« La situation des jeunes majeurs sortants de l’aide sociale à l’enfance (ASE) et les profondes disparités territoriales qu’ils subissent sont dénoncées depuis longtemps par l’Uniopss comme par l’ensemble des acteurs de terrain. L’Uriopss Ile-de-France a souligné à plusieurs reprises combien ces inégalités sont exacerbées dans la région capitale. L’étude du cabinet Asdo pour le compte de la DGCS (direction générale de la cohésion sociale) confirme, s’il était besoin, les travers d’un accompagnement par la République de ces jeunes en souffrance, lequel se heurte sans raison aux limites administratives départementales.
En effet, depuis de nombreuses années, le taux de prise en charge en accueil provisoire des jeunes majeurs subit une baisse continue dans près de 73 % des départements. Cette baisse est encore plus significative dans la période récente puisque, entre 2013 et 2018, près de 30 % des départements ont très fortement réduit les accompagnements dédiés aux jeunes majeurs. En Ile-de-France, les écarts des taux de prise en charge entre les différents départements apparaissent particulièrement importants (de moins de 20 % à plus de 60 %) et ne se révèlent en rien liés aux capacités budgétaires de ces derniers.
Dès lors, une question s’impose : pourquoi un jeune homme ou une jeune femme fragile, car suivi(e) par l’ASE, devrait subir à sa majorité l’abandon différencié de son accompagnement selon son territoire de résidence ? Cette régression des droits élémentaires et des obligations de protection ne peut qu’être dénoncée.
C’est d’ailleurs la teneur du récent rapport de la Cour des comptes, qui pointe “une politique publique en décalage avec les besoins des enfants”. Comme la cour, et depuis longtemps, les associations de solidarités fédérées par le réseau Uniopss critiquent les âges couperet, à 18 et à 21 ans, qui obèrent le développement équilibré de ces jeunes et les empêchent de se projeter pour construire leur avenir.
Ces tendances profondes interviennent dans un contexte déjà extrêmement préoccupant pour tous les jeunes, qui sont les premiers à subir – et de plein fouet – les conséquences de la crise sanitaire. En Ile-de-France, là encore, cette réalité nationale d’une jeunesse en souffrance prend des proportions dramatiques.
Comme le souligne le dernier rapport sur la pauvreté de l’Observatoire des inégalités, avec le reconfinement, de nombreux jeunes déjà en difficulté ont été de nouveau fragilisés : difficulté accrue de l’insertion professionnelle, désocialisation, isolement – alors que de nombreuses formations se tiennent (quand cela est possible) dans un cadre dégradé –, problématiques d’accès à la santé mentale et somatique et recours à l’aide alimentaire, faute de ressources suffisantes. Rappelons que, en France, les 18-24 ans composaient déjà, avant la crise sanitaire, la tranche d’âge la plus touchée par la pauvreté, avec un taux de 24,2 % (contre 14,1 % pour la population générale). Selon l’Insee, près de la moitié des personnes sans abri de moins de 25 ans sont d’anciens jeunes de l’aide sociale à l’enfance.
S’il faut saluer les mesures encourageantes déjà engagées – la contractualisation amorcée dans le cadre de la stratégie nationale de prévention et de lutte contre la pauvreté, la sécurisation des accompagnements pendant la crise sanitaire ou l’accord-cadre de partenariat pour l’insertion professionnelle des jeunes de l’ASE –, ces dispositifs, à l’instar du plan « 1 jeune 1 solution » ou de la garantie jeune pour le droit commun, demeurent largement insuffisants.
L’Etat doit se porter garant de manière effective à l’échelle régionale de l’accompagnement indifférencié des jeunes les plus fragiles. Cela doit se concrétiser par :
• la fin d’une loterie départementale injuste. Les critères d’éligibilité au contrat jeune majeur, lorsqu’il est mis en œuvre, doivent être partout identiques, alors qu’aujourd’hui ils varient énormément. Par exemple, le projet du jeune et son degré de motivation apparaissent ici comme condition d’entrée dans le dispositif, ailleurs comme objectif et résultante de l’accompagnement. Le principe et la qualité de l’accompagnement ne doivent plus dépendre des limites administratives départementales ;
• la pérennisation, au-delà de l’état d’urgence sanitaire, de l’interdiction des « sorties sèches ». Le fait que ces fins de prise en charge ne soient plus possibles le temps de la crise sanitaire démontre que nous pouvons faire mieux en la matière en temps normal. Il faut d’ores et déjà prévoir une prorogation de cette interdiction pour les jeunes qui en expriment le besoin ;
• la remise en cause de l’injonction à l’autonomie pour les jeunes les plus fragilisés. On ne peut demander aux jeunes suivis par l’ASE de se projeter de manière assurée avant leurs 18 ans dans un parcours d’autonomie et de vie, alors que de telles demandes ne sont pas formulées pour l’ensemble des jeunes de leur âge. Il n’est sans doute pas besoin d’une longue étude pour démontrer comment celles et ceux qui défendent l’autonomie complète à 21 ans l’appliquent avec la même assurance à leurs propres enfants et petits-enfants, quand le droit d’être “un Tanguy” ou, au minimum, de poursuivre des études longues sans en connaître le débouché précis, est plutôt encouragé dans les milieux les plus favorisés. De plus, le seuil d’âge historique de 21 ans de fin de tout accompagnement est dépassé, et injustifiable dans une logique de parcours ;
• un revenu minimum garanti d’urgence dès 18 ans. La crise sanitaire appelle une réponse claire pour la jeunesse, au moins dans un premier temps pour les jeunes les plus en difficulté, sortants de l’aide sociale à l’enfance ou de la protection judiciaire de la jeunesse. Ce versement ne pourra se dispenser d’un accompagnement de qualité. Si les dernières mesures annoncées par le Premier ministre sont positives, elles ne répondront pas dans la durée à la fragilisation et à la précarisation d’un nombre toujours plus important de jeunes ;
• l’indifférenciation de la prise en charge des mineurs non accompagnés. Particulièrement nombreux en Ile-de-France et marqués par des traumatismes et un parcours chaotique, ils doivent être accompagnés dans une autonomisation progressive, comme tout jeune majeur de l’ASE ;
• la mise en œuvre effective des entretiens dès 17 ans. Prévus dans la loi du 14 mars 2016 pour préparer le projet du jeune et la sortie du dispositif, ils doivent se dérouler dans tous les départements franciliens et être outillés par des référentiels facilement accessibles. A l’échelon national, un tiers des conseils départementaux ne les ont toujours pas mis en place.
Puisque des élections départementales sont à venir, il sera nécessaire que l’ensemble des candidats précisent leurs engagements sur l’accompagnement des jeunes majeurs fragiles. Car ceux-ci ne sont pas des jeunes à part : ils sont une part des jeunes, à l’image de la réalité de vie d’une partie grandissante de la jeunesse.
Alors que la crise sanitaire creuse encore plus profondément des écarts déjà très marqués entre les départements franciliens, et que la surmortalité et l’appauvrissement sont à ce point différenciés territorialement, laisser perdurer un tel état de fait constitue une non-assistance à jeunes majeurs en danger. »
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