Grâce à une nouvelle loi en préparation depuis plusieurs mois, le gouvernement fédéral allemand promet d’offrir une meilleure protection aux enfants et aux jeunes grandissant dans des conditions sociales difficiles. « Avec cette résolution, nous lançons l’un de nos projets phares », s’enorgueillit la ministre de la Famille Franziska Giffey. Retardé de presque un an à cause de la crise sanitaire, le projet en attente d’être validé par les deux chambres parlementaires entend resserrer les mécanismes de contrôle, prévoyant par exemple que les habitations puissent être vérifiées par les autorités à tout moment, sans préavis et sans motif. La future loi ambitionne de créer davantage d’interactions entre les bureaux de protection de la jeunesse et les pédiatres, afin de permettre un meilleur signalement des éventuelles menaces pesant sur les enfants. Il est également prévu de créer des bureaux de médiation dans tout le pays, auxquels les parents et les enfants peuvent s’adresser s’ils ont des plaintes concernant des décisions prises par ces mêmes bureaux de protection de la jeunesse.
« Les enfants issus de familles ayant des problèmes de toxicomanie ont besoin de notre soutien et ils devraient le recevoir plus tôt et plus précisément à l’avenir », estime Daniela Ludwig, commissaire aux drogues du gouvernement fédéral, à propos des quelque trois millions de mineurs en Allemagne vivant au moins avec un parent toxicomane, et à qui le gouvernement entend ouvrir des espaces de dialogue, y compris à l’insu de leur cellule familiale.
Mais le projet fait polémique outre-Rhin, où le groupe parlementaire de gauche au Bundestag critique une « soi-disant loi de renforcement des enfants et des jeunes [qui] se caractérise par une méfiance institutionnelle à l’égard des familles et des professionnels », selon son porte-parole en matière de politique de l’enfance et de la jeunesse, Norbert Müller. Quant à la droite libérale du FDP, elle regrette que la prise en charge des hébergements dans les établissements de soins pour les jeunes salariés, y compris ceux à temps partiel, ne soit pas garantie à 100 % par l’Etat. « La contribution aux coûts doit être complètement supprimée », exige ainsi la vice-présidente du groupe parlementaire FDP Katja Suding. « Un enfant en famille d’accueil apprend avant tout une chose en soumettant ses revenus au bureau de la protection de la jeunesse, c’est que l’éducation et le travail ne valent pas la peine », explique-t-elle.
Au-delà des lubies classiques des libéraux et de la promotion du « travail » pour lutter contre « l’assistanat », le projet de loi et les débats qu’il provoque illustrent les clivages fondamentaux entre la France et l’Allemagne sur la protection de l’enfance.
Les recours au placement judiciaire sont beaucoup plus nombreux dans l’Hexagone, tandis que les mécanismes d’aide sont outre-Rhin davantage ciblés vers les parents et les familles, grâce au rôle central des travailleurs sociaux. « Sur 100 mesures de placement, entre 60 et 80 passent par un juge en France, contre 20 en Allemagne », soulignait en janvier 2019 le sociologue Bruno Michon, à l’occasion d’un colloque organisé à Strasbourg : « Alors qu’en France, le juge joue les intermédiaires entre la famille et le travailleur social, en Allemagne, ce dernier est tout-puissant. C’est une des critiques du système allemand que l’on peut émettre », estimait-il alors. Deux ans plus tard, le gouvernement fédéral paraît décidé à changer la donne.