par le Conseil constitutionnel (C. const., 27 juin, n° 2001-446 DC).
De surcroît, un médecin n’est jamais tenu de pratiquer une stérilisation volontaire à visée contraceptive. Néanmoins, il est tenu d’informer la personne intéressée par cet acte de son refus à compter de la première consultation (CSP, art. L. 2123-1).
Enfin, le code de la santé publique précise que les chercheurs, les ingénieurs, les auxiliaires de recherche, les médecins ou les auxiliaires médicaux ne sont pas obligés de participer à des recherches sur des embryons humains ou sur des cellules souches embryonnaires (CSP, art. L. 2151-7-1).
La loi du 17 mai 2013 a ouvert le mariage aux couples de personnes de même sexe. Au moment de l’adoption de cette loi, certains maires se sont opposés à la reconnaissance du mariage entre deux personnes de même sexe et ont refusé de célébrer les unions. Toutefois, le texte initial ne prévoyait pas de clause de conscience pour les officiers d’état civil opposés à ces unions.
Dans ce contexte, le Conseil constitutionnel a été saisi d’une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) et il a déclaré la loi conforme à la Constitution (C. const., 18 octobre 2013, n° 2013-353 QPC). Il a estimé que l’absence de clause de conscience permettait d’assurer le bon fonctionnement et la neutralité du service public de l’état civil et ne porte pas atteinte à la liberté de conscience. En conséquence, les maires ne peuvent invoquer une clause de conscience pour refuser de célébrer une union entre deux personnes de même sexe.
L’objection de conscience est le fait d’invoquer ses opinions politiques, philosophiques, morales ou religieuses en vue d’échapper à ses obligations légales. On peut prendre l’exemple du refus d’accomplir le service militaire lorsque ce dernier était obligatoire en France. La loi permettait aux objecteurs de conscience d’effectuer leur service national soit dans un service civil relevant d’une administration de l’Etat ou des collectivités locales, soit dans un organisme à vocation sociale ou humanitaire assurant une mission d’intérêt général.
En 1977, la Commission européenne des droits de l’Homme estimait que chaque Etat membre du Conseil de l’Europe était libre de reconnaître ou non l’objection de conscience (Comm. EDH, 7 mars 1977, n° 7565/76, Groupe d’objecteurs de conscience c/Danemark). Quelques années plus tard, la Cour européenne des droits de l’Homme a expressément reconnu l’existence de ce droit (CEDH, 7 juillet 2011, n° 23459/03, Bayatyan c/Arménie).
Tout individu est libre de penser et de s’exprimer. Néanmoins, le législateur énumère certaines limites. La présente étude relèvera deux types de limite : l’incitation à la haine ou à la violence et la contestation de l’existence d’un ou de plusieurs crimes contre l’humanité.
La loi sur la liberté de la presse de 1881 rappelle le principe de la liberté d’expression mais admet des limites dans l’hypothèse notamment d’insulte, d’incitation à commettre des délits et des crimes, de diffamation ou d’outrage. Elle réprime également toute incitation à la haine ou à la violence en raison de l’origine, de l’appartenance ou de la non-appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion.
L’auteur de cette infraction encourt une peine de 1 an d’emprisonnement et de 45 000 € d’amende. Cette infraction a été insérée au sein de l’article 24 de la loi du 29 juillet 1881 par la loi « Pleven » du 1er juillet 1972. La peine est une amende de 5e classe lorsque la provocation n’est pas publique (code pénal., art. R. 625-7).
La loi « Gayssot » du 13 juillet 1990 réprime la contestation de l’existence d’un ou de plusieurs crimes contre l’humanité jugés par les tribunaux de Nuremberg et de Tokyo après la Seconde Guerre mondiale. Elle sanctionne ainsi la négation des crimes nazis. Cette infraction est punie de 1 an d’emprisonnement et de 45 000 € d’amende (loi du 29 juillet 1881, art. 24 bis).
La loi « Gayssot » est une loi dite « mémorielle ». Ce type de loi a pour objet de « donner un point de vue officiel sur des événements historiques » (voir « Lois mémorielles : la loi, le politique et l’histoire » – vie-publique.fr).
