« Diplômée depuis 1994, j’ai passé le concours d’assistante sociale un peu poussée par ma famille, qui travaille beaucoup dans le social. J’ai été biberonnée à tout ça. Quand je suis entrée à l’école, j’ai adoré toutes les disciplines, la psychologie, la relation d’aide… Tout. Pendant mes trois ans de formation, les stages sur le terrain ont été passionnants.
Ce que j’adore dans mon métier, c’est la relation. J’aime l’être humain. Quand on gratte un peu, derrière chacun, il y a une personne magnifique. C’est un peu désuet de parler de bienveillance, de sollicitude, de care, mais si on était tous comme ça, le monde serait plus joli. Cela peut paraître naïf, mais je le constate à ma mesure, avec mes petits moyens. Tout le monde parle de valeurs humanistes, c’est un peu galvaudé. Moi, je fais ce métier car le travail social est l’espace privilégié pour appliquer ces valeurs, pas seulement les proclamer. Je veux me placer dans l’interstice, là où les gens n’ont pas accès aux droits, où il y a des inégalités.
Je travaille en milieu rural, les personnes que je vois sont en rupture familiale, professionnelle, et on est un peu les seuls à s’en occuper. La précarité augmente et il y a des situations très difficiles, mais j’ai la chance de travailler avec une équipe formidable et d’être dans une institution qui accepte que, en plus du suivi individuel, je fasse de l’intervention sociale d’intérêt collectif. Cette pratique repose sur le constat que beaucoup de personnes accompagnées ont des problématiques communes telles que l’isolement, le manque d’estime de soi… Plein de gens me disent se sentir nuls. Je leur demande s’ils sont d’accord pour travailler sur ces questions en groupe. Tout de suite, ils disent “oui”. La première fois, je l’ai fait pendant huit mois avec six ou sept femmes. Des dynamiques de changement se sont mises en place. L’une a retrouvé un travail, une autre a quitté son conjoint – décision qu’elle n’arrivait pas à prendre depuis des années… Je le fais aussi avec des hommes. Des choses géniales se passent, c’est très complémentaire des entretiens individuels.
Pour travailler avec ce public fragile, il faut être en accord avec soi-même, effectuer un travail sur soi, ce que j’ai fait pendant un an. Quand on se connaît bien, on est plus ouvert aux autres. J’accueille l’autre de façon inconditionnelle. J’ai aussi besoin de stimuler mon cerveau et de transmettre. Je fais des interventions dans les écoles de travail social et, pour être un peu plus légitime, je passe un master de sciences de l’éducation. J’écris aussi. Avec ma série Oubliez tout ce ce que vous savez sur les assistantes sociales(1), je me permets d’écrire des choses que je ne peux pas dire à mes chefs, de me moquer des procédures administratives…
J’enseigne aux futurs travailleurs sociaux à ne pas tout prendre pour argent comptant, à être dans le discernement, à avoir l’esprit critique. Il ne faut pas qu’ils deviennent des technocrates. Mais ne nous leurrons pas, en m’occupant des autres, je me fais du bien. Parfois, les gens viennent me parler pendant une heure et partent en me disant “merci”. Je n’ai rien fait, juste les écouter, les respecter et ne pas les juger. On est un chaînon humain absolument essentiel. »
(1) Publiée sous le nom de Stella Kowalczuk aux éditions Chapitre.com.