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“Les questions religieuses doivent être posées et traitées”

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Ces dernières années, les travailleurs sociaux sont de plus en plus souvent confrontés à l’affirmation du religieux chez les personnes qu’ils accompagnent. Face à certains comportements ou certaines paroles, il n’est pas toujours aisé de réagir. Une chose est sûre : ces questions ne doivent pas être laissées sans réponses.
Le religieux dans le travail social ne date pas d’aujourd’hui. Quand est-il apparu ?

En France, les racines d’une des formes de travail social ont à voir avec l’assistance sociale rattachée à ce qu’on peut appeler la « morale chrétienne ». Le politico-religieux était donc présent dans les premières formes du contrôle social des populations qui, au XIXe siècle, s’exprimait à travers l’hygiénisme. Ce n’est pas un hasard si des hôpitaux se nomment Hôtel-Dieu ou hôpital Saint-Louis. Plus tard, la professionnalisation des fonctions est allée de pair avec la sécularisation de la société. Des luttes importantes à l’intérieur même du champ socio-éducatif ont témoigné de ce mouvement. Des acteurs du champ du travail social ont combattu pour que le religieux cesse de prendre le pas sur d’autres paradigmes, comme le mouvement d’éducation populaire. On peut aussi citer les assistantes sociales qui, dans les années 1960 et 1970, souhaitaient ne plus être confondues avec les dames patronnesses. Ou l’émergence du service public, qui a contribué après 1945 à la reformulation des fondements du travail social, ou encore le développement des associations laïques. L’ensemble de ces transformations témoigne de l’effet repoussoir du religieux sur le travail social. Mais à partir des années 1980 et 1990, la visibilité du religieux marque une génération de travailleurs sociaux, qui vont avoir l’impression de vivre un « retour en arrière ». Ce qui n’est pas forcément le cas des plus jeunes, pour lesquels le rapport au religieux s’est structuré autrement.

Les références religieuses sont-elles vraiment en essor aujourd’hui ?

Je travaille sur cette question depuis 2006, année où j’ai été interpellée par des directeurs de structures qui observaient une plus grande visibilité de l’expression religieuse parmi leurs publics. Des usagers ont souhaité que leurs pratiques religieuses soient prises en compte dans l’accompagnement éducatif, social ou médico-social, déstabilisant d’autant plus les équipes confrontées à ces demandes que certains professionnels eux-mêmes ont désiré afficher leur foi. Finalement, les choses se sont progressivement transformées à la mesure d’une expression religieuse multiforme. Face à elle, une pluralité de positions et de réactions s’enchaînent. Des actes extrêmement violents commis au nom d’une religion, des débats virulents autour des questions de l’islam et de la laïcité, empreints de nombreuses confusions et postures idéologiques, favorisent ou accentuent la survenue de perceptions négatives au sujet du religieux. On assiste aussi à de nombreuses interrogations légitimes car ces sujets ne se posent plus aujourd’hui comme il y a vingt ans. Parfois, le dialogue est impossible et il faut s’inquiéter de certaines références identitaires très excluantes. Mais, la plupart du temps, ce n’est pas le cas.

Quels sont les comportements problématiques rencontrés par les travailleurs sociaux ?

Les signes ostentatoires comme le voile, le statut de la femme, les interdits alimentaires, le refus d’aller à un rendez-vous pour se rendre à son groupe de prière, l’opposition des familles au départ de leurs enfants en « transfert » parce qu’ils ne pourront pas jeûner pendant le mois du ramadan… sont souvent cités. Implicitement ou explicitement, les personnes montrent qu’elles souhaitent pouvoir exercer leur culte. C’est parfois une véritable revendication. Certaines personnes usent aussi du religieux par stratégie, en disant « c’est Dieu qui décide ». Des travailleurs sociaux se demandent si ce n’est pas une manière de se dégager de toute responsabilité. La religion étant souvent perçue comme une affaire intime, les professionnels n’osent pas aller plus loin. Si le religieux met parfois à mal les fonctionnements collectifs au sein des institutions, les professionnels savent aussi qu’ils doivent contribuer au respect des croyances et non-croyances des uns et des autres. Dans certains établissements, les choses s’élaborent tranquillement, avec des compromis, mais d’autres sont vraiment mis à mal. Il arrive que des équipes soient dans le déni total de cette demande ou, au contraire, qu’elles la survalorisent. Or ce sont des situations à prendre en compte au même titre que la participation des usagers, par exemple.

Justement, comment les traiter ?

Le cadre de la laïcité, en France, incarne un principe constitutionnel. En cas de conflit, il est donc possible de s’appuyer sur la jurisprudence. L’Observatoire de la laïcité fournit aussi des recommandations et publie des guides fort utiles. Lors des formations que j’anime sur ces sujets, je propose également d’analyser ce que ces situations viennent interroger : des fonctionnements d’équipe, des postures professionnelles, son propre rapport au religieux… Le pire est d’ignorer ces sujets, de les mettre sous le tapis. Mais ils charrient des positionnements idéologiques, des craintes, des méprises entre faits religieux et radicalisation, cela ajoute à la difficulté. Les professionnels ne sont sûrement pas assez outillés. L’idée très partagée dans la société est que le religieux doit rester dans l’espace privé. En réalité, c’est beaucoup plus complexe. La laïcité signifie d’abord la liberté de conscience et de conviction. La charte rattachée à la loi du 2 janvier 2002 mentionne clairement que les institutions ont à favoriser la liberté de culte, si les conditions de cet accompagnement ne mettent pas en péril le « bon fonctionnement » de l’établissement. Pour autant, les évolutions réglementaires récentes poussent les professionnels du travail social à s’emparer du concept de neutralité, sans toujours bien savoir ce qu’il recouvre dans ce domaine.

Le fait religieux peut-il servir de ressource dans l’accompagnement ?

Si des travailleurs sociaux n’en voient pas l’intérêt, d’autres conçoivent la religion – ou, du moins, ce qu’en disent ou montrent les jeunes – comme un outil relationnel, éducatif, où l’identité religieuse entraîne de la curiosité pouvant contribuer à valoriser le jeune et à établir une relation de confiance. Ils remarquent notamment que les préférences confessionnelles ne sont pas toujours aliénantes. Il m’est arrivé de rencontrer des professionnels qui, sans mobiliser la religion comme une référence principale, se sont autorisés à faire venir un aumônier pour échanger avec des adolescents, tant le discours caricatural que ces derniers tenaient sur le religieux les inquiétait. Mais, dans certaines structures, la religion est abordée avec peu de sérénité. Elle est même parfois le symptôme d’autres problèmes tels que la place et le rôle des professionnels ou des managers. L’expression religieuse ne soulève pas forcément des questions gravissimes. Toutefois, celles-ci doivent être posées, examinées et traitées. Il faut adopter une démarche pédagogique à propos des traductions juridiques et réglementaires de la laïcité. Celle-ci représente un cadre qu’il faut apprendre à cerner.

Responsable de formation

à l’Andesi (Association nationale des cadres du social) et sociologue, Faïza Guélamine vient de publier une nouvelle édition de Faits religieux et laïcité : le travail social à l’épreuve (éd. ESF, 2020).

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