Au total, on compte actuellement quatre lois mémorielles en vigueur :
• la loi du 13 juillet 1990 tendant à réprimer tout acte raciste, antisémite ou xénophobe ;
• la loi du 29 janvier 2001 relative à la reconnaissance du génocide arménien de 1915 ;
• la loi du 21 mai 2001 tendant à la reconnaissance de la traite et de l’esclavage en tant que crime contre l’humanité ;
• la loi du 23 février 2005 portant reconnaissance de la Nation et contribution nationale en faveur des Français rapatriés.
Les lois mémorielles font l’objet de débats et de critiques. La question est régulièrement soulevée quant au fait qu’elles contreviendraient au principe de légalité des délits et des peines puisque les termes employés sont parfois larges. Des critiques s’élèvent également contre le fait que certains génocides tels que notamment celui visant la population des Tutsis au Rwanda en 1994, ne soient pas reconnus.
Tout individu dispose d’une liberté de conscience et d’opinion. A contrario, il a également l’obligation de respecter la liberté de conscience des tiers. La diversité des opinions permet une confrontation des points de vue et renforce ainsi les valeurs démocratiques de notre société.
Dans le secteur social et médico-social, certains débats comme celui de la fin de vie ou de l’avortement conduisent les individus à avoir des opinions et des points de vue différents. Néanmoins, le personnel de ce secteur est soumis à un devoir d’accompagnement et de tolérance dans ces différentes hypothèses, indépendamment du choix réalisé par la personne et éventuellement les membres de sa famille.
La liberté d’opinion est garantie aux fonctionnaires. Par conséquent, il ne peut exister aucune distinction entre les agents en fonction de leurs opinions (loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires, dite loi « Le Pors »). Cette liberté doit être effective au moment du recrutement et perdurer tout au long de l’activité professionnelle (loi « Le Pors », art. 18).
Obligation de neutralité
Conformément à l’article 25 de la loi « Le Pors », le fonctionnaire exerce ses fonctions avec « dignité, impartialité, intégrité et probité ». De surcroît, il est tenu à une obligation de neutralité et doit notamment s’abstenir de manifester ses opinions religieuses, politiques ou philosophiques dans l’exercice de ses fonctions. Cette obligation s’exprime de différentes formes : manière de se vêtir, propos tenus, attitude à l’égard des autres agents et des usagers du service public… Elle se fonde à la fois sur les principes d’égalité et de laïcité qui constituent le socle de la République française.
Obligation de réserve
Par un arrêt très ancien en date du 11 janvier 1935, le Conseil d’Etat a reconnu l’existence d’un devoir de réserve pour les fonctionnaires (CE, 11 janvier 1935, Bouzanquet). Les fonctionnaires doivent ainsi avoir un comportement mesuré lorsqu’ils expriment leurs opinions personnelles afin de ne pas nuire à l’administration à laquelle ils appartiennent.
Cette obligation tient compte de la situation de l’agent et du contexte dans lequel des propos ont pu être tenus. Dès lors, si l’agent exerce des fonctions importantes, l’obligation de réserve est beaucoup plus stricte. On peut notamment prendre l’exemple du préfet (CE, 28 juillet 1993, n° 97189). A contrario, lorsque le fonctionnaire est investi d’un mandat syndical l’appréciation de cette obligation est moins sévère.
Par principe, l’employeur ne peut pas restreindre la faculté pour les salariés de manifester leurs convictions au cours de leur activité professionnelle dans la mesure où cela contreviendrait aux libertés fondamentales protégées par l’article L. 1121-1 du code du travail.
Toutefois, la loi du 8 août 2016, dite loi « travai », est venue poser une limite. Les employeurs ont ainsi la possibilité d’inclure dans leur règlement intérieur un principe de neutralité afin de restreindre la manifestation des convictions religieuses, politiques ou philosophiques de leurs salariés (C. trav., art. L. 1321-2-1).
Cette limitation est strictement encadrée par la loi et la jurisprudence. Ainsi la clause doit être :
• nécessitée par le bon fonctionnement de l’entreprise ou de l’association ;
• proportionnée au but recherché ;
• générale et indifférenciée et s’appliquer seulement aux salariés se trouvant en contact avec les clients.
En outre, avant d’envisager tout licenciement, l’employeur doit vérifier s’il n’est pas possible de proposer au salarié un poste de travail n’impliquant aucun contact visuel avec les clients de sa structure (Cass. soc., 22 novembre 2017, n° 13-19855).